Entre le marteau et l'enclume : L'économie mondiale face à une guerre commerciale potentielle (OPINION )
• Une guerre commerciale mondiale menace, chaque acteur privilégiant un gain immédiat au détriment des bénéfices durables qu'offrirait la coopération.

Istanbul
AA / Istanbul
L’auteur, Dr Adam Yousef, est responsable de l’économie à la Greater London Authority. Il détient un Master de l’Université d’Oxford et un doctorat de l’Université de Cambridge.
L’économiste lauréat du prix Nobel, Paul Krugman, a un jour déclaré : « Nos grands-pères vivaient dans un monde d’économies nationales largement autosuffisantes et tournées vers l’intérieur – mais nos arrière-grands-pères vivaient, tout comme nous, dans un monde de commerce international à grande échelle » [1]. Historiquement, le commerce a joué un rôle majeur dans la croissance et la prospérité de nombreuses économies, comme en témoignent la Grande-Bretagne du XIXe siècle et la Chine contemporaine. Cela dit, ces dernières années ont vu un regain de nationalisme économique, et l’accent mis par le président Trump sur les tarifs douaniers en est une manifestation.
Un des principaux moteurs derrière l’agenda tarifaire du président américain Donald Trump est de revitaliser le secteur manufacturier des États-Unis et de rectifier ce qu’il considère comme des « déficits commerciaux excessifs » avec ses partenaires commerciaux. Bien que les tarifs aient également été présents lors de son premier mandat, ceux proposés actuellement sont plus larges (ciblant davantage de pays et de produits) et plus aigus. Il est d’abord important de noter que les États-Unis ont généralement été moins ouverts au commerce que beaucoup d’autres pays. En ce sens, la posture commerciale relativement « fermée » des États-Unis précède Trump 2.0. Néanmoins, l’ampleur et la nature de ces tarifs sont dramatiques.
Les vulnérabilités économiques mondiales
Les implications pour l'économie mondiale sont considérables. Pour situer le contexte, de nombreuses économies développées et émergentes se retrouvent aujourd'hui plus vulnérables sur le plan fiscal qu'elles ne l'étaient lors du premier mandat de Trump : la dette publique en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) est généralement plus élevée, les pressions inflationnistes sont plus fortes, la politique monétaire est plus stricte, et la croissance de la productivité est faible. Parallèlement, les tensions géopolitiques sont accrues, les chaînes d'approvisionnement sont plus fragmentées, les pays se livrent une concurrence féroce pour les matières premières et minéraux essentiels, et le changement climatique représente une menace croissante.
Une guerre commerciale déclenchée par des tarifs douaniers risque de réduire le commerce mondial et d'entraver la croissance économique, compliquant les efforts des pays pour stabiliser leurs finances publiques et améliorer les niveaux de vie. De plus, les prix à la consommation augmenteront dans tous les pays imposant des tarifs, précipitant une possible "stagflation". Les pays ayant des échanges commerciaux plus étroits avec les États-Unis (comme le Canada et le Mexique), ainsi que d'autres petites économies ouvertes et marchés émergents, sont plus vulnérables aux impacts négatifs.
En termes de levier dont disposent les autres pays, la réponse varie considérablement. Par exemple, en tant que grand importateur d'exportations stratégiques des États-Unis (comme les semi-conducteurs), la Chine pourrait riposter avec ses propres tarifs et l'a déjà fait. La Chine exerce un levier important, puisqu'elle importe plus de 150 milliards de dollars d'exportations américaines, détient environ 750 milliards de dollars de dette publique américaine, et est le plus grand producteur et exportateur mondial de minéraux rares essentiels. En revanche, le Canada et le Mexique disposent d'un levier plus limité : près de 80 % des exportations du Canada vont vers les États-Unis, et ces exportations sont concentrées dans des secteurs tels que les hydrocarbures et le bois. En fait, certaines études montrent qu'en répliquant avec ses propres tarifs, le Canada risque d'aggraver sa propre situation [2]. De manière générale, la plupart des pays se trouvent avec un levier limité étant donné la nature des tarifs proposés et l'état de leurs économies. Cela est particulièrement vrai pour les petites économies ouvertes, les marchés émergents et les pays qui commercent de manière significative avec les États-Unis.
En tant qu'économie ouverte et axée sur les exportations, la Türkiye est également à risque. En 2022, le commerce représentait 81 % du PIB de la Türkiye, contre 63 % en moyenne pour l'OCDE. Il convient de noter que la Türkiye ne commerce pas autant avec les États-Unis que certains autres pays, et que les États-Unis ne connaissent pas de déficit commercial important avec elle. Cela suggère que Trump est peu susceptible de cibler directement la Türkiye de la même manière qu'il a ciblé le Canada, le Mexique ou la Chine. Néanmoins, la Türkiye sera indirectement affectée : une guerre commerciale aggraverait l'inflation du pays, réduirait la croissance et induirait une politique monétaire plus restrictive. Industriellement, la Türkiye souffre d'une faible productivité, d'un sous-investissement dans la technologie et d'une pénurie de travailleurs qualifiés. Une guerre commerciale pourrait accentuer ces réalités.
En résumé, les risques d'une guerre commerciale mondiale sont considérables. La situation actuelle ressemble à un "dilemme du prisonnier", où deux acteurs "se trahissent" (c'est-à-dire, ne coopèrent pas et imposent des tarifs) à court terme pour rechercher un gain individuel, bien que la coopération (c'est-à-dire, le commerce ouvert) offrirait à long terme des récompenses plus importantes pour les deux parties.
Opportunités dans la turbulence
Néanmoins, cet épisode présente aux pays une opportunité de :
Diversifier leurs partenaires commerciaux et leurs exportations pour renforcer leur résilience,
Investir dans les compétences et le capital humain dans le cadre d'une stratégie de croissance plus large,
Garantir un environnement politique et économique stable pour attirer les investissements,
Penser de manière créative pour répondre aux préoccupations de l'administration Trump. Ces derniers jours, le Japon a promis d'augmenter ses investissements aux États-Unis à environ 1 trillion de dollars, et l'Inde a signalé sa volonté d'acheter du pétrole américain, ce qui témoigne de stratégies créatives pour répondre aux préoccupations de l'administration Trump.
Ces mesures pourraient renforcer la capacité des pays à résister aux conséquences négatives d'une guerre commerciale déclenchée par des tarifs.
[1] https://www.nytimes.com/2008/08/15/opinion/15krugman.html
[2] Voir https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?body_abstract_id=3190699 par exemple.
* Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale d'Anadolu.
* Traduit de l’Anglais par Adama Bamba
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