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Crise au Burundi: même les hippopotames en perdent la tête !

- Dans la réserve de Rusizi, à la frontière de la RDC, les hippopotames qui souffrent de la présence récente de militaires burundais, congolais et de rebelles, s'attaquent régulièrement à eux, et se font souvent tuer à leur tour

Esma Ben Said  | 29.08.2016 - Mıse À Jour : 30.08.2016
Crise au Burundi: même les hippopotames en perdent la tête !

Bujumbura

AA/ Bujumbura/ Yvan Rukundo

"La semaine dernière, nous avons découvert la carcasse d’un hippopotame sur les rives burundaises. Apparemment l’animal aurait été abattu par des militaires congolais. Ces derniers ont d’ailleurs failli s’affronter avec l’armée burundaise, à cause de l’animal !», révèle à voix basse Joseph, la soixantaine, rencontré par Anadolu dans la province de Cibitoke (centre du Burundi).

"Et ce n’est pas la première fois ces derniers temps, qu’un hippopotame se fait tuer dans le coin, vous savez", assure encore le riverain.

Plus d’une année après le début de la crise politico-sécuritaire burundaise, les animaux, «payent», en effet, eux aussi, le prix de l’instabilité dans laquelle patauge le Burundi à la suite d'un mandat controversé brigué et obtenu par le président Pierre Nkurunziza.

En cause, l’arrivée, dans leur réserve, située à la frontière avec la République Démocratique du Congo (RDC), de nombreux militaires burundais déployés depuis le début de la crise au Burundi, pour empêcher l’infiltration de rebelles opposés au régime de Nkurunziza, en provenance de la RDC.

Un déploiement non sans conséquences. En effet, les hippopotames sont devenus depuis l’ennemi d’un genre nouveau, car considérés comme "une menace". Six hippopotames ont déjà été abattus, officiellement, depuis janvier 2016, sur autorisation du ministère en charge de la protection de l’environnement, de l’aménagement du territoire et du tourisme et sous les yeux impuissants des environnementalistes.

"Ces hippopotames ont été abattus pour avoir attaqué des militaires ou des gens qui viennent se tailler des espaces cultivables ou installer des habitations dans leur biotope", assure Albert Mbonerane, ancien ministre de l’environnement et militant pour la protection de l’environnement, approché par Anadolu.

"Deux autres bêtes ont été tuées en catimini et leurs crânes ont été repêchés dans la rivière Rusizi par les gardiens de cette réserve" s’étendant sur plus de 10 mille ha, sur la frontière burundo-congolaise, à l’ouest du pays, confie Claude Ndayishimiye, son responsable, sans s'étendre sur les raisons de cet incident.

«Il y a presqu’une semaine, alors que des militaires burundais s’affrontaient avec une équipe de "rebelles" qui cherchaient à franchir cette rivière, un hippopotame est sorti de l’eau et a tué un militaire», relate encore un habitant de Gatumba, commune Mutimbuzi, province Bujumbura dit rural.

Cet animal a finalement été abattu le lendemain par d’autres militaires. Selon lui, "comme tout autre animal, quand ces chevaux des rivières entendent des coups de feu, ils se sentent menacés et stressés et cherchent donc par tout moyen à se défendre".

Outre l’armée burundaise, la Rusizi, située à quelques kilomètres de la capitale Bujumbura, abrite également des membres des Forces nationales de libération (FNL) commandées par le déserteur de l’armée burundaise, Aloys Nzabampema, ainsi que des contestataires du régime, indiquent des sources sécuritaires burundaises à Anadolu.

De l’autre côté de la rive, en RDC, d’autres hommes, dont des militaires, s’en prennent aussi aux hippopotames.

«Soit ils les abattent pour goûter à leur viande, soit pour les vendre tout simplement», assurent les pêcheurs de la zone.

«Un hippopotame rapporte environ trois millions de Fbu (1900 dollars)», précise un pêcheur burundais témoin récent d’une scène «surréaliste» commente-t-il.

«Des militaires congolais étaient à la recherche d’une bête qu'ils avaient abattue mais se sont retrouvés nez à nez avec les militaires Burundais. Pour éviter tout conflit, l’animal a été divisé en trois parties : une pour les militaires congolais, une autre pour les Burundais et la troisième pour des civils également présents», raconte-t-il.

Pour les patrouilleurs de la réserve naturelle de la Rusizi, cette situation, devenue leur quotidien, est "tout simplement alarmante".

"Avant cette crise, nous pouvions patrouiller dans tous les coins de la réserve, mais aujourd'hui, nous avons peur parce qu’on ne sait pas qui on va y rencontrer: il y a trop de bandits, d’hommes armés qui grouillent ici", témoigne l’un d’entre eux, s’exprimant sous anonymat pour des raisons sécuritaires.

Et d’ajouter : "Nous savons bien-sûr que les hippopotames sont abattus clandestinement et il est très fréquent qu’on tombe sur des ossements d’un hippopotame en pleine réserve".

"Une bonne trentaine d’hippopotames ont été tués depuis août 2015", affirme une source policière qui indique qu’une quinzaine d’entre eux ont été tués par des Congolais, à la recherche de nourriture.

"Et les autorités locales n’osent pas lever le petit doigt pour contrer cela", dénonce le même policier.

Une affirmation que confirme J.H, un administratif basé dans la zone Gatumba (Burundi) : "Que voulez-vous que l’on fasse face aux fusils ?", lance-t-il.

Pour le responsable local, le nombre des hippopotames abattus ces derniers mois dépasse largement les trente, et "la tendance ne risque pas de s’arrêter".

Outre l’abattage pur et simple, l’occupation illégale des espaces destinés aux pâturages exposent également ces mammifères à l’extinction. "Certains champs de maïs, de manioc, de bananes, mais aussi des habitations sont installés aujourd'hui sur les bords de la rivière Rusizi", confie Claude Ndayishimiye, chef de cette réserve.

"Aucune occupation humaine ne devrait avoir lieu sur cette réserve surtout que cela met dans une situation inconfortable tous les gros mammifères qui ont besoin d’entre 1 tonne et 3 tonnes d’herbes, par tête et par jour", souligne encore Ndayishimiye, dans une déclaration à Anadolu.

"On compte près de mille hippopotames ici, mais leur nombre décroit de jour en jour. De leur côté, ils font ce qu’ils peuvent pour survivre. Ainsi, le soir venu, ils sortent des eaux et envahissent les champs pour trouver de quoi manger et Ils se retrouvent alors au milieu des habitations", raconte le chef de la réserve.

"Malheureusement des conflits naissent entre eux et la population. Depuis septembre 2015 jusqu’à ce jour, 19 personnes dont quatre militaires ont été tuées par des hippopotames autour de la réserve", révèle-t-il.

Pour le directeur de l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE), Samuel Ndayiragije, "il n’y aura un retour de la paix que lorsque l’homme respectera les zones destinées aux pâturages de ces animaux et qu’il cessera de l’abattre en toute impunité".

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