Maroc : Les femmes désormais notaires de droit musulman (Adoul): entre Tradition et Modernité

AA/Paris/Yannis Mahil

Lors du Conseil des Ministres tenu lundi 22 janvier 2018, le Roi du Maroc Mohammed VI a pris une décision sans précédent. Les « Adoul » (notaires de droit musulman), fonction jusqu’ici réservée aux hommes, pourront désormais être des femmes.

L’entrée des femmes dans la profession faisait l’objet de débats, depuis quelques temps, et cette nouvelle avancée des droits des femmes au Maroc, saluée par un large spectre de la société civile, suscite malgré tout des réticences dans certains milieux.

Abdelghafour Hajji, président du Conseil Régional des Adoul de Rabat, a exprimé dans des médias locaux, sa satisfaction face à cette décision, la présence des femmes permettra selon lui d’apporter un nouveau souffle à la
profession.

Le Maroc cherche depuis un certain temps, en interne comme en externe, à se positionner comme un acteur religieux incontournable, promouvant un islam du juste milieu, conciliant tradition et modernité. En témoigne, la création de la chaine religieuse « As-Sadissa » ou de l’Institut Mohammed-VI pour la formation des imams.

Ainsi, à chaque réforme allant dans le sens d’une plus grande égalité ou liberté dans les secteurs du droit rattachés au droit musulman, le Maroc, Etat constitutionnellement musulman, se doit de développer une légitimation et un argumentaire islamique. C’est ainsi que pour chaque projet de réforme, le Conseil Supérieur des Oulémas Marocains est consulté pour évoquer la conformité ou non du projet avec la Shari’a.

Le Maroc avait déjà fait une réforme d’envergure en ce sens en 2004 en révisant la Moudawana (code de la famille), qui a notamment conditionné la polygamie pour protéger les femmes, leur a accordé le droit de demander le divorce par voie judiciaire et a aussi supprimé l’obligation pour la femme d’obtenir l’accord de son wali (tuteur) pour conclure son mariage.

Les juristes et les oulémas avaient déjà à l’époque dû puiser des avis de différentes écoles juridiques musulmanes, en ne se contentant plus uniquement du rite malékite (dominant au Maroc), et inscrire leur réforme dans le concept classique « d’itjtihad » (interprétation des textes islamiques) pour pouvoir modeler leur réforme juridique du droit de la famille.

Dans la même dynamique aujourd’hui, le Maroc tente de réformer sa législation sur la fonction des Adoul en usant de l’ijtihad pour proposer de nouvelles interprétations des textes et du droit musulman, plus conforme aux
besoins de l’époque moderne et aux évolutions de la société marocaine.

L’autorisation pour la femme de devenir Adoul a donc été validée par le Conseil Supérieur des Oulémas du Maroc, qui est un organe officiellement reconnu par la Constitution marocaine de 2011, se voyant attribué les
prérogatives religieuses d’émission de fatwas (avis juridiques islamiques).

Le Conseil Supérieur est d’ailleurs présidé par le Roi du Maroc lui même, qui bénéficie lui aussi d’une autorité religieuse reconnue par la Constitution en tant que « Commandeur des Croyants ». Ce statut lui confère la prérogative d’intervenir dans les affaires religieuses, c’est en ce sens que, du point de vue du droit marocain, il avait la pleine compétence pour prendre la décision d’autoriser les femmes à devenir notaires de droit musulman et ainsi enlever le monopole masculin sur la fonction.

Des médias locaux ont rapporté que pour la réalisation de cet objectif, le Roi du Maroc avait chargé le Ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, de prendre les mesures nécessaires.

Face aux questionnements quant à l’argumentaire religieux de cette nouvelle réforme, peu de détails ont été donnés en dehors de la déclaration officielle du Conseil Supérieur des Oulémas, citée dans les médias locaux, qui évoque uniquement une mesure conforme "aux dispositions de la Shari’a relatives au témoignage (shahada) et ses différents types" et aux "constantes religieuses du Maroc, en premier lieu les principes du rite malékite".

Ce manque de communication peut créer des incompréhensions, ils seront peut-être amenés à devoir donner des explications plus approfondies sur l’argumentaire de la fatwa.

Le chercheur sur les questions religieuses, Idris al Kanburi, a dit, dans un média local, que cette réforme allait forcément susciter des critiques dans la mesure où elle est sans précédent historique. Considérant pour sa part qu’il
n’y avait d’interdit religieux incontestable sur le sujet et que cette réforme rentre dans le cadre d’un « ijtihad moderne du fiqh islamique sur les questions contemporaines concernant la femme».

Régulièrement, des débats passionnés ont lieu au Maroc sur l’éventualité de réformes juridiques ou de questions sociales en lien avec la tradition islamique ou la culture marocaine. Dans sa longue tradition d’équilibre, le Maroc cherche à avancer dans le débat, la concertation des différentes sensibilités de la société, dans une tentative de conciliation entre le respect de la tradition et les changements répondant aux besoins contemporains.