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Cacao ivoirien : Une manne au goût amer...

- Le secteur reste soumis aux critères de "durabilité" et autres diktats du marché mondial, sans tenir compte des droits fondamentaux des producteurs. Un cacao au goût amer s'accordent à dire les premiers concernés.

Fatma Bendhaou  | 01.06.2022 - Mıse À Jour : 01.06.2022
Cacao ivoirien : Une manne au goût amer...

Abidjan

AA/Abidjan/Fulbert Yao

Le cacao demeure le pilier de l’économie ivoirienne. Malheureusement, le secteur reste soumis aux critères de "durabilité" et autres diktats du marché mondial, sans tenir compte des droits fondamentaux des producteurs. De quelle manière ? Par quels mécanismes ? Et quelles issues pour cette situation qui ne cesse de susciter embarras et indignation parmi les premiers concernés.

Avec 2 millions de tonnes par an, la Côte d’Ivoire est le premier producteur de fèves de cacao, soit 45% de la production mondiale. Cette matière première génère 40 % de recettes d’exportation et compte pour 15 % du PIB national, selon les chiffres officiels.

Parmi les clients de la Côte d’Ivoire, l’Union européenne est le principal acheteur avec 67% du volume exporté soit les deux tiers de sa production. Malheureusement, celle-ci impose des critères à sens unique.

Selon Moussa Koné, président du syndicat national agricole pour le progrès, plusieurs raisons justifient l’attitude de l’UE. « L’Union européenne fait des discours. Elle ne réagit pas (...) Leurs discours ne sont pas accompagnés par des actes réels. L’Union Européenne a essayé d’abord de saboter le cacao de Côte d’Ivoire, sous prétexte que ce cacao serait produit par des esclaves (...) L’Etat a démontré que ce fléau a été traité (...) Aujourd’hui, elle [L'UE] dit que la déforestation est la cause du changement climatique et que les planteurs sont à la base [de ce problème] », nous explique-t-il.

« Ils veulent être les maîtres. Puisque c’est eux qui consomment, ils utilisent toutes les méthodes pour avoir le dessus. On nous fait chanter », dénonce le syndicaliste.

Aussi, le désaccord sur l’uniformisation des prix entre les deux grands producteurs, la Côte d’Ivoire et le Ghana, permet à l’UE d’imposer ses prix, estime, pour sa part, Maurice Sawadogo, premier vice-président de la Fédération des Organisations des Producteurs de Café-Cacao de Côte d’Ivoire (FOP CC).

« Le Ghana utilise la monnaie cedi qui est liée au dollar, la Côte d’Ivoire utilise le franc CFA qui est lié à l’euro. Ils n’ont pas une politique commune en place. Elles ne peuvent que subir », soutient-il.

Les deux principaux producteurs de cacao, la Côte d'Ivoire et le Ghana, avaient pourtant annoncé en août 2021, être parvenus à un accord afin d'améliorer leur coopération, allant de la fixation des prix du cacao à la lutte contre le travail des enfants dans l'industrie.

Autre raison de la soumission du cacao au marché mondial vient de l’absence de la Côte d’Ivoire, dans les différentes instances de pays consommateurs pour discuter les prix en amont.

« Lorsque vous allez en Chine, la Côte d’Ivoire n’est pas représentée. Alors que dans les années 70, la Côte d’Ivoire était représentée dans les pays consommateurs de cacao », soutient Maurice Sawadogo.

Il estime que la Côte d'Ivoire ne peut rester loin et « utiliser des intermédiaires pour payer [son] cacao. » « Vous n’aurez pas le bon prix », assure-t-il avant de recommander la suppression des « intermédiaires » avec la nécessité pour la Côte d’Ivoire de traiter « directement avec les consommateurs ».

- Un trop grand écart entre les prix


Acheté au prix bord champ de 850 F/kg (1,39 USD), soit 850 000 F/tonne (1387 USD) aux planteurs, le cacao se négocie à ce jour à 2 552 USD/la tonne sur le marché international.

Une situation déplorable, que les producteurs souhaitent voir s'améliorer. « Si le kilogramme de beurre de cacao fait 7000 FCFA (11,50 USD) et on paie le cacao à moins de 1000 FCFA (1,64 USD), on ne peut pas se réjouir. Aujourd’hui notre souhait, c’est qu’on paie notre cacao à un prix raisonnable», recommande Amani Yao, un producteur dans la région de soubré (sud ouest)


Moussa Koné, lui, soutient que la volonté politique à un important rôle à jouer, afin que les producteurs jouissent parfaitement de leur labeur.

« La commercialisation, la valorisation, la valeur ajoutée, les planteurs sont exclus de tout cela. La volonté politique a un grand rôle à jouer pour que les planteurs jouissent parfaitement de leur labeur », a-t-il souligné.

Au plan social, ce sont environ 600 000 chefs d'exploitation qui animent l'appareil de production, faisant ainsi vivre environ 6 000 000 de personnes des revenus du cacao.

Concernant la réglementation européenne sur la déforestation et le devoir de diligence, l'ambassadeur Aly Touré, Porte-parole des Pays producteurs de Cacao de l'ICCO, propose que « les accords conclus avec les pays producteurs mentionnés dans le règlement » permettent de leur apporter un soutien ».

« Si nous voulons une économie cacaoyère durable, il faut que le producteur de cacao obtienne un prix juste, un prix équitable, enfin un prix qui lui permette de couvrir ses frais de production et de vivre dans la dignité. Enfin, conduire une étude sur l’impact de la COVID par rapport aux petits producteurs », a indiqué Ali Touré.

Pour Alex Assanvo, Secrétaire exécutif de l'Initiative Cacao Côte d'Ivoire-Ghana (ICCIG), qui s’exprimait à la COP 15 à Abidjan, la durabilité doit pouvoir toucher le maximum de personnes. A cet effet, la priorité pour la Côte d’Ivoire et le Ghana est de créer des programmes à économie d’échelle, afin que ces paysans ressentent les bienfaits de cette filière, qui apporte beaucoup à l’Occident.


- Les nouvelles ambitions : la transformation locale

La filière représente, en termes de revenus, plus de 120 milliards de dollars. La Côte d’Ivoire et le Ghana reçoivent un peu moins de 5% de tout cela. Pour Alex Assanvo, la transformation locale est le moyen pour corriger cette situation et créer des emplois.

Au-delà, la Côte d’Ivoire a pris de nombreux engagements. Concernant la lutte contre la déforestation, le Premier ministre Patrick Achi a fait remarquer, lors du sommet de Davos en mai 2022, que « ​​​​​​​la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une nouvelle stratégie de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts sur la période 2020-2030. C’est un sujet de préoccupation et pour l’Union européenne et pour tous les pays consommateurs ».

Pour ce qui est de la lutte contre le travail des enfants, se félicite-t-il, le phénomène est en net recul grâce aux importants efforts et actions de tous les jours accomplis par la Première dame, Dominique Ouattara, présidente du Conseil national de surveillance des actions de lutte contre cette pratique.

Depuis fin mars, grâce au recensement général des planteurs et des superficies géolocalisées, chaque producteur agricole de cacao s’est vu remettre une carte à puce qui servira de portefeuille électronique pour les paiements des ventes, les dépôts et les envois d’argent.

Elle permettra aussi de vérifier le paiement du prix garanti bord champ aux producteurs et améliorera la traçabilité du cacao, prouvant qu’il ne contribue pas à la déforestation et qu’il ne bénéficie jamais du travail des enfants.

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