Monde, Culture et Arts

De Tombouctou à Zanzibar : Les splendeurs de l’Islam exposées à Paris

- Jusqu'au 30 juillet, l'Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris revient sur les liens tissés durant 13 siècles entre l'Afrique subsaharienne et le Monde arabo-musulman

Hatem Kattou  | 24.07.2017 - Mıse À Jour : 26.07.2017
De Tombouctou à Zanzibar : Les splendeurs de l’Islam exposées à Paris

France

AA / Paris / Esma Ben Said

Les liens tissés, durant treize siècles, entre l’Afrique subsaharienne et le Monde arabo-musulman font actuellement l’objet d’une exposition époustouflante à l’Institut du Monde Arabe à Paris.

«Trésor de l’Islam en Afrique. De Tombouctou à Zanzibar» donnent à voir quelques 300 oeuvres témoignant des liens entre commerce et islamisation en Afrique.

En fil conducteur, la diffusion de la religion musulmane à travers trois espaces géographiques où ont été découverts les contacts les plus anciens et fructueux entre le Monde arabe-musulman et le «Bilâd al-Sûdân» («pays des Noirs») à savoir : l’Afrique de l’Ouest, la Corne de l’Afrique et la haute vallée du Nil, ainsi que l’aire swahilie, selon les deux commissaires de l’exposition, Nala Aloudat et Hanna Boghan.

- Les chemins de l’Islam (le long des voies commerciales)

Si l’Islam est né en 622 dans la Péninsule Arabique, c’est au VIIIe siècle qu’il se diffuse en Afrique grâce au commerce de l'or, du sel, et même des esclaves.

La diffusion de l’Islam à cette époque se fait lentement et généralement de manière pacifique.

A travers une imposante carte interactive ornant un large mur, l’exposition revient sur la traversée des marchands musulmans qui, dès 750, fréquentent certaines régions sub-sahariennes. Les premières traces de communautés musulmanes sont attestées dans l’Est du continent africain.

Vers 1100, de petits « royaumes » musulmans commencent à émerger au coeur des terres chrétiennes. Mais il s’agit encore de phénomènes isolés car c’est surtout le long de la côte, là où se trouvent les ports, que la présence des musulmans est la plus importante.

Durant la même période, les réseaux marchands transsahariens poursuivent leur expansion favorisant ainsi l’apparition de l’Islam au sein des royautés sahéliennes. Les Almoravides qui dominent alors le Nord-ouest du continent, prennent le contrôle d’une partie des routes de l’or.

En 1300, l’empire du Mali, fondé par Soundiata Keita, va marquer une nouvelle phase dans l’Islamisation en Afrique de l’Ouest favorisant la diffusion de la religion.

Deux cent ans plus tard, de nouveaux pouvoirs musulmans émergent dont le sultanat funk, le sultanat d’Aswa, et l’émirat autonome d’Harare, organisé autour de la cité-Etat qui constitue le coeur de l’islam éthiopien et joue un rôle crucial dans le commerce à travers le continent. Au même moment, l’empire ottoman étend son emprise sur le nord de la Nubie et la rive occidentale de la mer Rouge.

L’empire du Songhaï, quant à lui, encourage l’essor d’un milieu intellectuel et religieux dynamique, fondé sur les oulémas (savants) qui favorisent la circulation d’idées et de savoir à travers l’Ouest du continent. Des centres intellectuels musulmans émergent au sud du Sahara permettant ainsi la transmission du savoir.

S’étendant de la région de Mogadiscio (Somalie) jusqu’au centre de l’actuel Mozambique, l’aire swahilie qui inclut également l’archipel des Comores et certaines localités portuaires au nord de Madagascar, connait elle aussi, une importante diffusion de l’Islam surtout au VIIIe siècle, lorsque les marchands musulmans commercent sur la côte est-africaine, stimulant ainsi les échanges et favorisant la concentration des richesses.

A Madagascar et aux Comores, des tombes du XIIe siècle mêlant traditions locales et musulmanes et abritant des objets, des vases ou encore des bijoux, ont été découvertes.

Deux stèles funéraires portant des inscriptions en arabe, prouvent que des familles entières de musulmans étaient aussi installées en Nubie (actuel Soudan) dès le XIe siècle.

Du VIIIe au XVIe siècle, commerce et échanges intellectuels sont donc au coeur des processus d’islamisation et le premier moteur des échanges avec l’Afrique du Nord et l’Orient.

Les sociétés subsahariennes se sont saisies volontairement de l’Islam, religion qui leur a permis de s’insérer dans un réseau mondialisé et d’établir des contacts avec des partenaires lointains.

- L'Islam et l’écriture

En poursuivant le long des salles, nous découvrons que l’Islam est partout indissociable de l’écriture.

Depuis la révélation coranique jusqu’à nos jours, les commissaires sont revenues sur les textes sacrés tordant le cou au cliché de « l’Afrique est uniquement une terre d’oralité ». Car en effet, l’on découvre que les manuscrits des premières oeuvres écrites par des auteurs autochtones (comme les chroniques d’Ibn Furtu sur le royaume de Kanem-Bornou) datent de la fin du XVIe siècle.

Sur la droite de la première salle de l’exposition, un documentaire de cinq minutes intitulé « sur la piste des manuscrits de Tombouctou » est diffusé.

Il revient sur les fameux manuscrits au coeur de l’actualité depuis que la ville est tombée sous la coupe des « jihadistes » en 2012.

L’on apprend qu’une classe sociale de lettrés émerge aux XVe et XVIe siècle à Tombouctou au Mali, qui devient vite un carrefour intellectuel attirant les savants de tout le monde musulman. On y apprend aussi que ces célèbres manuscrits rédigés en arabe et datant du XVIe révèlent une grande ouverture d’esprit lié à l’Islam alors considéré comme « Mère des sciences ».

« Traité d’émancipation des esclaves, textes sur le divorce, ou encore sur les sciences ésotériques », les manuscrits ont permis la propagation de toute une culture islamique particulière à savoir « l’Islam des lumières ».

Nous apprenons également que seuls 5% des manuscrits ont été étudiés à ce jour et que certains maliens ont pris le risque d’exfiltrer les manuscrits, en 2012, dans le plus grand secret vers Bamako, souvent au péril de leur vie, afin qu’ils échappent à la destruction.

Tout autour d'une salle ronde sont également exposées des planches en provenance du Soudan, du Kenya, de la Somalie ou encore de la Mauritanie, grâce auxquelles les étudiants apprennent le Coran.


- Islam et arts

Ici et là, des oeuvres d’artistes africains rendent hommage à l’Islam.

Une série de photos intitulées "Minaret Hats" (2010) de Maimouna Guerresi, malienne convertie à l'Islam au Sénégal et membre de la confrérie soufie Baye Fall, mettent en scène des visages d’hommes et de femmes, surmontés d'un long couvre-chef en forme de minaret, porteurs d'un message de paix.

Plus loin, des boubous brodés (vêtement traditionnel ouest-africain né au contact des commerçants musulmans), rendent hommage à la fusion des cultures. Des masques baga, venant de Guinée, des peintures, des calligraphies, des tissus, des bijoux…Des centaines d'oeuvres révèlent la richesse des sociétés musulmanes en Afrique subsaharienne, à la croisée des cultures.

C’est un Islam pacifique, ouvert, intellectualisé qui nous est donné à voir à l’occasion de cette exposition, véritable pied de nez aux mouvements extrémistes qui menacent la sous-région.


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