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Crise burundaise: Une échappatoire peu ordinaire pour guérir les traumatismes de la guerre

- Les croyances ancestrales reviennent en force ; les psychologues pointent des traumatismes psychologiques dus aux conflits provoqués par la crise politique.

Mohamed Hedi Abidellaoui  | 12.05.2017 - Mıse À Jour : 13.05.2017
Crise burundaise: Une échappatoire peu ordinaire pour guérir les traumatismes de la guerre

Bujumbura


AA/ Bujumbura/ Nzosaba Jean Bosco

Au Burundi où le ciel est souvent foncièrement brumeux, les hommes sollicitent les ancêtres pour le sauvetage. Recourir au culte de «Kubandwa», interroger le sorcier devin pour éloigner le mal…les Burundais affligés par la crise et les catastrophes naturelles reviennent de plus en plus aux cultes et croyances ancestrales.

C’est particulièrement perceptible en milieu rural où les gens flirtent de plus en plus avec «Kiranga», un homme du village qui se fait passer pour un intermédiaire entre l’Imana (Dieu, en Kirundi) et les hommes, dans un culte traditionnel appelé «kubandwa».

En effet, fervents adeptes du christianisme le jour, pour la plupart, ils sont encore nombreux à se confier à Kiranga, la nuit venue, ou à consulter des sorciers devins pour éloigner la mort, protéger, bénir bétail et enfants.

«Ce culte de kubandwa est par exemple une réalité en province de Mwaro (centre-ouest) où les gens se confient à Kiranga pour demander protection physique, santé, bonne récolte, des enfants, du bétail, etc. », a déclaré à Anadolu Ferdinand Ndinkabandi, notable de la colline Buburu, en province Mwaro.

La pratique est aussi courante dans les provinces voisines comme Bururi, Makamba, Gitega et Rutana, dans le centre et le sud du pays.

- Fragilité psychologique

Les adeptes sont essentiellement des veuves ou d’autres femmes dont les enfants sont morts. On y retrouve aussi des hommes soucieux de sécuriser leurs familles.

«Certains des adeptes ont perdu des proches ou des enfants pendant cette crise, elles sont comme déprimées, avec un sommeil agité et des cauchemars, c’est comme une délivrance pour elles», explique à Anadolu la psychologue évoluant à l’Université de Bujumbura Diane Nahayo. Cette dernière pense que la crise qui secoue le Burundi depuis deux ans y est pour quelque chose. Avant la crise, le culte de « Kubandwa » était presque relégué aux oubliettes.

D’aucuns pensent que l’initiation à ce culte a des vertus curatives. «Ma tente était comme une folle, elle se parlait à elle-même tout le temps et avait un sommeil agité, ma grand-mère l’a fait initier au culte de Kiranga et elle va nettement mieux», a confié a Anadolu Linette Nahayo du Lycée communal de Gisozi en province de Mwaro.

Pour le psychiatre, Firmin Ndereyimana, ces conduites traduisent des troubles psychologiques qu’il revient à la science et non aux devins de traiter.
«Ces personnes qui ont vu mourir ou disparaître les leurs sont atteintes de troubles psychologiques. Cela se soigne avec des antidépresseurs ou autres médications neuroleptiques, mais il n’y a pas assez de psychanalystes au Burundi, surtout en milieu rural», précise Ndereyimana.

Selon ses adeptes, Kiranga a des pouvoirs mystiques mais seuls les initiés participent à ce culte. «Celui qui a besoin d’être initié contracte une maladie « des ancêtres », avec des vomissements, des maux de ventre et une agitation intempestive, tout s’arrête après la séance d’initiation au culte de Kubandwa », explique encore Ferdinand Ndinkabandi.

«Le culte de kubandwa était considéré comme le propre des païens, attachés aux traditions ancestrales mais curieusement, il revient en force même si les adeptes ne l’assument pas », fait remarquer dans une déclaration à Anadolu Pierre Chanel Niyonkuru, fervent chrétien de Gatare en province Mwaro.

- Faiblesse de l’encadrement médical

Le recours à cette pratique ancestrale permet alors de pallier la faiblesse de l’encadrement médical et, plus encore, constitue en tant que tel, une thérapie des traumatismes de la guerre.

Les leaders religieux sont au courant. «Nous sommes bien au courant de cette pratique, mais personne ne l’assume publiquement par peur d’être chassé de l’église, puisqu’ils vont à la messe le dimanche», a déclaré a Anadolu l’Abbé Liboire Ntahondereye, prêtre du Diocèse de Muramba.

Face au traumatisme de la guerre et de l’insécurité qui ne fléchit pas, d’autres s’en remettent aux sorciers devins. «Il renseigne sur l’origine de la menace, explique, donne des produits remèdes pour l’éviter, les Burundais y recourent régulièrement, même dans les quartiers populaires de Bujumbura», explique Anaclet Ndayisunze.

Cette flambée de troubles justifie aussi la recrudescence des cas de patients enregistrés ces derniers mois au Centre neuropsychiatrique de Kamenge au nord-est de Bujumbura.

Depuis près de deux ans, le Burundi vit une grave crise politique et sécuritaire, née de la décision du président Pierre Nkurunziza de briguer un 3ème mandat jugé « illégal « par l’opposition et la société civile.
Cette crise qui a éclaté en avril 2015 a durement affecté les populations. Les violences y afférentes ont fait plus d'un millier de morts et poussé 427.500 personnes à fuir le pays, selon le dernier rapport du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), publié le 24 avril 2017.

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