Centrafrique/Armes russes: Le coup de maître de Touadéra

-La Russie a été autorisée à donner un stock d'armement conséquent à l'armée centrafricaine, en vertu d'une exemption accordée par l'ONU à Moscou à l'embargo sur les armes décrété à l'égard de la RCA en 2013

AA/Tunis/Slah Grichi

Coups et contre-coups d'Etat, rebellions, conflits religieux et inter-ethniques (parfois confondus puisqu'il arrive que des gens de la même ethnie se retrouvent de part et d'autre d'une tuerie à grande échelle, institutions déstructurées sinon inexistantes, sécurité agonisante, armée moribonde, objet de toute sorte d'influences, d'ingérences, d'intervention et de convoitises de la part de ses nombreux voisins, la République centrafricaine présente la triste image d'un Etat en décomposition qui, de surcroît, est considéré comme le plus dangereux et le plus instable du monde.

Voilà ce dont a démocratiquement hérité Faustin Archange Touadéra en 2016. En effet, malgré un climat hostile et grâce aux efforts onusiens, africains et internationaux, une présidentielle a pu se tenir.

CHANGEMENT DE DONNE

Depuis, Touadéra a survécu en s'appuyant, comme ses prédécesseurs, sur l'aide internationale qui assure jusqu'aux salaires des fonctionnaires, et sur la présence des Casques bleus qui atteignent le record de 10 000 et plus.

Mais à leur différence, il a su nouer des relations et des alliances de coopération et d'intérêt avec des voisins dont le Cameroun, le Rwanda, l'Afrique du Sud... C'est d'ailleurs grâce à Paul Kagamé, le président rwandais, et à ses commandos qu'il matera la rébellion de l'Ouest du pays et qu'il jouira d'une garde présidentielle techniquement fiable.

Sa prochaine visite au Soudan, malgré l'isolement du régime d'Al Bashir, vise à trouver des solutions en contrepartie de monnaie d'échange pour colmater l'une des brèches où la rebellion et la contrebande des armes élisent refuge.

Et comme les frontières passoires communes avec d'autres pays sont nombreuses, notamment l'Angola, et qu'il lui faut l'engagement de ces derniers pour ĺimiter la monstrueuse circulation des armes, il n'a qu'une alternative que de miroiter une coopération -juteuse- dans le secteur minier, principale richesse du pays.

Cet effort a été accompagné d'une activité remarquée lors du dernier Sommet africain où il su rallier des soutiens et recueillir des assurances. Il faut dire que Touadera ne partait pas et qu'il ne s'adressait pas en nouveau responsable, ayant été pendant près de six ans le premier ministre de Bozizé (2008 - 2013).

Mais ce ballet poltico-économico-diplomatique demeurait insuffisant sans un corps armé et de sécurité formé et outillé.

Or, la France qui aidait la République centrafricaine financièrement et par des experts militaires formateurs ne montrait plus la même sollicitude depuis l'avènement de Macron.

Touadera l'a bien ressenti à la tiédeur de l'accueil que ce dernier lui a réservé à l'Elysée. Mieux -ou pire- Paris qui, des années durant, a été pratiquement le seul soutien de la Centrafrique a l' ONU, est devenu le principal défenseur du maintien de l'embargo imposé sur les armes, décrété en 2013.

Le (s) soutien (s) aux reins solides pour pouvoir bâtir une institution armée indispensable à une stabilité synonyme de paix et de relance économique, il fallait les chercher ailleurs.

En tout cas pas en Europe dont les grands (Allemagne et Grande Bretagne) ne misent pas sur la région, et encore moins sur les États-Unis dont le nouveau président fait fi du monde et n'a d'yeux que pour son America, avant et après tous.

LE SOLDAT DE L'OMBRE

Une aubaine pour Moscou qui a vite fait de se substituer à la France et de proposer de faire mieux, à savoir fissurer l'embargo par la même ONU qui l'a décrété en 2013, asseyant par là-même l'aura du président Poutine, sa dimension de décideur dans le monde et volontaire à la mise d'un pied déclaré dans l'Afrique.

C'est ainsi que la Russie prévoit d'équiper au total deux bataillons centrafricains comprenant 1.300 hommes.

Moscou entend notamment leur fournir, avec munitions, 900 pistolets Makarov, 5.200 fusils d'assaut AKM, 140 armes de précision, 840 fusils mitrailleurs Kalachnikov, 270 lance-roquettes RPGs et 20 armes anti-aériennes.

Touadera qui n'était pas dans l'aisance du choix et pour qui l'urgence d'armer légalement une armée sans armes, était une urgence absolue, ne s'est pas fait prier, allant dans le sillage de son Premier ministre, Simplice Sarandji, un rouge modéré pas vraiment sympathisant de l'Occident qui, selon les analystes, aurait été le soldat de l'ombre de ce grand rapprochement russo-centrafricain, avec la discrète contribution de l'ambassadeur russe, en place depuis 2011, ce qui suppose une connaissance du terrain, de ses spécificités et des tenants et aboutissants de ses problématiques.

D'ailleurs, c'est ce même Sarandji qui a installé la récente Commission nationale des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, un des préalables qui ont amené à museler des membres permanents au Conseil de Sécurité comme les USA, la France et la Grande-Bretagne qui ont laissé passer cette exemption partielle de l'embargo.

Et si Touadera peut savourer la réussite (actuelle) de sa politique, rehaussée par la visite du patron de l'ONU Guterres qui a choisi de célébrer la Journée des Nations Unies en République centrafricaine, il n'en est pas de même d'autres "protégés" de la Russie qui doivent se demander ce qu'elle a consenti pour obtenir cette résolution et si cela n'a pas été à leurs dépens.

Car après l'incursion chinoise dans le Sud de l'Afrique et à moins que l'Occident ne soit devenu aveugle, l'axe Pékin - Moscou dans le continent est en voie de devenir voyant.

Pourvu en revanche que ce nouvel armement ne soit pas utilisé à des fins ethniques, notamment contre les Musulmans, principales victimes de la crise qui a secoué la Centrafrique dès 2013.