AA / Tunis/ Yosra Ouannes

Les soirées d'été à Sidi Bousaid, ce petit village dont les balcons se penchent sur les rives de la Méditerranée, ne peuvent s’achever sans la senteur du bouquet de jasmin parfumé qui est aujourd'hui lié au nom du pays et à sa culture.

C’est une fleur d’une blancheur immaculée et timide mais dotée d’un pouvoir captivant et d’un parfum capiteux. Elle est également le symbole de la pureté et de l'authenticité ? le témoin de l'Histoire de la Tunisie et de sa culture, comme l’ont chanté les poètes et les artistes en Tunisie et à l'étranger.

_ Symbole de l’amour et ambassadeur de la beauté.

Le jasmin, cette fleur avait été chantée par Hédi Jouini, un des artistes les plus réputés en Tunisie, par ces mots :"la nuit, sous le feuillage du jasmin, avec la brise et les roses qui m'entourent..." Cette chanson a connu une large audience au point que certains artistes tunisiens et étrangers l’ont reprise à leur compte afin d’en faire le symbole de l'amour et de l'alliance entre amoureux ou amants.

Aussi, cette fleur résume-t-elle toutes les expressions de l'amour et insuffle-t-elle le parfum du rapprochement et de la concorde chez les Tunisiens. Elle a brisé toutes les frontières du pays, traversé des mers et des déserts pour atterrir dans plusieurs pays européens et arriver enfin à l’autre bout du monde en mettant le cap sur le Canada et le Japon.

Également dans ces contrées, le jasmin a décoré les têtes et les mains, a été utilisé sous forme de colliers et de bracelets par les dames et les jeunes filles et devenu par la suite une couronne certie de fleurs blanches qui agrémente les soirées des gens et leurs fêtes.

Le symbolisme de cette fleur a connu son apogée au point que certains n'ont pas hésité à utiliser son nom pour qualifier la révolution de 2011 contre la dictature et l'injustice de "La révolution du jasmin".

_ Sidi Bou Said et les soirées estivales de rêve

Dans ce village de Sidi Bou Said rêveur et ensorcelant, (banlieue au nord de la capitale), les aiguilles de l'horloge s'arrêtent pour céder la place aux fleurs blanches du jasmin.

Dans ce lieu, rien ne captive les visiteurs autant que le jasmin, et rien d’autre ne retient leur attention plus que ces fleurs agencées de différentes façons et d'où se dégage un parfum devenu au fil des temps une des spécificités de la tunisienne Sidi Bou Said.

Comme d'habitude, l’oncle septuagénaire Habib Chlagou s’est installé en compagnie de ses amis, avec sur l'oreille, un bouquet de jasmin dans une attitude qu’on considérait en Tunisie, dans le passé , comme le symbole de la virilité et de la noblesse.

Dans son entretien avec Anadolu, l’oncle Habib a notamment déclaré :" les soirées en Tunisie et particulièrement à Sidi Bou Said, ne peuvent être appréciées sans le parfum du jasmin. Ce petit bouquet aux grandes significations envoûte tout le monde et il n'y a pas de maison à Sidi Bou Said qui n’en dispose pas."

Pas loin de là, le parfum du jasmin se dégage des mains des marchands ambulants vêtus de costumes traditionnels tunisiens et qui déambulent à travers les rues et les étroites impasses, devant les cafés et sur les plages pour présenter leur produit, une fleur dont ils vantent les qualités et la beauté devant leurs invités tunisiens ou étrangers.

Le secret du bouquet de jasmin

La production du bouquet de jasmin obéit à des rites qu’il est difficile à d’aucuns d’exercer, à l'exception de ceux qui les ont pratiqués depuis leur enfance.
Contrairement à la première impression, l'obtention de ce petit bouquet qui agrémente les soirées de Tunis et leurs invités passe par plusieurs étapes.

La première étape consiste à cueillir, tôt le matin, les fleurs de jasmin dans les champs ou les maisons où elles sont plantées, puis à les plonger dans un peu d'eau afin qu'elles ne se fanent pas et gardent leur brillance et leur lumineuse beauté.

Béchir Mimouni, un de ceux qui préparent les bouquets, installé dans son coin habituel à l’avenue Habib Borurguiba au centre de la capitale tunisienne, précisément à côté des boutiques de fleuristes, se charge , en compagnie de jeunes qui travaillent avec lui d’une manière saisonnière , de ranger les fleurs avec élégance sur les tiges d’alfa avant de les attacher avec un fil de qualité. Et c'est ainsi que se termine la préparation de ces bouquets réputés dans le pays.

Béchir a confié à Anadolu que sa relation avec le bouquet de jasmin est une véritable histoire d'amour dans la mesure où il a exercé ce métier pendant 30 ans, devenu sa seule source de revenus et lui permettant d'assurer l'existence de ses enfants.

En souriant , il a déclaré que le jasmin est toute sa vie, qu'il ne peut pas vivre sans lui, ajoutant que cette fleur dont les clients sont tunisiens et étrangers est devenu un véritable ambassadeur du tourisme tunisien et un promoteur

A ce propos, Lotfi Lahmar, un des spécialistes en matière de préparation de bouquets de jasmin, a fait valoir que le jasmin est arrivé à Paris et même au Japon où il est racheté une fois par semaine, puis placé dans des récipients qui contiennent une quantité limitée de glace afin qu’il garde sa fraîcheur pendant au moins cinq jours. Par la suite, il est vendu aux Tunisiens et aux étrangers à l'occasion de leurs fêtes.

Il a souligné que la culture du jasmin , qui exige beaucoup d'attention et d'intérêt , a été héritée de père en fils. "C'est un travail ardu nécessitant beaucoup de patience et d'expérience de la part de spécialistes qui savent harmoniser l'agencement de ces fleurs.

L'histoire de toute une vie

La production du bouquet de jasmin s'épanouit pendant l'été où ces fleurs éclosent dès le début de cette saison et pourrait se poursuivre jusqu'au mois de décembre si la température restait agréable.

Sur le trottoir de l'avenue Habib Bourguiba, Ali Mimouni, sexagénaire qui confectionne les bouquets de jasmin , a confié à Anadolu qu’il ne peut imaginer sa vie sans cette fleur qui a accompagné toutes les étapes de son existence et qui présente entièrement les détails de sa vie.

Il a estimé que cette fleur partage avec lui les mêmes sentiments d'amour, ajoutant que cette fleur à laquelle il voue beaucoup d’affection, l’a accompagné durant les plus importantes étapes de sa vie et les produits de sa vente lui ont permis d’assurer son existence et d’assurer les études de ses enfants qui bénéficient aujourd'hui des meilleurs postes.

Le sujet de l'histoire de cette fleur, Ali dont les bouquets décorent les plus importantes manifestations politiques, culturelles et officielles, a rappelé que celle-ci a été ramenée des pays du Moyen Orient par l'intermédiaire du dénommé Sidi Kacem Jelizi, spécialiste pourtant dans le domaine du carrelage, du bâtiment et de l'immobilier.

Il a ajouté que Jelizi a tout d'abord ramené le jasmin en Espagne puis en Tunisie, précisant qu’il existe des variétés de cette fleur, le beldi (tunisois), le turc , le chémi (levantin)...