Dougga : un site féerique, un soir de festival
Classé en 1997, patrimoine universel par l'UNESCO, ce site est considéré comme la petite ville romaine la mieux conservée de l'Afrique du Nord. Son théâtre accueille un festival qui aspire à se hisser parmi les trois plus importants du pays

Tunisia
AA / Tunis / Slah Grichi (*)
En fin d'après-midi de ce mardi 9 août, alors que le soleil ne commençait pas encore à montrer ses velléités de déclin pour se coucher, nous quittons la modeste artère principale du village de Dougga, pour emprunter la petite voie, pas du tout abrupte, menant vers le haut de la colline, au bout de laquelle s'étendent les 70 hectares du site archéologique qui fait la renommée de cette agglomération, relevant de la délégation de Teboursouk, dont le chef-lieu est situé à quelques kilomètres et du gouvernorat de Béja. Nous sommes exactement à 112 kilomètres au nord-ouest de Tunis.
- Une cité prospère...
Notre ascension nous offre, sur notre gauche, une vue imprenable sur une immense plaine, de plus en plus basse et à l'évidence fertile, alors qu'à droite, se dresse comme une petite forêt en hauteur que nous longeons, jusqu'à l'entrée du site, où nous accueillent les colonnes, parfaitement préservées, de l'arrière de la scène du théâtre que nous imaginons moins imposant que celui de Carthage et des dimensions du théâtre romain de Bullaregia de Bousalem au proche gouvernorat de Jendouba. C'est là que devait se produire, à 22 heures, la star du chant tunisien et arabe, Lotfi Bouchnaq.
Avec notre cameraman-photographe, on occulte, momentanément, ce joyau pour avancer dans ce site, si protégé de l'urbanisme moderne et dont les vestiges nous plongent dans l'histoire lointaine de la Tunisie. La falaise à l'est qui servait de fortification naturelle de défense, nous rappelle le nom numide de Dougga, TBGG (protéger en libyque). Les nécropoles et les mausolées libyco-puniques, que les fouilles ont dégagés, y compris de sous des édifices romains, établissent l'importance de la cité de Dougga (baptisée Thugga par les Romains), qui fut à n'en point douter, la capitale d'un Etat libyco-punique, bien avant les guerres puniques qui ont abouti à l'occupation romaine qui n'a pas réussi à définitivement effacer le passé de cette ville dont les historiens établissent l'émergence, au moins, vers le Vlè siècle avant JC. Les champs d'oliviers qu'elle contient et la vallée verdoyante qu'elle surplombe attestent, sans conteste, de sa prospérité. Les innombrables vestiges romains prouvent l'importance accordée à cette cité, en tant qu'un chef-lieu. Qu'on en juge...
Temples, basilique, mausolées, citernes, aquaduc, fontaines, latrines, arcs, hippodrome, amphithéâtre, théâtre et Capitole, soit les composantes d'une ville romaine, où les colons (la civitas) et les "indigènes" (pagus), séparés par des administrations distinctes pendant près de trois siècles, ont fini par fusionner et devenir égaux en citoyenneté romaine, en 205 JC, scellant le statut romain de Thugga. La science l'archéologie et les fouilles ont fini par déterrer des éléments de ses origines libyques, numides, puniques et même byzantines. Tout comme le port punique de Carthage, Dougga a fini par triompher de la politique de Rome d'effacer sur les terres de ses conquêtes, toute trace de civilisations précédentes, notamment celles carthaginoises.
- Un site, une destinée...
Le soleil commençait à décliner et à caresser cet immense musée naturel à ciel ouvert, de ses derniers rayons orangeâtres, nous invitant à retourner au théâtre où les premiers spectateurs, désireux d'occuper les meilleures places pour le concert de Lotfi Bouchnaq, commençaient à affluer. Les colonnes du magnifique théâtre, savamment et discrètement illuminées, nous charment et nous maintiennent un temps dans l'histoire. Et c'est tout près que le délégué de la culture du gouvernorat de Béja, se substituant à Mokhtar Belâteq, le directeur de l'association du festival, très pris par la logistique du concert, se félicite de la reprise de l'activité culturelle dans toute la région, où le site, le théâtre et le festival de Dougga jouent un rôle central. "L'association du festival a privilégié la qualité à la quantité, le culturel et le ludique au commercial, mais la valorisation des joyaux que sont le site, le Capitole et le théâtre ne s'arrêteront pas à cette manifestation", nous confie-t-il.
Et d'ajouter : "En avril dernier, nous y avons organisé, dans le cadre du Mois du patrimoine, un évènement sur les métiers et le savoir-faire traditionnels, où nous avons impliqué, outre les artisans, hommes d'affaires et de culture, citoyens et représentants de la Société civile. Le but était de mettre en exergue ce site et de faire qu'il soit à dimension culturelle et socio-économique. Pour ce qui est du festival d'été, nous aspirons, grâce au théâtre romain, à en faire, dans un avenir proche, l'un des trois plus grands festivals de Tunisie."
Le délégué culturel conclut en annonçant que le magnifique théâtre de Dougga accueillera, sur invitation de l'association des festivals, des troupes et des personnalités méditerranéennes à une manifestation où l'art, le spectacle et l'archéologique seront au contact de l'humain, puisque les hôtes seront, pour la majorité, logés chez des habitants de Dougga et de Teboursouk".
Pour lui, c'est une façon comme une autre de faire connaître le village, ses vestiges et ce qui a survécu de ses us ancestraux. Le tourisme culturel, c'est aussi cela.
En attendant, Bouchnaq est arrivé dans sa loge et se concentre sur son récital. Nous sommes allés le voir...pour boucler notre randonnée à Dougga, l'un des plus beaux sites de Tunisie...par une soirée de festival.
(*)Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.