Analyse, Journal de l'Islamophobie

De l’islamophobie à la haine communautaire : la France dans une impasse hystérique (Analyse)

Orkun Elmacıgil  | 26.10.2020 - Mıse À Jour : 27.10.2020
De l’islamophobie à la haine communautaire : la France dans une impasse hystérique (Analyse)

Ankara


AA / Orkun Elmacıgil *


Suite à la projection des caricatures insultantes sur les hôtels de région, envers le prophète Mahomet à Toulouse et à Montpellier, la France affirme symboliquement qu’elle traitera les musulmans comme ses citoyens, uniquement s’ils renoncent à leur identité religieuse. Des notions telles que l’État de droit, les droits et libertés fondamentaux, la présomption d’innocence se trouvent heurtées à une partialité lorsqu’il faut l’appliquer aux citoyens de confession musulmane.

Ainsi, il devient de plus en plus difficile de réaliser un suivi intellectuel du phénomène d’islamophobie, l’effort de sauvegarde des droits et libertés fondamentaux en souffre de même. Le terrible assassinat de l’enseignant de lycée, Samuel Paty, après avoir montré les caricatures visant le prophète Mahomet en classe, n’a fait que déclencher une situation d’opportunisme pour la politique française qui a l’habitude de mettre le feu aux poudre en cas de crise et conflit. Les moyens utilisés lors du crime contre Samuel Paty et le message laissé par le terroriste, ont servi de base légitime pour les mesures prévues dans le cadre de la lutte contre le « séparatisme islamiste », récemment entreprise par le gouvernement.

Alors que les déclarations d'Emmanuel Macron et les autres dirigeants politiques selon lesquelles il y a une constitution d’un contre-société par les musulmans et que le communautarisme divisait la République, a été prouvée de vive voix à la société avec un cas symbolique, l’arrivée de nouvelles mesures suspendant l'État de droit par le gouvernement a été aussi annoncée.

Le ministre de l’Intérieur J. Darmanin a annoncé via ses réseaux sociaux que plusieurs opérations de police étaient prévues pour les jours à venir, bien que les personnes ou organisations visées ne soient pas concernées par l’assassinat de S. Paty, cette mesure a pour but de faire « passer un message » contre un ennemi. Il s’agit là d’une violation des règles de droit, annoncée par l’autorité la plus officielle.

Cette guerre menée contre un ennemi invisible est en soi une guerre déclarée contre les musulmans qui se rendent visibles dans le public, prend une dimension hystérique.

Le concept d'islamophobie, usité depuis des années et dont on a tenté de définir le cadre juridique et académique, ne suffit pas à expliquer cette nouvelle situation de crise dans laquelle l'État se heurte totalement à une croyance d’une part de ses propres citoyens.

Désormais les musulmans ne sont plus le sujet des politiques sociales, des services de citoyenneté, de la liberté de croyance, mais l'objet des politiques sécuritaires, paranoïaques et anti-islam de l'État.

La première victime de cette nouvelle attitude politique hostile a été le CCIF( Collectif Contre L’Islamophobie en France), qui publie chaque année des rapports sur l'islamophobie en France et met en place un réseau de solidarité et de conseil juridique auprès des personnes victimes de discrimination et de violence islamophobe. Cette organisation, qui était auparavant présentée comme un mouvement séparatiste dans les rapports préparés par le gouvernement, visait à être la voix des victimes dans un respect irréprochable de la loi.

La dissolution de ce collectif en quête de protection des droits, qui n’affirme aucune position politique, est en fait une preuve qui montre jusqu’où le gouvernement peut pousser ses mesures.
Quant aux répercussions dans la sphère sociale, la valeur intellectuelle du terme « islamophobie » est largement réduite, et ceux qui l’utilisent sont accusés d’être séparatistes dans la société. Dans un débat où l’innocence équivaut à être criminel, où les musulmans sont stigmatisés par leur foulard, leur barbe, leur nom ou leur appartenance ethnique, parler de liberté de croyance est devenu une utopie.

Dans cette atmosphère de haine, des actes de violence ont été perpétrés contre la communauté musulmane à plusieurs reprises sans pour autant trouver d’écho dans la presse : le 18 octobre, deux femmes voilées ont été attaquées au couteau accompagnée de cris de : «sales arabes». Par ailleurs, deux femmes d’origine turque ont subi de la violence policière lors d’un contrôle routier. Mais encore des attentats ont été commis contre les mosquées de Bordeaux et de Béziers.

Loin de l’idée même d’entendre quelques voix libertaires donnant priorité aux droits et libertés fondamentaux pour les musulmans, on se trouve face à une marginalisation de celles et ceux qui critiquent dans une mesure raisonnable la politique discriminatoire du gouvernement alimentant la haine. Nicolas Cadène, le président de l'Observatoire de Laïcité, un comité officiel qui explicite le principe de laïcité en France, a subi un lynchage social après avoir déclaré que les événements récents avaient plus contribués à stigmatiser les musulmans plutôt que la défense de la laïcité. Le remplacement de Cadène est d’actualité immédiate.

Dans cette nouvelle conjoncture, le mal est désormais banalisé. La place et le traitement des musulmans dans la société française sont à l'image des pratiques antisémites que les juifs ont subies en Europe dans les années 1930. Cette situation, où l'islamophobie déguise la liberté de penser et d'expression, les musulmans perdent leur subjectivité et leur seule existence est transformée en élément criminel. Alors que la discussion sur les échecs socio-économiques de la politique d'immigration de l'État français est occultée, l'islam et les musulmans sont transformés en «autres» qui doivent constamment apporter des preuves de leur innocence auprès de la société et de l'État.

* Le opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur, Orkun Elmacıgil, journaliste, et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'agence Anadolu.

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