Analyse, Afrique

RD Congo : La lutte des albinos pour leur reconnaissance

- Alarmés par la situation des albinos en province, des acteurs associatifs de la capitale congolaise s’investissent pour secourir les enfants menacés en les accueillant, et parfois-même en les adoptant. C’est le cas de la Fondation Pauline Albinos.

Hakim Maludi  | 13.06.2023 - Mıse À Jour : 13.06.2023
RD Congo : La lutte des albinos pour leur reconnaissance

Kinshasa

AA/ Kinshasa / Hakim Maludi

Depuis quelques années à la date du 13 juin, la journée internationale de sensibilisation à l’albinisme permet de mettre en lumière la situation des albinos en République démocratique du Congo. Dans les zones les plus reculées du pays, les albinos sont attaqués, mutilés ou tués au cours de rituels de sorcellerie. Dans l’espoir d’obtenir guérison, chance, prospérité ou protection, des organes d’albinos sont vendus et alimentent des croyances occultes dont les autorités peinent à prendre la réelle mesure. Ces pratiques, qui restent rares et marginales en RDC, reflètent une pensée parfois encore archaïque et rétrograde au sujet des albinos. Dans un rapport réalisé en 2021 par Ikponwosa Ero, experte indépendante des Nations unies sur l’exercice des droits de l’homme par les personnes atteintes d’albinisme, il apparaît qu' « une étude réalisée en République démocratique du Congo a révélé que 22 % des personnes atteintes d’albinisme étaient victimes de discrimination au sein de leur famille et que 66 % faisaient l’objet de discrimination dans la population en général »(1).

Si les mentalités tendent à évoluer dans les grandes métropoles congolaises, l’obscurantisme qui règne dans certaines zones rurales continue de mettre en péril la sécurité des albinos en RDC.

- L’albinisme en RDC : De l’ignorance à la stigmatisation


Affection génétique et héréditaire causant l’absence de mélanine dans la peau, les yeux et les cheveux, l’albinisme reste largement méconnu au Congo, plus particulièrement au sein des populations peu éduquées du territoire. Le manque de sensibilisation et l’ignorance à son sujet accentuent la diffusion de préjugés et favorisent la stigmatisation des albinos par le biais de superstitions ancestrales. S’il est difficile de retracer l’origine historique exacte de ces croyances, celles-ci sont partagées avec d’autres régions du continent comme en Afrique de l’Ouest, mais également dans la culture bantoue. Dans des pays tels que la Tanzanie ou le Malawi, certains ont la conviction que les os des albinos contiennent de l’or. Cette croyance va jusqu’à entraîner des profanations de tombes ou des meurtres contre des albinos.

En RDC, les superstitions se confondent au sujet des albinos, principalement dans le centre et l’est du pays. Parfois considérés comme symboles de malheur ou comme des sorciers, les albinos restent largement associés à la chance et à la prospérité qu’ils garantiraient à ceux qui les sacrifieraient ou obtiendraient certains de leurs organes. Véhiculées par des chamanes faisant à la fois office de guérisseurs, de médecins et de psychologues auprès de familles désœuvrées, ces croyances motivent le passage à l’acte et la commission de crimes contre les enfants albinos. Principales cibles de ces rituels, les mineurs sont particulièrement exposés et ne bénéficient d’aucune mesure de protection particulière dans les régions concernées. Le dernier crime répertorié dans le pays date du mois de février 2023 dans la province du Sud-Kivu, à l’est du Congo. Enlevé par des inconnus, le corps d’un enfant albinos de 5 ans avait été retrouvé au bout de quelques jours sans tête ni jambes à Kalehe.


- À Kinshasa, le monde associatif au secours des albinos

Alarmés par la situation des albinos en province, des acteurs associatifs de la capitale congolaise s’investissent pour secourir les enfants menacés en les accueillant, et parfois-même en les adoptant. C’est le cas de la Fondation Pauline Albinos, qui se présente comme la seule structure d’hébergement au monde réservée exclusivement aux enfants albinos. Fondé en 2014 par Pauline Musawu et son époux Cheikh Diallo, cet orphelinat unique au Congo s’est donné pour vocation de secourir tous les albinos en danger du pays.

« Au départ, nous avons pris cette initiative par rapport à l’urgence de la situation au Kasaï-Central, où les conflits coutumiers se multipliaient et où les enfants albinos étaient menacés. J’ai dépêché mon épouse à Kananga pendant 6 mois et ce qu’elle y a vu l’a tellement touchée qu’elle m’a convaincu d’agir en faveur des albinos, et je l’ai soutenue dans cette démarche. C’est une époque où il y avait beaucoup de sacrifices d’albinos dans cette partie du pays et on trouvait énormément d’enfants seuls, qui avaient été abandonnés ou dont les parents étaient décédés », nous confie Cheikh Diallo, responsable du centre d’hébergement de la Fondation Pauline Albinos.

Et d'ajouter : « Au début de l’année 2015, nous avons pu sauver 50 enfants que nous avons emmenés ici à Kinshasa. Nous avons ensuite commencé les démarches administratives pour la reconnaissance de notre Fondation et nous avons décidé d’adopter systématiquement tous les enfants que nous recueillions. Aujourd’hui, nous avons 127 enfants dans cet orphelinat et 9 qui sont un peu plus âgés (16, 17 ans) qui vivent à l’internat. Tous ces enfants portent le même nom de famille que la fondatrice Pauline Musawu et ils nous appellent papa et maman ».

En dehors des cas de violence extrême observés en province, les enfants albinos recueillis dans les villes présentent des profils similaires d’exclusion intra-familiale. La Fondation compte en son sein un grand nombre d’enfants victimes du rejet de leurs parents et considérés comme des orphelins à part entière. Elle assure leur hébergement, leur scolarité au sein des écoles publiques de la capitale et pourvoit également aux importants frais de santé qu’exigent la sensibilité de la peau et des yeux des albinos.


Alexis Kasanda, responsable général de la Fondation Pauline Albinos témoigne : « Nous avons tous les cas réunis ici. La majeure partie des enfants que nous avons ici sont des orphelins. Il y a aussi des enfants abandonnés que l’on trouve le matin devant notre porte. Leur histoire est assez similaire, avec par exemple une mère qui a prétexté une sortie pour faire des courses et qui n’est jamais revenue. D’autres fois, nous sommes contactés par des personnes qui nous signalent la présence d’enfants albinos abandonnés à tel ou tel endroit de Kinshasa, voire du pays, et nous nous organisons pour aller les récupérer ».


- Le retour du festival « Fièrement ndundu » et l’appel à l’intégration des albinos


La journée internationale de sensibilisation à l’albinisme marque le retour à Kinshasa du festival « Fièrement ndundu » (2), après deux ans d’absence. Lancé pour la première fois en 2015, l’événement qui se tiend du 12 au 13 juin à Kinshasa se présente comme une affirmation de soi des albinos (ndundu en lingala) et une invitation à davantage de tolérance dans la société. Pour cette 6ème édition, Yan Mambo, initiateur du festival, souhaite axer les célébrations autour du thème « Plus de couleurs ».

« C’est un concept qui consiste à mixer toutes les différences de couleurs de peau dans une communauté et de les mettre ensemble dans une parfaite harmonie », a-t-il expliqué au cours d’une interview accordée le 4 juin courant au site Congo Profond. « Mais la particularité de Fièrement Ndundu, c’est surtout de pousser la personne atteinte d’albinisme à accepter son identité telle qu’elle est. La plupart d’entre vous êtes conscients qu’il y a dix ans ou quinze ans, c’était une insulte que d’être traité de ndundu dans la rue… Aujourd’hui, je pense que le travail est encore long, mais la plupart des albinos ne seront aucunement gênés d’être appelés ndundu. Ils s’assument tels qu’ils sont. Pour moi, c’est la plus grande des victoires ».

Si les mentalités tendent à évoluer au sujet des albinos au Congo, c’est également du fait de personnalités célèbres elles-mêmes atteintes d’albinisme et engagés contre les préjugés et la discrimination. Décédé le 30 août 2020, l’ancien catcheur congolais Mwimba Texas fut l’une des premières stars albinos à s’engager ouvertement pour les droits des ndundu. Dans un autre registre et bien plus connu au sein de la diaspora, le rappeur français d’origine congolaise Kalash Criminel multiplie les références à sa condition d’albinos en lançant des appels à la tolérance et à l’intégration en RDC comme ailleurs.

Du côté du gouvernement congolais, si l’on soutient les initiatives d’associations qui œuvrent en faveur du respect des droits des albinos, certains, comme Cheikh Diallo, regrettent que l’État ne s’implique pas davantage dans cette cause.

« Nous sommes obligés de solliciter de l’aide financière auprès de donateurs et de partenaires associatifs, parce que l’État ne fait rien de concret pour nous. Nous sommes plein d’espoir et convaincus d’agir pour le bien. Nous souhaitons déménager et investir dans un orphelinat plus grand pour accueillir plus d’enfants, moderniser et mieux équiper nos structures, mais sans l’aide de l’État congolais, je ne vois pas comment nos projets pourraient se concrétiser ».


(1) « L’albinisme dans le monde : à l’aune des Droits de l’homme »

https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Albinism/Albinism_Worldwide_Report2021_FR.pdf

(2) « Albinos » en lingala


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