Culture et Arts

Tunisie/Prison/Théâtre : Vol au-dessus des barreaux

- Une pièce de théâtre récemment présentée par un groupe de jeunes prisonniers au FestiJeunes a une grande chance de participer au Festival de Théâtre de Bruxelles, selon son réalisateur interviewé par Anadolu

Mohamed Hedi Abidellaoui  | 19.05.2017 - Mıse À Jour : 21.05.2017
Tunisie/Prison/Théâtre : Vol au-dessus des barreaux

Tunis

AA/ Tunis/ Afef Toumi

La pièce de théâtre « El Hay Yrawah » (le survivant rentre) réalisée par l’artiste tunisien Ayoub Jaouadi avec sept jeunes prisonniers du centre de rééducation des mineurs délinquants, Sidi EL Heni (Sousse-région côtière Est), a remporté le premier prix, au festival FestiJeunes à Sousse.

"FestiJeunes" est une manifestation culturelle théâtrale qui fait participer les jeunes, basée sur la création de pièces de théâtre dans le cadre des ateliers. Le festival est organisé par l’association TanitArt, installée dans le gouvernorat de Sousse.

Cette association regroupe des jeunes artistes de différents domaines artistiques et réalise des projets culturels tels que des spectacles de rue, des pièces de théâtre et des manifestations culturelles. Le but de son activité est principalement de promouvoir la création artistique, autant celle des amateurs que des artistes professionnels en créant un lien entre les deux.

La victoire réalisée par le groupe des jeunes prisonniers, dans ce festival, est le fruit de près de plus d’un mois de travail dur dans les ateliers animés par Ayoub Jaoudi, au centre de rééducation Sidi El Heni.

Un centre qui accueille les mineurs délinquants âgés entre 13 e 17 ans et a pour rôle de rechercher les mécanismes permettant à ces jeunes une meilleure intégration socio-professionnelle.
Le réalisateur, interviewé par Anadolu, a expliqué que l’idée du projet s’inscrit dans le cadre du Festival FestiJeunes.

« Il ne s’agit donc pas de ma propre idée, mais, étant donné que je suis spécialisé dans le théâtre des opprimés, on m’a proposé de prendre en charge et d'animer les ateliers avec les jeunes prisonniers, dont la moyenne d’âge est de 17 ans », a expliqué Ayoub Jaouadi à Anadolu, précisant que les répétitions ont pris près d’un mois et demi, depuis mars dernier.

Des jeunes privés de leur liberté à cause d’actes de délinquance pouvant aller jusqu’au meurtre, se retrouvent, dans certains cas, sans le moindre espoir de réintégrer la vie sociale.
« Ce projet est d’une grande valeur sur le plan humain. Il a permis de redonner un fil d’espoir à ces jeunes et de les pousser à prouver leurs capacités de réflexion et de créativité, que ce soit dans le choix du thème de la pièce, dans l’élaboration du texte ou dans le jeu de rôles sur scène», poursuit notre interviewé.

Il assure, dans le même contexte, qu’effectivement les sept jeunes qui ont tenu jusqu’au bout, étaient armés d’un grand amour pour la vie et d’une grande confiance en eux-mêmes.
« Certes, il m’a fallu du temps pour établir une ambiance harmonieuse avec ces jeunes. L’atout que j’ai exploité est le fait que je sois formé pour encadrer cette catégorie de personnes en maîtrisant leur langage et en ayant les moyens de communiquer aisément avec eux », indique Jaouadi, ajoutant que, pourtant, uniquement sept jeunes parmi vingt-quatre ont poursuivi jusqu’au bout.

« Certains ont été libérés durant cette période, d’autres estiment, peut-être, que ça ne leur rajoute rien concrètement et qu’ils sont, de toutes façons, emprisonnés », ajoute le réalisateur quant aux raisons qui les ont poussés à quitter les ateliers à mi-chemin.

Parlant de l’interaction des jeunes prisonniers au sein des ateliers, Ayoub Jaoudi a précisé qu’avant de les traiter en tant que criminels, il les a considéré en tant que victimes de tout un système et d’un contexte socio-économique dans lequel ils ont grandi.

« Je ne pense pas qu’un enfant de quatorze ans, par exemple, commette un crime, quel que soit, sans qu’il y ait des causes plus fortes que lui, l’ayant poussé à le faire. Cette logique m’a facilité la tâche et m’a permis d’être proche d’eux », explique notre interlocuteur qui s’est focalisé sur le côté pédagogique, autour duquel il a déjà été formé pour parvenir à communiquer avec « les opprimés ».

Le réalisateur précise également qu’il a essayé de découvrir leurs personnalités avant d’entamer les ateliers et que c’étaient des gens débordants d’énergie. Selon lui, ces jeunes prisonniers ont un vécu très malheureux et n’ont même pas profité de leur enfance.

Ils ont extériorisé toute leur énergie dans les ateliers, commençant par le dialogue constructif pour le choix du nom du groupe et du thème de la pièce.

« J’ai été surpris initialement par le nom du groupe qu’ils avaient eux-mêmes choisi,« Théâtre sans masques ». C’était spontané et ce qui fait plaisir le plus c’est que je n’ai intervenu à aucun moment, chose qui les a motivés davantage ! », s’exprime-t-il, fier de son exploit.

Quant au choix du thème, le réalisateur assure qu’au niveau de cette étape, il n’a pas non plus contribué et que le groupe s’est mis d’accord sur le thème et l’intitulé de la pièce. « J’ai constaté que c’était spontané et que ça venait du fond de leur réalité et de leur vécu en prison. Le nom de la pièce prouve déjà que ces jeunes-là n’ont pas totalement perdu l’espoir, « El Hay Yrawah » (le survivant rentre). En effet, cette expression est lancée, en Tunisie, à l'endroit du prisonnier et signifie qu’il sera tôt ou tard libéré.

Partant de ce principe, les prisonniers ont conçu l’histoire racontée dans la pièce. Ils ont cru fort en l’idée que viendra le jour où ils seront libérés et ont donc travaillé sur des idées inspirées de leur vécu en lieu de détention et de leur perception de l’avenir après la prison, comme l’a expliqué Ayoub Jaoudi.

La pièce parle d’eux, de leurs plans communs une fois sortis de prison. Les sept prisonniers passent la dernière période en prison à planifier leur vie future et les projets agricoles qu’ils pourront réaliser ensemble. Ils commencent déjà à répartir les taches et chacun propose ce qu’il sera apte à fournir pour le projet.

L’idée générale de la pièce est de partir de la réalité de ces prisonniers et de se projeter dans l’avenir. « Je souhaite qu’ils arrivent à réaliser la vie qu’ils ont imaginé hors de la prison », s’exprime Jaouadi.

« L’enchaînement de leurs idées et la sincérité avec laquelle ils ont joué sur scène, dégageant beaucoup d’émotions, malgré leurs peines, a fait réagir le public, le jour du spectacle au Théâtre Municipal de Sousse. C’était un moment hautement symbolique pour eux et pour moi, surtout, lorsqu’ils ont remporté le premier prix du Festival FestiJeunes », enchaîne l’interviewé, très ému.
Il a précisé qu’en principe, la pièce qui remporte le premier prix participe au Festival de Théâtre de Bruxelles en Belgique.

« Il y a une grande chance que la pièce de théâtre présentée par ces jeunes prisonniers au FestiJeunes aille participer au festival de Théâtre de Bruxelles », fait-il savoir, indiquant qu’il va falloir prendre des mesures exceptionnelles pour permettre à des prisonniers de voyager tout en garantissant leur retour.

Le réalisateur a assuré, cependant, que ces jeunes ont fait preuve de maturité et ont été à la hauteur, après avoir eu une autorisation judiciaire pour se déplacer au Théâtre de Sousse.
Ayoub Jaouadi revient également sur l’attitude de l’équipe d’agents travaillant dans le centre de Sidi El Heni, « ils étaient très coopératifs et souples, ils m’ont facilité la tache et je les salue pour leurs efforts », indique-t-il.

L’artiste, très enthousiaste, souhaite poursuivre ce projet et reproduire l’idée des ateliers de théâtre dans d’autres prisons en Tunisie, « malgré les difficultés, je l’ai fait avec une grande passion et je ferai de mon mieux pour que de telles expériences se répètent dans d’autres centres de rééducation et prisons », finit-il.

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