Afrique

"Les dialogues politiques" en Afrique: Preuve de démocratie ou langage de sourds ?

Considérés comme un pas vers la démocratisation pour les uns, les dialogues politiques seraient, pour d'autres, un "fard de légitimation" de régimes contestés

Safwene Grira  | 25.05.2016 - Mıse À Jour : 26.05.2016
"Les dialogues politiques" en Afrique: Preuve de démocratie ou langage de sourds ?

Tunisia

AA/ Tunis/ Safwene Grira avec la contribution d'Yvan Rukundo, d'Alphonse Logo et de Lougri Dimtalba

En Afrique, le recours au dialogue politique, entre les régimes et leurs oppositions, pour résoudre ou prévenir, selon les cas, des crises politiques, est une technique particulièrement prisée, encore que son exercice demeure controversé.

La tournure que prennent souvent ces cadres de concertations pouvoir-opposition renseignent sur toute la problématique attachée à la question. Dans beaucoup de cas, en effet, la contestation se pose en amont et prend pour objet le cadre même du dialogue. Alors que son principe, n'est jamais récusé, c'est souvent des accusations de "coup de forces" à travers un exercice démocratique par excellence, qui viennent justifier son report, son enlisement ou son boycott.

Au Burundi, alors que l'idée d'un dialogue inter-burundais, faisait pour la première fois son entrée sur la scène, durant l'été 2015, à l'instigation de la communauté internationale, la concertation a buté sur nombre d'obstacles avant de voir sa première session formelle se tenir à Arusha en Tanzanie, du 21 au 24 mai courant.

En même temps qu'il rappelait devant les différents partenaires internationaux sa pleine "volonté" et "disposition" à s'engager dans la voie du dialogue, un exercice démocratique dont il reconnaît la propension à résorber le conflit, le Gouvernement burundais opposait son veto catégorique à la participation de la principale plateforme de l'opposition (CNARED), qu'il accuse, malgré les dénégations de celle-ci, d'avoir soutenu le putsch manqué de mai 2015.

Mardi, la médiation est-africaine se félicitait de la réussite de la première session du dialogue, dont le CNARED était officiellement absent, en dépit de la participation de quelques unes de ses structures.

Le dialogue se tenait néanmoins entre "voix concordantes", dans la mesure où l'opposition "participative" évoluant en dehors du CNARED, ne s'était pas illustrée par le refus catégorique du troisième mandat "anticonstitutionnel" de Pierre Nkurunziza, facteur déclencheur de la crise en avril 2015.


- Des dialogues souvent non étrangers à la question de limitation des mandats présidentiels

Alors qu'au Burundi, Pierre Nkurunziza a réussi à imposer, tant bien que mal, son troisième mandat, au Togo, l'opposition ne cesse d'appeler à un dialogue destiné à constitutionnaliser la limite des termes présidentiels.

Depuis l'ère du "renouveau démocratique" marqué par la conférence Nationale Souveraine en 1992, pouvoir et opposition se sont déjà retrouvés plus d'une vingtaine de fois dans le cadre de dialogues politiques mais se sont quittés, généralement, sur des accusations mutuelles consacrant l'échec des discussions.

Signé en avril 2006, un Accord Politique Global entérinant des reformes institutionnelles, dont la limitation des mandats, n'a jamais été traduit dans le texte constitutionnel. La dernière session de dialogue remonte au début de 2015, lorsque l'opposition conditionnait sa participation aux élections à la mise en œuvre immédiate de ces réformes, le Président Faure Gnassingbé arrivait, alors, au terme d'un deuxième mandat.

"Le chef de l'Etat a depuis son arrivée au pouvoir fait du dialogue et du compromis la ligne de conduite de ses actions politiques", rassure, pourtant, dans une déclaration à Anadolu, Georges Aïdam, vice-président du parti présidentiel et ministre de l'Enseignement professionnel. Le ministre togolais réagissait à une manifestation de l'opposition de son pays, samedi dernier, réclamant, encore une fois, la mise en oeuvre de l'Accord de 2006.

D'autres dialogues ont été lancés pour désamorcer une crise liée à un troisième mandat que ne permet pas la Constitution. Il s'agit surtout du cas burkinabé avec la commission de l'ex-président Jean-Baptiste Ouédraogo. Là encore, l'opposition accusait le pouvoir de Blaise Compaoré de "défoncer", sous un habillage démocratique, la porte de l'illégalité. En République Démocratique du Congo (RDC), c'est le Président Joseph Kabila qui est accusé par son opposition de vouloir se maintenir au pouvoir au-delà de son dernier terme constitutionnel (fin 2016).

Faute de pouvoir modifier la Constitution, Kinshasa serait en train d'opérer un "glissement" du calendrier électoral, selon l'opposition, dans le but de maintenir Kabila, en arguant de l'incapacité notamment financière d'organiser une élection présidentielle à laquelle il est constitutionnellement inéligible.

En novembre 2015, le Président congolais a convoqué un dialogue national, censé aboutir à un consensus autour du calendrier électoral. Des partis ayant claqué en septembre 2015 la porte de la majorité présidentielle, en formant le G7, refusent toujours de répondre à l'invitation, suspectant des "objectifs inavoués" à ce dialogue. Derrière sa façade participative, elle critique un régime qui n'aspire qu'à "installer, en le légitimant", un troisième mandat de fait.

- ....et appuyés par la Communauté internationale

Outre le cas burundais, la communauté internationale a vivement encouragé la tenue du dialogue proposé par Kinshasa. L'Organisation des Nations Unies (ONU) a ainsi affirmé, en avril dernier, à travers son représentant spécial en RDC, le Nigérien Maman Sidikou, son soutien au dialogue lui-même appuyé par l'Union africaine qui a nommé un facilitateur, le Togolais Edem Kodjo.

"En matière de dialogues politiques, la démarche de la Communauté internationale demeure pragmatique. Il peut lui arriver de se greffer sur des propositions de dialogue, que leur initiative soit gouvernementale ou pas, pour peu que cela aboutisse à des résultats qui désengorgent la crise", souligne dans une déclaration à Anadolu, Romaric Ollo Hien, professeur de relations internationales à l'Université libre du Burkina Faso, en rappelant que la Communauté internationale exerce aussi un rôle d'encadrement, de facilitation, en veillant, le cas échéant, à mettre des lignes rouges.

La Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) avait également pris le train en marche pour soutenir le dialogue mort-né conduit par l'ancien Président burkinabé, Jean Baptiste Ouédraogo. Il s'agissait là encore de convaincre l'opinion publique du bien fondé d'une révision constitutionnelle devant permettre à l'ancien Président de briguer un nouveau mandat.

- Des exemples de réussite

Trois exemples récents se présentent néanmoins sous le signe de la réussite, même s'il y a lieu de nuancer ce constat.

Si les contours du dialogue national annoncé, la semaine dernière, par le Président sénégalais Macky Sall pour le 28 mai, restent flous, la réaction de l'opposition qui a fait part de son "ouverture" à cette initiative préjuge de concertations apaisées.

Au Mali, où l'accord d'Alger avait sanctionné, en mai et juin 2015, un marathon de négociations entre Bamako et les groupes autonomistes du Nord. La mise en application de cet accord demeure néanmoins empreinte de lenteur, mettant en péril le cadre de concertation pouvoir-opposition autour de prochains rendez-vous électoraux.

Le constat est, en revanche, sans appel, en Tunisie, où le dialogue politique sous le parrainage d'un quartet d'organisations nationales a permis au pays de ratifier sa constitution et d'organiser des élections présidentielle et législatives, après trois ans de transition politique. Un prix Nobel de la paix est venu reconnaître, l'année dernière, les efforts de ce quartet dans le "sauvetage" du pays et son soutien à la transition démocratique.

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