Politique, Analyse

Retour du Maroc à l’UA, les dessous d’un déploiement géostratégique

- Le coup de poker diplomatique de Mohammed VI replace Rabat comme une force continentale.

Hatem Kattou  | 28.02.2017 - Mıse À Jour : 28.02.2017
Retour du Maroc à l’UA, les dessous d’un déploiement géostratégique

Rabat

AA/ Rabat/ Mohamed Taleb

Après 33 ans de politique de chaise vide, le Maroc a de nouveau réintégré l’Union africaine. Un pari pris par le roi Mohammed VI, car il s’est rendu personnellement à Addis-Abeba au risque d’être pris à partie par les pays soutenant la RASD, qui a fini par payer. Faisant d’une pierre plusieurs coups, le Maroc s’est donné, avec ce retour, une troisième voie autre que celle de l’Occident et du Monde arabe. Une première étape dans le cadre d’un déploiement stratégique qu’il est en train de mettre en œuvre en douceur.

La Maroc a fait son retour à l’Union africaine (UA) lors du 28ème sommet de l'organisation panafricaine. Rabat, qui avait quitté l'Organisation de l’Union africaine (OUA) en 1984 en protestation contre l’admission au sein de celle-ci de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), est revenu aujourd’hui par la grande porte. Ce coup de poker diplomatique de Mohammed VI, qui replace Rabat au cœur de la politique continentale, a d’ores et déjà d’innombrables retombées sur les plans diplomatique, politique, économique et géostratégique. Décryptage.

Un acquis politique majeur

En faisant le choix de rester hors du terrain de jeu, le Maroc, qui ne participait ni au débat ni au vote au sein de l’Union africaine, laissait à ses adversaires le privilège d’adopter des résolutions à son encontre.

" Le Maroc a pris conscience de l’importance de l’institution panafricaine qui est devenue, au fil des années, influente sur le plan diplomatique et politique et qui représente une source de problèmes au niveau de la cause nationale (affaire du Sahara)", décortique dans une déclaration à Anadolu le chercheur universitaire à l’Institut de recherches africaines de Rabat, El Moussaoui El Ajlaoui.

« Lorsque le Maroc s’est retiré de l’OUA en 1984, il y avait 86 pays dans le monde qui reconnaissaient la RASD et presque les deux tiers des pays africains. Ce retrait était judicieux, car il a laissé le temps au temps », s’est rappelé, pour sa part, l’ancien ministre d’Etat, Mohamed El Yazghi, dans une déclaration à Anadolu.

Pour cet ancien Premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP, parti de la gauche historique), « le retour est intervenu à point nommé parce que l’Afrique est en train de renaître et de se démocratiser ».

« Le Maroc a retrouvé sa place, actuellement, alors que la RASD n’est reconnue que par 13 pays africains, voire moins. Ce qui fait qu'elle est isolée quoiqu’elle profite du statut de l’UA. Mais pratiquement, elle est cloisonnée au sein de l’UA », affirme-t-il.

« C’est très important, car le Maroc a été soutenu par 39 pays qui ont appelé à son retour et l’ont appuyé rendant ainsi son retour une grande victoire politique. C’est le premier acquis politique de ce retour », souligne le leader politique.

Même son de cloche du côté de l’africaniste, El Moussaoui El Ajlaoui, qui souligne que ces « 39 pays, y compris certains pays qui reconnaissent toujours la RASD, ont accepté le retour du Maroc avec son histoire et sa géographie ».

La démarche et l’intérêt économique

Cela fait des années que le pays prépare en silence cette réappropriation de son espace par la mise en place d’une stratégie diplomatico-économique.

La diplomatie économique a permis au Maroc, premier investisseur dans l’Afrique de l’Ouest et deuxième à l'échelle du continent, de renforcer ses liens avec cette région jusqu’au point où il vient de formuler une demande d’intégration à la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Le Royaume chérifien, comme on l’appelle dans cette région, ne se contente pas désormais de son statut d’observateur, mais demande de jouir d’un statut de membre à part entière afin qu’il puisse prendre part pleinement aux décisions économiques et politiques ouest-africaines.

La forte position du Royaume, aujourd’hui, est le fruit d’une approche volontariste qui n’a rien laissé au hasard. C’est le résultat d’un déploiement de secteurs-clés comme les banques, les assurances ou les entreprises de télécoms, mais également, l’immobilier (ciment) et les phosphates (fertilisants). Celles-ci sont devenues une « arme » stratégique incontestable pour le pays.

« Le Maroc a la chance d’avoir les phosphates et d’être producteur des fertilisants au moment où beaucoup de points chauds au continent sont la conséquence de l’absence de sécurité alimentaire », soutient El Ajlaoui en donnant l’exemple « du Sud Soudan où deux ethnies, les Dinka et les Nuer mènent une lutte sur le pâturage (entre les nomades et les sédentaires) ».

« Le Maroc a paraphé plusieurs accords qui permettent un retour à l’équilibre concernant la sécurité alimentaire dans plusieurs pays du continent, notamment avec ce pays », précise-t-il.

« La même chose avec le Nigéria en provenance duquel les informations ont fait état d’une baisse de moitié des prix des fertilisants quelques jours après la signature d’un accord à ce propos », illustre ce spécialiste de l’Afrique.

Ce dernier est, dans ce sillage, revenu sur la "pugnacité" du roi dans son offensive africaine en affirmant que le pays s’est assuré des retombées sur le très long-terme.

Si l’objectif affiché par l’intégration régionale (en Afrique de l’Ouest CEDEAO) est de contourner une Union du Maghreb arabe (UMA) « région la moins intégrée de l’Afrique » (3% contre 10% CEDEAO), selon les termes de Mohammed VI dans son discours au 28ème sommet de l’UA, il s’avère que le but du Maroc est beaucoup plus profond que celui-ci.

La preuve en est, les visites marathons d’avant le sommet de Mohammed VI en Afrique de l’Est. Plus précisément, au Rwanda, en Tanzanie et en Ethiopie.

Pour l’économiste Rachid Achachi qui réaffirme que « le dossier du Sahara est primordial dans toute cette affaire », le retour du Maroc est motivé par « deux volets : un dans l’immédiat et un autre sur le long-terme ».

Dans l’immédiat, il s’agit, selon lui, « du côté versatile des partenaires occidentaux par rapport au dossier du Sahara marocain qui est instrumentalisé, à chaque fois, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du Maroc ».

« On l’a vu avec l’Accord agricole (entre le Royaume et l’Union européenne) qui a été annulé par la Cour de justice européenne avant que les Européens ne changent d’avis », argumente le docteur en sciences économiques.

« Malgré toutes ces concessions économiques et stratégiques dont la libéralisation de l’économie, le Maroc n’a pas abouti à un soutien fort et clair de l’Occident globalement (les Européens et les Américains) », regrette l’enseignant à Rabat.

« Il se trouve que ces partenaires versatiles ne veulent pas des alliés, mais des vassaux (comme au moyen-âge un seigneur et un vassal). Ils veulent un rapport de hiérarchie nord-sud et pas un rapport d’égalité », soutient-il.

De ce fait, « le bloc occidental ne représente pas un horizon positif ou encore possible pour le Maroc pour différentes raisons culturelles, structurelles (au niveau de la politique intérieure), etc. » , croit savoir cet expert.

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