Guerre de décolonisation du Cameroun: un rapport d’historiens pointe la ‘’violence extrême’’ de la répression française
- Un rapport remis aux présidents Emmanuel Macron et Paul Biya indique que Paris a ‘’probablement tué plusieurs dizaines de milliers de Camerounais’’ entre 1945 et 1971

France
AA / Tunis / Majdi Ismail
La France a mené une répression militaire d’une ‘’violence extrême’’ contre les mouvements indépendantistes dans le cadre de la guerre de décolonisation du Cameroun, et il est temps qu’elle reconnaisse son rôle et la nature de ces événements, plus de soixante ans après l’indépendance de ce pays d’Afrique centrale, en 1960, indique un rapport réalisé par une commission d’historiens français et camerounais.
Ledit rapport, de plus de 1 000 pages, a été remis, mardi 28 janvier, à Yaoundé, au président camerounais, Paul Biya, une semaine après avoir été présenté à son homologue français Emmanuel Macron, à Paris.
Cette initiative mémorielle s’inscrit dans la continuité de celles prises par le président français sur le rôle de son pays lors du génocide des Tutsi au Rwanda ou pendant la guerre d’Algérie, dans le but d’apaiser puis de renouveler les relations entre l’ancienne puissance coloniale et les pays africains. Et ce, alors que Paris ne cesse de perdre de son influence sur le continent, notamment au Sahel.
Ce travail sur l’histoire de la France coloniale et le devoir de mémoire a été lancé en juillet 2022 lors de la visite du président français à Yaoundé, selon Le Monde.
Deux ans et demi plus tard, les quatorze membres de la commission mixte – sept chercheurs camerounais et sept français – pointent la responsabilité de la France dans la répression des mouvements indépendantistes camerounais, puis de l’opposition politique, entre 1945 et 1971, soit la période couverte par leurs recherches.
Le souvenir de cette période reste vivace au Cameroun, mais demeure largement occulté dans l’Hexagone.
‘’C’est une guerre de décolonisation qui ne s’arrête pas avec l’indépendance : nous sommes encore présents après et nous continuons à exercer des violences répressives pour le compte d’un pays qui est devenu indépendant’’, souligne l’historienne française Karine Ramondy, coprésidente de la commission mixte, chargée du volet recherche. ‘’Ce travail ne pouvait être mené qu’avec nos collègues camerounais’’, ajoute cette chercheuse associée à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Pour l’occasion, la France a largement ouvert ses archives, celles de la justice militaire en particulier, et les accès ont été facilités au Cameroun, alors que les Archives nationales de Yaoundé sont restées fermées aux chercheurs, rapporte Le Monde.
Au total, ‘’le cumul des estimations militaires officielles permet d’évaluer le nombre de combattants tués entre 1956 et 1962, période de plus forte implication des troupes françaises, à quelque 7 500 individus’’, cependant ‘’la prise en compte des victimes totales s’élève plus probablement à plusieurs dizaines de milliers de Camerounais’’, souligne le rapport.
Les travaux, ‘’permettent de retracer la genèse de l’affrontement entre les autorités coloniales et les oppositions indépendantistes au prisme du temps long de la situation coloniale (1945-1955), puis le glissement des répressions politique, diplomatique, policière et judiciaire vers la guerre menée par l’armée française (1955-1960), dont l’action se poursuit malgré la transition politique et l’indépendance du Cameroun (1960-1965) – et même au-delà, l’aide française se maintenant dans le cadre de la coopération entre les deux pays (1965-1971)’’, expliquent les historiens français et camerounais.
La France s’est d’abord mobilisée pour entraver la montée en puissance du parti nationaliste, l’Union des populations du Cameroun (UPC). Les autorités françaises ont ensuite réprimé dans le sang les maquis de l’UPC. Leurs membres, dont le leader indépendantiste Ruben Um Nyobe, ont été éliminés par l’armée française, puis, après l’indépendance, par l’armée camerounaise du régime d’Ahmadou Ahidjo, mis en place en 1960.
La commission revient en particulier sur le massacre d’Ekité, en 1956. Le travail des historiens permet, de ‘’déconstruire le récit officiel, qui présente cette violence collective comme une contre-attaque légitime, alors qu’elle relève d’un assaut à l’encontre de civils désarmés’’. ‘’Cette première phase de violences extrêmes se solde par l’enracinement de la guerre, alors que les autorités coloniales maintiennent une forte répression judiciaire et politique’’, souligne le rapport.
Les historiens pointent en outre ‘’la politique de déplacements forcés des civils vers des camps dits “de regroupement”, inspirés des méthodes mises en œuvre par l’armée française au Cambodge’’. Les déplacements forcés relèvent d’une ‘’pratique, pleinement assumée par les militaires comme un instrument “contre-révolutionnaire”, destiné à couper les liens familiaux ou sociaux entre les civils et les combattants’’.
Selon le rapport, les pratiques de torture sont au fondement de la chaîne d’actions qui rend possible les opérations spécifiques menées dans le cadre de la guerre “contre-révolutionnaire” : actions de “surveillance” et opérations de terrain pratiquées en petites unités par le biais, parfois, de “ratissages massifs’’.
‘’L’étude des rapports émanant de l’armée de l’air permet de confirmer que le napalm n’a pas été utilisé au Cameroun mais que des cartouches incendiaires, particulièrement dévastatrices ont été (…) utilisées, notamment en avril-mai 1960. Elles provoquent des destructions et des incendies de cases, sans qu’il soit possible de fixer un bilan exact du nombre de victimes’’, indiquent encore les historiens francais et camerounais.
La commission mixte reconnaît s’être « interrogée sur l’emploi du mot “génocide” » : ‘’Si elle ne dispose d’aucune compétence juridique pour qualifier ces pratiques de “génocidaires”, il est indéniable que ces violences ont bien été extrêmes, car elles ont transgressé les droits humains et le droit de la guerre’’, fait observer le rapport remis aux autorités camerounaises et françaises.
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