Analyse, Afrique

La Centrafrique et la RDC déstabilisées par le trafic d'armes ?

- Les violences qui secouent actuellement les deux pays ont été rendues possibles par l'important trafic d'armes et de munitions qui a lieu dans la région, à cause, essentiellement, de la "porosité des frontières" (ONU)

Esma Ben Said  | 17.08.2017 - Mıse À Jour : 17.08.2017
La Centrafrique et la RDC déstabilisées par le trafic d'armes ? Photo d'archives

Afghanistan

AA/Zongo (RDC)/Fiston Mahamba

Le trafic d'armes serait-il le principal fléau à l'origine de la déstabilisation de deux pays du plus grand pays de la région des Grands Lacs, la République Démocratique du Congo (RDC) et de son voisin du Nord, la Centrafrique?.

La Centrafrique, pays parmi les plus pauvres au monde, a du mal à se relever du conflit intercommunautaire qui, en 2013 et 2014, a fait environ 3 000 morts et près d’un million de personnes déplacées (sur les 4,5 millions de Centrafricains) dont majoritairement des musulmans, d'après l'ONU.

Ces dernières semaines, on assiste à la résurgence des violences. Les combats entre groupes armés centrafricains sont en effet devenus quasi-quotidiens. Les tueries ont d'ailleurs fait plus de 60 morts depuis début juillet à Bangassou et à Gambo (sud-est) à Ngaoundaye (nord-ouest) en passant par Alindao (sud).

Mercredi, au moins trois personnes ont trouvé la mort dans des combats opposant des présumés membres du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FRPC- dissident de l'ex rébellion Séleka) et des milices dites d'auto-défense, à Bria, dans le Centre de la RCA, ont indiqué des sources locales à Anadolu.

Une situation qui nourrit l'inquiétude de Stephen O'Brien, Secrétaire général adjoint de l'ONU pour les Affaires humanitaires, qui a alerté récemment sur "les signes avant-coureurs de génocide".

- Une prolifération des groupes armés et du trafic d'armes

Les élections générales organisées en décembre 2015- mars 2016 en RCA ont doté ce pays de nouvelles institutions et ont donné l'apparence d'une sortie de crise.

Pourtant, une année et demi plus tard, le pays renoue avec la violence. En cause, estiment les observateurs politiques, le non-aboutissement de la négociation entre le gouvernement et les groupes armés, et l'incapacité du pouvoir à mettre en place, comme prévu, le programme "Désarmement, démobilisation et réintégration" (DDR) des anciens rebelles.

La Centrafrique est désormais menacée par une "prolifération des groupes armés", prévient le Think thank américain Enough Project dans un rapport publié il y a quelques jours.

Le groupe de réflexion qui a cartographié quatorze milices et quatre groupes politico-militaires, explique que "ces groupes ont proliféré, imposant de facto une partition (du pays) et faisant de la prédation économique un élément central de leur stratégie".

D'après l'ONU, cette prolifération a été rendue possible grâce à l'important trafic d'armes et de munitions qui a lieu dans la région.

Dans un rapport publié le 26 juillet dernier, un groupe d'experts de l'ONU sur la RCA a indiqué que la porosité des frontières entre la RD Congo (RDC) et la RCA ont permis le développement d'un tel trafic.

Ce trafic transite principalement par la rivière Ubangi, qui sépare la ville de Zongo dans le Nord de la RDC, de Bangui, la capitale centrafricaine.

La RDC et la RCA partagent une frontière de 1500 kilomètres, englobant la grande partie septentrionale du Congo-Kinshasa, qui servent elles aussi à un important trafic d'armes.

Le document souligne, à ce propos, qu’au début de l'insurrection (2013), les Anti-balaka (milice centrafricaine à majorité chrétienne) ne faisaient usage que d’armes artisanales et de munitions de chasse avant qu’ils ne se procurent tout récemment un réseau d’approvisionnement en armement moderne.

"Ce réseau s’étend de la RDC au Tchad en passant par le Congo-Brazzaville", révèle le rapport onusien, précisant que "des trafiquants interrogés ont affirmé avoir collecté des armes et des munitions dans plusieurs localités congolaises avant de les acheminer vers le territoire Centrafricain sans savoir à qui ces équipements étaient destinés".

Entre novembre 2016 et début 2017, le gouvernement centrafricain a réussi à appréhender des membres de ce réseau, cependant l’inefficacité de mesures de contrôle aux frontières communes ne facilite pas l’éradication du phénomène.

Des rapports consultés par les experts onusiens démontrent, par ailleurs, que plusieurs catégories d’armes sont concernées par le trafic. « 6000 munitions de chasse, 11 275 munitions de type MACC et 136 machettes ont été appréhendées entre novembre 2016 et début 2017 par la mission de l’ONU pour la RCA (Minusca) dans la zone de Bangassou en provenance de la RDC», indique le rapport.

D'un autre côté une rébellion congolaise active dans la province de l'Equateur, dans le nord du pays, utilise le territoire centrafricain comme base de recrutement de combattants, rapporte le document onusien, citant l'arrestation à Bangui d’un individu proche du colonel John Tshibangu, ancien officier de l’armée congolaise qui a fait défection en 2012 et qui a formé un groupe armé menaçant aujourd'hui la sécurité de la RDC.

"Cet individu avait déclaré que sa mission en RCA, consistait à recruter entre 500 et 1000 combattants Centrafricains en vue de mener l’insurrection en RDC" rapporte la même source.

Des informations qui ont fait réagir le ministre de médias et de la communication, également porte-parole du gouvernement Congolais, Lambert Mende, joint par Anadolu. " La RDC est un pays aux dimensions continentales, nous sommes actuellement en train d'enquêter pour prendre les mesures nécessaires. Il est hors de question que le territoire congolais serve de base de départ à la déstabilisation d'un Etat voisin", a fermement indiqué le ministre congolais.

Commentant l'implication présumée de John Tshibangu, ancien commandant de Forces armées de la RDC dans la province du Kasaï (Centre, en proie aux violences) dans le recrutement des combattants sur le territoire Centrafricain, le ministre a déclaré "Lorsque quelqu'un qui déstabilise la RDC et qui est recherché par la justice Congolaise est cité par un rapport comme celui-ci, nous sommes intéressés par ces informations qui peuvent nous aider à l'appréhender en vue d'être jugé par la justice Congolaise".

"Nous continuons à enquêter également sur son cas" a conclu le ministre.

- Le rôle des Etats frontaliers

La mise en œuvre de la convention de Kinshasa sur les armes légères signée par plus de 10 États de la sous-région d’Afrique Centrale (30 avril 2010) semble plus nécessaire que jamais dans cette contrée où les groupes criminels transfrontaliers foisonnent.

Dans un rapport publié début mars 2017, le groupe de recherche et d’informations sur la paix et la sécurité, un institut basé à Bruxelles, a estimé que les États signataires de la convention n’ont pas mis assez d’efforts pour que cet outil joue efficacement son rôle dans la régulation de la circulation des armes légères et de petits calibres.

Le groupe a donc recommandé la mise en place d’un front commun régional contre le trafic d’armes en vue d’aboutir aux résultats escomptés lors de la signature de la convention de Kinshasa.

Le chantier semble donc énorme avant de pouvoir atteindre l’objectif de réduire au silence les armes à feu d’ici à 2020, tel qu’envisagé par l’Union Africaine avec sa stratégie "Silencing the Guns 2020".

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