Françafrique : est-ce vraiment la fin ?
France
AA / France / Fawzia Azzouz
Avec l’annonce officielle du remplacement du franc CFA par une nouvelle monnaie nommée « l’eco », samedi 21 décembre à Abidjan, Macron et Ouattara ont-ils sonné la fin de la Françafrique ?
Autrement dit, s’agit-il juste d’un coup de « com » ou d’une nouvelle page que la France veut ouvrir, sur fond de guerre contre le « terrorisme » et d’ascension du sentiment anti-français ?
La problématique du franc des colonies françaises en Afrique, dit CFA, est soulevée, au fait, depuis belle lurette, non seulement par les pays autrefois occupés par la France, mais aussi par les pays anglophones, qui avaient, d’ailleurs décidé avant Macron d’adopter une monnaie unique, l’eco, à l’occasion du sommet de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest, fin juin 2019 à Abuja.
De ce point de vue, Macron avalise, lors de ce déplacement en Afrique, une volonté d’émancipation financière déjà exprimée par les dirigeants africains.
Sur le fond et selon les termes de l’accord signé entre la France et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), il ne s’agit pas uniquement de changement de nom, mais plutôt du démantèlement d’un mécanisme. La France et 8 pays de l’Afrique de l’ouest ont convenu, en outre, de supprimer le compte d’opérations, à travers lequel la France décide de la valeur du franc CFA par rapport à l’euro, d’abandonner le dépôt obligatoire de dépôt de 50% des réserves en devise des pays africains dans le trésor français et de mettre fin à la représentation française dans les instances africaines de décision de politique financière.
Toutefois, la parité fixe entre l’euro et l’eco est maintenue, tout comme la garantie de change assurée par la France.
D’où une nouvelle complication, comme l’a constaté l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, coauteur de "L'arme invisible de la Françafrique: une histoire du Franc CFA", interrogé par Anadolu.
Ce spécialiste de la question reste très sceptique quant à la portée effective de ces annonces.
"Je ne parlerai pas de fin du franc CFA, mais bien d'une réforme qui ne change en rien la politique monétaire et ne profitera pas aux pays africains" explique-t-il, estimant que "rien ne change fondamentalement".
Cette réforme est, pour lui, le début d'un "mécanisme de contrôle indirect" qui "cache une tutelle monétaire française".
Ndongo Samba Sylla concède, toutefois, que l'accord signé samedi 21 décembre 2019 revêt un caractère "politico-symbolique" et répond, à minima, à ceux qui s'interrogent sur la raison pour laquelle tout est géré depuis la France.
Il est à rappeler, à ce niveau, que le franc CFA, fut créé depuis 1945 pour permettre à la France, selon Samba Sylla, de se reconstruire après la Guerre en ayant un accès privilégié et exclusif aux matières premières africaines, à moindre coût et sans frais ou risque de change.
D’où la parité fixe CFA / franc français (à l’époque) et le dépôt obligatoire des réserves de changes africaines dans le trésor français, moyennant un compte d’opérations.
Pour Samba Sylla, la tutelle française restera, malgré le démantèlement annoncé de ce système.
"Aucun spécialiste n'est capable d'expliquer pourquoi les pays francophones d'Afrique de l'ouest doivent partager la même monnaie", a-t-il affirmé, considérant que l'instauration d'une monnaie commune "est un héritage indéniable du colonialisme".
Fustigeant une "réforme cosmétique", il précise, enfin, que les stocks d'or des huit pays de l'Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine) sont toujours « déposés » à la Banque de France.
- Héritage colonial reconnu
Lors de son déplacement à Abidjan, Macron a reconnu que le franc CFA inscrivait dans la continuité une approche coloniale.
Selon ses propres mots, le chef de l'Etat français, voyait, à travers le franc CFA, un des "vestiges de la Françafrique".
"Je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une politique monétaire qui rappelle l'époque coloniale", a publiquement admis Emmanuel Macron avant de qualifier la colonisation "d'erreur profonde" et de "faute de la République".
Et les réactions ne se sont pas fait attendre, notamment dans les sphères des populations locales qui se sont félicités de cette annonce à très forte portée symbolique.
Le député des Français à l’étranger M’jid El Guerrab, qui a fait partie de ce voyage présidentiel en Afrique, a admis, dans une déclaration à anadolu, que « subsistent quelques miasmes coloniaux qui sont le fruit de l’histoire », mais il a affirmé que le président Macron est « déterminé à s’en débarrasser ».
Le député El Guerrab considère que la « Françafrique » est « définitivement terminée dans une certaine pratique qu’avaient les femmes et les hommes politiques français de traiter les États africains ».
Il a expliqué, par ailleurs, que « cette visite du chef de l’Etat lui a donné l’occasion de s’entretenir avec un groupe de militaires de l’opération Barkhane engagé dans le combat au Mali, et meurtri le 25 novembre, jour où 13 hommes ont péri dans une collision d’hélicoptères ».
« Cet échange, entrepris dans un contexte d’insécurité et de déstabilisation sous-régionale, était nécessaire pour prendre les meilleures décisions possibles quant à l’avenir de la présence Française au Sahel », conclut le jeune parlementaire, élu en 2017.
Pour le président français, après la perte récente des 13 soldats affectés à la force Barkhane, au-delà des enjeux économiques et politiques, ce voyage a, donc, été l’occasion de rassurer les troupes et de leur témoigner une reconnaissance certaine de leur sacrifice.
A-t-il, ainsi, atténué l’angoisse de plus de 4500 soldats déployés au Sahel ? Peut-être, à la faveur d’un dîner de Noël avec les troupes basées en Côte d’Ivoire.
Toutefois, la légitimité des interventions demeure très contestée, au sein de l'opposition politique française, notamment, à travers le chef de file d'extrême gauche Jean-Luc Mélenchon ou encore la députée d'extrême droite Marine Le Pen, qui ne rate aucune occasion pour accrocher le Président sur cette question. La dernière en date a eu lieu quelques heures après sa reconnaissance d’une « Faute de la République ». Le Pen a considéré dans un post sur Twitter que Macron, par cette déclaration a fortement nuit à l’image de la France et mis en danger la vie des soldats français déployés à l’étranger.
- Un contexte de crispation
C'est dans ce contexte de fortes crispations qu'Emmanuel Macron a convoqué le G5 Sahel pour un sommet exceptionnel à Pau, le 13 janvier prochain.
Il réclame une "clarté politique" et estime que c'est une "condition" indispensable au maintien de la force Barkhane. "Si cette clarté politique n'est pas établie, la France, dans certains pays, en tirera toutes les conséquences", a-t-il prévenu, sans citer les pays visés.
Le chef de l'Etat a, ainsi, exprimé son refus de demander aux soldats français "de prendre des risques et lutter contre le terrorisme et pour la sécurité" tout en remarquant d'un "autre côté des opinions publiques de ces mêmes pays" qui diffusent ce qu’il considère comme "des contre-vérités", dans l’indifférence totale des autorités.
En effet, qu’il s’agisse de franc CFA ou de présence militaire, plusieurs manifestations ont eu lieu au cours des derniers mois aussi bien à Bamako, qu’à Ouagadougou et Niamey pour exprimer le refus de la tutelle française et exiger le départ pur et simple des forces françaises.
A ce propos, le géo-politologue Pascal Boniface a accepté de livrer à Anadolu son analyse de la situation.
Il estime que "la renonciation au franc CFA et la dénonciation de l'époque coloniale vont certainement être vus positivement", mais qu'il "faudra d'autres gestes et une continuité dans le comportement pour ré-enthousiasmer la jeunesse africaine".
Le directeur de l'Iris (Institut des relations internationales et stratégiques) souligne le fait qu'Emmanuel Macron "appartient à une génération qui n'a pas connu l'époque des colonies" et que c'est ce qui lui permet d'adopter une posture "décomplexée par rapport à cela".
Pascal Boniface estime, par ailleurs, qu'il faut surtout parler d'un "repositionnement de la France en Afrique, consistant à sortir du pré-carré de l'Afrique francophone, en s'ouvrant à l'Afrique anglophone et lusophone", puisqu'elle doit notamment "faire face à la concurrence d'autres acteurs dans la région" à l'image de la Chine ou encore de la Russie.
Si la poursuite de l'opération Barkhane semble se jouer lors du sommet du 13 janvier à Pau, Ndongo Samba Sylla, estime que les relations entre la France et les pays africains pourraient devenir très compliquées.
De son côté, Pascal Boniface, considère que la France et l'Afrique ont "besoin, chacune, l'une de l'autre et de trouver une relation où chacun défend ses intérêts" et "gagne à coopérer avec l'autre".
Cela étant, en attendant que les nouveaux billets de l'éco soient imprimées, d'ici quelques années, le franc CFA continue de circuler et les soldats français restent en position, ou, autrement dit, la fin de la "Françafrique" n'est pas pour demain.
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