Cameroon
AA/Peter Kum
Depuis 2013, les anti-balaka ont tué des centaines de musulmans et mené des attaques meurtrières contre des campements de Peuls, majoritairement des nomades musulmans. Ces attaques ont conduit au déplacement massif d’habitants musulmans. La minorité musulmane souvent soupçonnée de collusion avec les ex-rebelles de la Séléka, se voit stigmatisée, voire régulièrement persécutée.
Début janvier 2014, la RCA est devenue un champ de bataille où s’étaient opposés miliciens anti-Balaka (présentés comme des milices chrétiennes) et combattants de l’ex -Séléka (composée de combattants majoritairement musulmans).
Au début de la crise actuelle en République centrafricaine (RCA), un nettoyage ethnique systématique a été perpétré contre la communauté musulmane centrafricaine vivant dans la capitale Bangui et dans les provinces du sud et de l’ouest du pays.
« Plusieurs centaines de milliers de musulmans ont été forcés de fuir vers des pays voisins tels que le Cameroun ou le Tchad pour échapper à la mort ; d’autres sont restés piégés dans leurs propres villes, vivant dans des enclaves et protégés par les forces internationales », a souligné Enrica Picco, directrice du projet Afrique centrale à l'International Crisis Group.
« Les biens et propriétés qu’ils ont laissés ont été pillés, voire complètement détruits, pour les empêcher de revenir à l’avenir. Les maisons ont été vendues ou occupées par d’autres membres de la même communauté », a-t-elle ajouté.
« Associant les musulmans à la Séléka, les anti-balaka ont mené des attaques de représailles à grande échelle contre des civils musulmans à Bangui et dans les régions occidentales du pays », a rappelé l’ONG Human Rights Watch dans un rapport publié le 3 mai 2022.
« La dimension religieuse de la crise, longtemps subodorée, était devenue réalité. Au fil des jours, les musulmans de Bangui étaient expulsés de quartiers entiers. La tendance s’est reproduite dans les zones rurales. Une sorte de chasse macabre aux musulmans semblait s’être ouverte », explique à l'Agence Anadolu, Hamadou Bubu, commerçant musulman au marché de Bangui.
- Court répit
En 2016, la RCA a connu un léger afflux de rapatriés à partir du Cameroun, du Tchad, du Soudan et du Congo, principalement en raison du développement pacifique du processus électoral, et de la mise en place de nouvelles autorités nationales légitimes avec l’élection du président Touadéra.
Cependant, la reprise de la violence et des attaques fondées sur l’appartenance ethnique et l’identité a, non seulement, mis fin à cette tendance, mais a également conduit de nombreux rapatriés notamment des musulmans à retourner dans leur pays d’asile.
« En quittant leurs villages, les déplacés laissent tout sur place. Leurs biens et propriétés sont alors souvent détruits, volés ou occupés. Il arrive même que les autorités locales refusent de rendre les biens ou intimident les personnes afin qu’elles ne réclament pas ce qu’elles ont laissé. Il reste également un fort ressentiment à l’égard des populations musulmanes qui sont une minorité en RCA, à hauteur de 10 à 15 % de la population », rappelle l’imam Abdoulaye Ouasselegue, secrétaire général du Conseil supérieur islamique de Centrafrique.
Selon Bienvenu Djangha, docteur en sociologie, maître de conférences à l'Université de Bangui, expert en réintégration et relèvement communautaire, « la majorité des Centrafricains perçoivent les musulmans comme des étrangers, venus du Tchad ou du Sud Soudan ».
Les discriminations auxquelles ils font face sont nombreuses, depuis les contrôles de police jusqu’aux refus de les employer, notent plusieurs experts. « Les profondes lacunes de l’administration centrafricaine les prive également le plus souvent de documents d’identification nationale, ce qui contribue à leur marginalisation », relève Bienvenu Djangha.
- Le PK5, un quartier chaud
A Bangui, le quartier majoritairement musulman du PK5 a été longtemps l'un des épicentres de la grave crise politico-militaire qui secoue la Centrafrique depuis le renversement en 2013 du président François Bozizé par l'ex-rébellion à dominante musulmane de la Séléka, et une contre-offensive des milices antibalaka pro-chrétiennes.
Au lendemain d'un attentat meurtrier à la grenade pendant un concert dans un café de la capitale centrafricaine en novembre 2017, des représailles ont visé les habitants de ce quartier, faisant plusieurs morts.
Le PK5 (le Point Kilomètre 5), a été au cœur du conflit meurtrier de 2013 en Centrafrique. La population à forte majorité musulmane a été accusée d’avoir été un soutien actif de la Séléka, le mouvement armé qui avait alors pris le contrôle de Bangui.
Le 25 décembre 2019, au moins trente personnes avaient été tuées dans ce même quartier, lors d'affrontements entre miliciens et commerçants musulmans.
« La capitale Bangui est loin d’être une oasis de paix malgré la présence des forces de l’ONU et des FACA (Forces armées centrafricaines, NDLR). Beaucoup d’habitants musulmans des 3ème et 5ème arrondissements disent ne pas avoir de problèmes chez eux, mais ne pas se sentir en sécurité en dehors de leurs quartiers et être quasiment assignés à résidence », explique l’Imam de la grande mosquée de Bangui au quartier PK5, Сheikh Tidjani.
- Cercle vicieux
Certains observateurs estiment que la minorité musulmane en Centrafrique, qui ne reste toujours pas les bras croisés, provoque aussi parfois la majorité chrétienne. Un cercle vicieux de violences s'est, ainsi, peu à peu installé, rendant la situation parfois invivable.
« Le 1er mai 2018, des hommes armés attaquent en plein office l’église catholique de Fatima, à Bangui, capitale de la Centrafrique. Le bilan est lourd: 16 morts, dont le curé, et près de 100 blessés. En représailles, une mosquée est incendiée et deux personnes (musulmanes) sont brûlées vives », se rappelle Jonathan Kollé, personnel à la mairie de Bangui.
Mais les incidents concernant des attaques contre les musulmans ,qui se faisaient de plus en plus rares, se sont multipliés récemment.
L’armée centrafricaine a été par ailleurs accusée dimanche 15 mai dernier d’avoir tué plusieurs musulmans dans la localité de Nzakoundou au nord-ouest du pays.
« Plusieurs personnes de l’ethnie peule, dont des enfants et des femmes ont été tués dimanche 15 mai dans un village du nord-ouest de la République centrafricaine par les éléments des forces armées centrafricaines (FACA) », a rapporté le 16 mai, le journal local, Corbeau News, ajoutant que les victimes ont perdu également près d’une centaine des bœufs dans cette attaque.
« Et ce n’est pas pour la première fois, c’est devenu une source d’enrichissement de nos forces de défense et de sécurité », a relevé le journal.
Dans un rapport publié le 12 février 2014, Human Rights Watch a noté que « les attaques contre les communautés musulmanes se sont souvent traduites par des actes de violence extrêmement choquants ».
Cette ONG a détaillé que « dans chacun de ces cas, les mains des victimes ont été coupées, et dans certains cas les mutilations allaient jusqu’à couper les organes génitaux et les jambes des victimes ».
Selon l’ONG Crisis Group, « l’Ouest de la RCA est toujours le théâtre d’une véritable persécution des populations musulmanes, ce qui explique qu’une grande majorité des réfugiés centrafricains musulmans qui ont fui vers l’est du Cameroun et le sud du Tchad » depuis des années et n’osent toujours pas rentrer chez eux.
Cette ONG a estimé que « la communautarisation du conflit a ravivé la question de l’autochtonie, en désignant les musulmans et notamment les Peuls, comme des étrangers comme ce fut le cas en 2014, au plus fort de la crise ».
- Régler les questions d’identité et de citoyenneté
D’après Bienvenu Djangha, « les questions d’identité et de citoyenneté doivent être réglées pour envisager un retour plus serein et une inclusion effective sur tout le territoire ».
Human rights watch a invité le gouvernement de la République centrafricaine ainsi que les forces de maintien de la paix à « prendre des mesures urgentes pour protéger la population musulmane restée sur place contre les opérations de représailles menées par les milices majoritairement chrétiennes et des habitants qui leurs sont alliés ».
L'imam Abdoulaye Ouasselegue estime pour sa part que l’instrumentalisation de la religion « a laissé des stigmates » au sien de la communauté musulmane.
« Moi et le cardinal Nzapalainga, nous sillonnons souvent le pays ensemble pour prêcher la parole de paix entre les deux communautés. Lors d’une de ces entrevues, nous avons manqué d’être kidnappés par des hommes armés », explique-t-il.
L’engagement de l’Imam aux côtés du cardinal suscite l’hostilité d’une partie de la communauté musulmane, minoritaire dans un pays majoritairement chrétien.
« L’histoire de la Centrafrique est l’histoire de la diversité de son peuple. Chrétiens et musulmans ont toujours commercé ensemble et ont toujours vécu en harmonie. Le pays ne pourra pas se reconstruire sans l’une des deux communautés. Il faut non seulement faire la paix mais également inciter les musulmans qui ont fui le pays à revenir chez eux », argumente Monseigneur Nzapalainga, l’archevêque de Bangui.
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