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Tunisie : la bataille de Ben Guerdane, une épopée de résistance

- Ben Guerdane qui était longuement stigmatisée d’être le « Wall Street des contrebandiers » et la ville « incubatrice » des extrémistes, est devenue, en si peu de temps, une ville de renommée internationale, un symbole de la résistance tunisienne.

Wejden Jlassi  | 07.03.2022 - Mıse À Jour : 07.03.2022
Tunisie : la bataille de Ben Guerdane, une épopée de résistance

Tunisia

AA/Tunis/Wejden Jlassi

Six ans se sont écoulés depuis la bataille de Ben Guerdane, au cours de laquelle un destin commun a uni des hommes et des femmes si soudés par leur attachement à la patrie et leur désir évident d’en découdre tenacement avec l’ennemi qui n’était autre que l’organisation terroriste « Daech ».

C'était le lundi 7 mars 2016. Peu avant l'orée de l'aube, des affrontements avaient opposé les forces spéciales tunisiennes à des membres armés de l’organisation terroriste qui tentait d’étendre son périmètre d’action jusqu’en Tunisie dans le but d’installer un « émirat » à Ben Guerdane, en ayant l’absurde illusion de faire de cette région, une base arrière essentielle à son expansion.

Ben Guerdane qui était longuement stigmatisée d’être le « Wall Street des contrebandiers » et la ville « incubatrice » des extrémistes, est devenue, en si peu de temps, une ville de renommée internationale, un symbole de la résistance tunisienne et des valeurs universelles face à la barbarie de Daech. Grâce à la solidité du Front intérieur (forces de sécurité et citoyens…), c'est le mythe de l'invincibilité de cette organisation terroriste qui s’était écroulé.

*Que s’est-t-il passé le 7 mars 2016 ?

Les habitants de la région de Ben Guerdane, située dans le sud-est de la Tunisie, à seulement 32 kilomètres de la frontière libyenne, se sont réveillés atterrés, lundi 7 mars 2016, à la suite d’une attaque terroriste d’ampleur inédite perpétrée contre leur ville, et au cours de laquelle des dizaines de personnes sont mortes, dont des membres des forces de l’ordre et des civils.

Brandissant leur bannière noire, les assaillants ont attaqué, dans un laps de temps, et de façon coordonnée une caserne de l'armée tunisienne, un poste de police et le quartier général de la garde nationale.

Au total, l’attaque a fait 13 morts parmi les forces de sécurité et 7 parmi les civils. Côté assaillants, le bilan est lourd, avec au moins 46 tués et des dizaines d’interpellations.

Se laissant leurrer par leur essor en Libye voisine et de la réputation de la ville tunisienne, considérée comme point de passage de tous les trafics, et une frontière poreuse aux éléments extrémistes, les membres armés de Daech ont sillonné les quartiers de Ben Guerdane avec des mégaphones en appelant la population à les soutenir et à prendre leur camp contre le « régime impie » (« tâghoût »).

Contrairement à leurs attentes, les habitants ont même « joué les boucliers humains », déterminés en tout état de cause, à barrer la route à la progression de ces groupes armés.

« Les images filmées par les habitants sont très révélatrices: on voit les forces armées tunisiennes suivies et appuyées par la population, des dizaines de jeunes positionnées derrière chaque soldat, pour filmer, observer, soutenir. On se souvient d'images hautement emblématiques de jeunes lançant des cailloux sur des terroristes ou encore des forces de sécurité applaudies. Très vite, les terroristes vont se retrouver traqués à la fois par les forces de sécurité, mais aussi par les habitants de Ben Guerdane eux-mêmes. Une partie des éléments terroristes sont tués lors des combats, et plusieurs dizaines sont capturés », explique Christophe Cotteret, réalisateur de documentaires à l'Agence Anadolu, en évoquant des moments marquants de l'attaque.

« Mon pays passe avant mes enfants », c’est ce qu’avait déclaré Mabrouk Mouathek Bougdima, un habitant de la ville, peu après la mort tragique de sa fille Sarah (12 ans), tuée dans les affrontements entre les forces de l’ordre et les terroristes. Cette phrase culte, chargée de tant de signification, a eu une forte résonance sociale. Dès lors, elle est restée gravée dans la mémoire collective.

* la Résistance triomphe

Pour Christophe Cotteret, l'attaque contre Ben Guerdane s'inscrit dans un contexte national et international précis. D'une part, elle constitue l'apogée d'un terrorisme coordonné sur le territoire tunisien, après les attaques de Bardo, Sousse, et contre le bus de la Garde Présidentielle à Tunis au cours de l'année 2015. Autant d'actes terroristes commandités depuis Raqqa en Syrie, siège "politique" de Daech, qui souhaite déstabiliser la récente démocratie tunisienne.

Mais elle en constitue aussi la fin. Suite à l'attaque, la plupart des réseaux d'armes vont être démantelés et il sera impossible, depuis, pour les terroristes d'opérer la moindre opération d'envergure sur le territoire tunisien.

"Ces attaques interviennent 3 semaines après le bombardement américain sur le camp d'entraînement de Daech à Sabratha, connu pour former notamment les recrues tunisiennes. L'attaque contre Ben Guerdane peut être interprétée comme une revanche symbolique des terroristes en réponse à Sabratha. Mais également comme le signe d'une faiblesse, comme un dernier baroud d'honneur de combattants de Daech aux bases arrière fragilisées", a expliqué Cotteret.

Six ans plus tard, la justice tunisienne a enfin rendu son verdict, vendredi 4 mars, dans l'affaire relative aux événements de Ben Guerdane qui compte 96 accusés.

La chambre criminelle spécialisée dans les dossiers de terrorisme a prononcé 16 condamnations à la peine de mort. Quinze autres prévenus ont écopé de la réclusion à perpétuité, deux ont été condamnés à 30 ans de prison, deux à 27 ans de prison, sept à 24 ans de prison et trois à 20 ans derrière les barreaux.

Pour les inculpés restants, des peines de quatre à 15 ans de détention ont été décidées et quelques-uns (sans préciser leur nombre) ont bénéficié d'un non-lieu.

Ces condamnations prononcées pour de tels faits permettraient aux habitants de Ben Guerdane de tourner la page d'une terreur qui a failli plonger leur ville, voire toute la Tunisie, dans les ténèbres.

L'histoire retiendra que Ben Guerdane n’a pas cédé au son des trompettes de Daech, et que les Tunisiens face à l’épreuve du terrorisme, se sont montrés déterminés à purger leur pays de ce fléau polymorphe qui défie les limites de la géographie. La réaction des locaux à Ben Guerdane aux côtés des forces de l’ordre a démontré que l’absence de base territoriale accueillante est peut-être aussi une des causes les plus sûres de la défaite des groupes terroristes.

« Symboliquement, l'image que renvoie l'attaque contre la ville de Ben Guerdane est sans appel: Daech ne bénéficiera en Tunisie d'aucun soutien, ni même d'une tacite bienveillance, de population locale sur le territoire tunisien », a souligné notre réalisateur.

Il est indéniable que Daech est en perte de vitesse ces derniers temps. Néanmoins, on ignore toujours les principales zones d'influence de cette organisation terroriste dans les prochaines années.

La compréhension de la menace terroriste, actuelle ou future, a montré qu'un lourd arsenal ne suffit pas à juguler le déferlement des groupes extrémistes. La solidité du front intérieur, la stabilité politico-économique, l'apprentissage constant ainsi qu'un investissement pérenne dans l'éducation des générations à venir constituent de véritables remparts au terrorisme.

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