Analyse, Afrique

Les élections libyennes ballottées entre entraves internes et interventions étrangères (Analyse)

- L'Administration de Biden place le départ des mercenaires russes et l'organisation d'élections présidentielle et législatives en tête des priorités de sa politique étrangère concernant le dossier libyen

Mustafa M. M. Haboush  | 08.06.2021 - Mıse À Jour : 09.06.2021
Les élections libyennes ballottées entre entraves internes et interventions étrangères (Analyse)

Libyan

AA / Istanbul / Ihsen al-Fakih


La Libye progresse sur la voie de la stabilité au terme d’une décennie de guerre civile, aggravée par l'intervention de forces régionales et internationales, qui ont contribué à attiser et à prolonger le conflit.
Le pays souffre de scissions tribales et régionales et d’ingérences extérieures directes ou via des groupes de mercenaires étrangers, avec une absence quasi-totale du rôle américain, depuis le départ de l'ancien président, Barack Obama, de la Maison Blanche, en 2017.

L’Administration d'Obama avait participé, aux côtés des forces de l'OTAN, au renversement du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
Les Etats-Unis et les pays de l'Union européenne (UE) considèrent qu'il était impératif de mettre fin aux interventions russes et à la présence militaire de Moscou via les mercenaires de « Wagner », l'objectif étant, selon eux, de garantir la tenue d'élections démocratiques et transparentes.

Washington estime que le Conseil présidentiel libyen, qui est chargé de mener une réconciliation nationale inclusive afin de garantir un taux acceptable de participation aux élections prévues à la fin de l'année, fait face à une série de défis.

Les observateurs du dossier libyen considèrent que la nouvelle Administration américaine, conduite par Joe Biden, a renoncé à la politique de neutralité dans la crise libyenne adoptée par l’Administration qui l'a précédée, celle du président Donald Trump.

L'Administration de Biden place le départ des mercenaires russes et l'organisation d'élections présidentielle et législatives en tête des priorités de sa politique étrangère concernant le dossier libyen.
Washington a « menacé de sanctionner quiconque s’emploierait à saper les élections en Libye », selon les termes utilisés par Jake Sullivan, Conseiller à la Sécurité nationale, le 13 mars dernier. Il avait affirmé l'importance de parvenir au départ des forces étrangères, afin d'appuyer et de consolider le processus politique.

L'Accord de cessez-le-feu signé entre les protagonistes libyens, en octobre 2020, a balisé la voie à la formation d'un gouvernement d'Union nationale provisoire, qui a été investi d’une mission déterminée, celle de préparer des élections législatives et présidentielle, devant se tenir, le 24 décembre prochain, date qui correspond à la célébration annuelle de l'indépendance de la Libye.

Des représentants du gouvernement de l'Entente nationale, dont le mandat s'est achevé, il y a quelques mois, et de l'Armée nationale libyenne ont signé un Accord de cessez-le-feu, qualifié par les Nations unies d'accord « historique », à Genève en Suisse, en date du 23 octobre de l'année écoulée.

Le Forum du Dialogue politique libyen, qui s'est tenu également à Genève, au début du mois de février 2021, a réussi à choisir une nouvelle autorité exécutive provisoire, après le succès d'une liste qui comprend l'actuel Chef du gouvernement, Abdelhamid Dbeibeh, le président du Conseil présidentiel, Mohamed el-Manfi, et deux autres membres dudit Conseil.

Les Nations Unies ont piloté le processus de formation du gouvernement provisoire, chargé de l'organisation des prochaines élections, du lancement des efforts de reconstruction, de l'amélioration des conditions de vie et des services offerts aux Libyens, et de l'unification des institutions de l'Etat, sur la base des arrangements conclus par la Commission « 5 + 5 » et ce, au cours de la période transitoire dirigée par l'actuel Chef du gouvernement intérimaire.

Le Parlement libyen avait accordé sa confiance, le 10 mars dernier, au gouvernement de Dbeibeh. Ainsi, la Libye est dirigée, pour la première fois depuis 2014, par une autorité exécutive unie, et les résultats du Forum de Dialogue politique ont été salués, aussi bien aux plans interne, régional qu’international, bien qu'il s’agît d'une autorité intérimaire.

La Communauté internationale compte sur le gouvernement provisoire d'Union nationale pour prendre des mesures concrètes, en vue de couronner de succès la phase transitoire, jusqu’à l'amener au bon port des élections générales, prévues le 24 décembre 2021.

Les scrutins législatif et présidentiel du 24 décembre seront précédés d'un référendum populaire, qui a pour objet l'approbation d'un draft de la Constitution, élaboré en 2017 par une commission élue, mais qui n'a pas été soumis au vote populaire jusqu’à présent.
Le gouvernement provisoire conduit par Dbeibeh fait face à une série de défis dans ses efforts destinés à organiser les élections, tout en préservant, en même temps, le cessez-le-feu.
Le gouvernement de Dbeibeh et le Conseil présidentiel libyen demeurent méfiants à l'égard de la présence des mercenaires étrangers sur le sol national et ont souligné, à maintes reprises, l'impératif que ces mercenaires quittent le territoire libyen.
Les observateurs de la scène libyenne estiment que parmi les principales causes qui ont abouti à la création du gouvernement d'Union nationale, figure la volonté de la Communauté internationale à parvenir à une résolution politique du conflit interne, après l'arrivée à la Maison Blanche des Démocrates, qui sont convaincus de la nécessité de rectifier les erreurs commises lors du mandat du précédent président démocrate, Barack Obama.
De plus, l'échec de la tentative du général à la retraite, Khalifa Haftar de la prise d'assaut de la capitale Tripoli après le début d'une attaque d'envergure, en date du 4 avril 2019, fait partie également des motifs et causes ayant milité en faveur de la création du gouvernement d'Union.
L'Administration américaine avait, nommé le 10 mai dernier, Richard Norland, ambassadeur de Washington à Tripoli, de même que le Secrétaire d'Etat-adjoint, Joey Hood, s'était rendu dans la capitale libyenne, où il s'est entretenu avec plusieurs hauts responsables, dont Dbeibeh.
Washington avait désigné, également, un émissaire spécial de la Maison Blanche pour la Libye, afin d'accélérer le rythme du processus politique et d’exercer une pression pour mettre en œuvre la feuille de route convenue, dont le principal élément demeure la tenue d’élections législatives et présidentielle à la fin de la présente année.
Les Etats-Unis concentrent leur action sur la nécessité d'expulser les forces étrangères du territoire libyen ainsi que sur l'interdiction de toute forme d'ingérence étrangère, régionale ou internationale, en tant que prélude au déroulement des prochaines élections, sur lesquelles compte l'Administration de Biden pour extirper la Libye de l'état de guerre et d'instabilité qui l'ont secouée pendant environ une décennie.
Les Etats-Unis se basent aussi sur les conclusions de la Conférence de Berlin, organisée le 19 janvier 2020, qui n'avait pas abouti au cessez-le-feu, mais qui avait tout de même jeté les bases et les principes de sortie de crise avec l'accord des parties locales, qui sont convenues de la nécessité à ce que les groupes paramilitaires remettent leurs armes et que les forces étrangères quittent le pays, pour préparer au mieux les prochaines élections.
L'Allemagne envisage, en coordination avec les Nations Unies, d’organiser, le 23 juin courant, la Conférence de Berlin II, avec la participation de plusieurs pays et organisations, pour discuter des préparatifs engagés en prévision de la tenue des élections et pour souligner l'importance qu'il y a à ce que les forces étrangères et les mercenaires quittent la Libye comme convenu dans l'Accord de cessez-le-feu.
En plus, les participants à la Conférence discuteront de l'unification des institutions libyennes, militaires et sécuritaires, selon un communiqué du ministère allemand des Affaires étrangères.
La diplomatie allemande a considéré la « Conférence comme étant l’illustration de l'appui international constant à la réalisation de la stabilité en Libye, dès lors que la communauté internationale est entièrement disposée à apporter son appui, profond et constructif, au processus de paix conduit par les Nations Unies en Libye ».
Haftar, qui a été affaibli et qui ne bénéficie plus du même appui aux plans intérieur et extérieur, après son échec à prendre le contrôle de Tripoli, s'emploie à améliorer son image devant les Libyens.
Cette tentative se concrétise à travers le soutien affiché par Haftar au processus de paix et à la transition démocratique en Libye, ou à travers ses promesses, portant amélioration des conditions de vie et construction de nouveaux logements, faites aux Libyens, ou encore via la démonstration de force qui s’est illustrée par l'organisation d’un défilé militaire de ses forces, dont le dernier en date a été marqué par le crash d'un avion de combat et la mort du pilote.
La position de Haftar vis-à-vis du gouvernement d'Union nationale provisoire demeure mystérieuse et sceptique, ce qui a poussé nombre d'observateurs à faire part de leurs appréhensions de l'échec du processus de paix dans le pays.
Au cours du défilé militaire du 29 mai dernier, Haftar avait souligné que « ses forces et unités n’hésiteront pas à s'engager à nouveau dans les combats, pour imposer, de force s'il le faut, la paix au cas où la résolution pacifique convenue serait entravée ».
Il semble que les forces et les parties, internationales et régionales, qui appuient Haftar, ne sont pas concernées ou intéressées par le soutien au gouvernement intérimaire dans sa mission d'organiser des élections législatives, autant qu'elles le sont par la mise en œuvre de leurs politiques en Libye et de garantir leurs intérêts névralgiques, en particulier, aux plans sécuritaire et économique.
Les Etats-Unis et l'UE appuient la tenue des prochaines élections de manière officielle, franche et directe.
Il importe pour les pays de l'UE, en dépit de certaines divergences constatées dans les positions de certaines capitales, de jeter les bases de la paix et de la stabilité en Libye, pour contrôler l'immigration clandestine et les éventuelles menaces terroristes, sans omettre leur intérêt porté aux juteux contrats de la reconstruction et aux investissements dans les différents secteurs de production, en particulier celui de l'énergie.

*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou


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