France: Les notions d’apologie de terrorisme et d’antisémitisme au coeur d’une audience tendue à Nice
Maitre Guez Guez, qui assistait la militante Amira Zaiter, s’est attelé à expliquer aux magistrats et aux parties civiles, pourquoi la critique du sionisme relève davantage d’une question de débat public, que de la dissimulation d’un antisémitisme.
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AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
Lundi 21 octobre, se tenait devant le tribunal correctionnel de Nice, le procès d’Amira Zaiter, militante pro-palestinienne, poursuive pour des faits d’apologie du terrorisme, d’incitation à la haine pour divers tweets publiés au cours de l’été et en lien avec la guerre menée par Israël à Gaza.
L’audience, qui a duré plus de cinq heures, et rassemblé quatre parties civiles dont la LICRA (Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme), l’OJE (organisation Juive Européenne), le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives), et Ilan Choucroun, soldat franco-israélien engagé à Gaza, était très attendue.
Mais au-delà des publications en ligne pour lesquelles la jeune femme de 34 ans est maintenue en détention depuis le 19 septembre, elle a eu à répondre, au cours de sa garde à vue, puis face au tribunal, à de nombreuses questions d’ordre politique et concernant son idéologie religieuse.
En fin d’audience, le parquet de Nice l’a même ouvertement accusée de viser « le sionisme pour éviter de dire qu’elle vise les juifs » tandis qu’elle se défendait en se revendiquant « antisioniste mais jamais antijuif ».
Interrogé sur ce point au terme des débats et alors que sa cliente a été maintenue en détention dans l’attente du délibéré qui doit intervenir le 4 novembre prochain, Maitre Sefen Guez Guez est revenu, auprès d’Anadolu, sur les difficultés qui existent quand il s’agit de vouloir éviter les confusions entre les notions d’antisionisme et d’antisémitisme.
- L’antisionisme au coeur des débats:
Pendant son interrogatoire par les avocats des parties civiles et par la procureure, Amira Zaiter, qui s’est excusée pour les publications dans lesquelles elle reconnait avoir parfois eu des mots lourds dont elle n’a pas mesuré la portée, a eu à s’expliquer sur des publications dont une partie est largement portée sur sa critique du sionisme.
« Je ne parle pas aux sionistes », « honteux d’être un juif sioniste, d’être un citoyen d’Israël » ou encore « les sionistes sont un marqueur des maux de la société » a-t-elle affirmé sur le réseau social X, accusant notamment le soldat franco-israélien Ilan Choucroun, d’être un « sioniste génocidaire » après qu’il soit revenu de Gaza.
Dans une déclaration à Anadolu, Maitre Guez Guez a reconnu qu’il s’agissait d’un débat « compliqué », et sur lequel il faut être particulièrement vigilant.
« C’est compliqué il faut bien comprendre que chacun est dans son rôle. Vous avez des avocats de parties civiles qui sont là évidemment pour pousser pour la condamnation et vous avez un procureur de la République qui ne va pas se dédire sur les poursuites d’apologie d’actes de terrorisme ».
Et de poursuivre: « Ce que j’ai voulu démontrer dans le cadre de ma plaidoirie, mes conclusions, et mes écritures, c’est qu’effectivement, l’accusation de sionisme n’est pas nécessairement un alibi qui cache de l’antisémitisme, mais qui peut correspondre à un débat d’intérêt général ».
L’avocat Niçois estime à ce propos qu’il est « possible de critiquer le sionisme, la façon avec laquelle Israël commet actuellement des crimes de guerre, et certains au sein de l’ONU parlent de risque génocidaire, sans pour autant faire de l’antisémitisme ».
Ceci étant, Maitre Guez Guez met en garde les soutiens de la Palestine sur la manière dont ils expriment leur opposition au sionisme et souligne qu’il « appartient à chacun, y compris aux militants, de savoir ne pas franchir les lignes rouges » et que « s’il doit y avoir une critique de l’Etat d’Israël, elle ne doit pas être adossée à de l’antisémitisme qui n’a pas sa place dans le débat public ».
- Des réquisitions sévères après une audience sous haute tension:
C’est devant une salle comble qu’Amira Zaiter a eu à comparaitre devant la justice ce lundi après-midi. Si sa famille et quelques militants pro-palestiniens étaient venus la soutenir, de nombreux journalistes, avocats et simples curieux ont pris place dans la salle d’audience pour assister une comparution haute en symbole.
Au cours de sa plaidoirie, Maître Guez Guez s’est attelé à démontrer que les prises de positions de sa cliente relèvent d’un débat d’interêt général et en aucun cas d’une volonté de pointer du doigt une communauté religieuse, prenant même le soin de souligner que « tous les sionistes ne sont pas juifs » et citant pour exemple le président américain Joe Biden.
Pour appuyer ses propos, il a remis au Tribunal, des conclusions écrites sur 36 pages, et dans lesquelles il détaille son argumentaire de défense pointe la posture du parquet dans ce dossier.
« Le sort réservé à Madame Zaiter par le parquet n’est qu’une continuité d’un alignement idéologique en faveur de l’Etat d’Israël » peut-on notamment lire en page 16 tandis qu’en page 32 il rappelle que l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, consacre la liberté d’expression en établissant qu’elle est « un des fondements essentiels d’une société démocratique » et « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population ».
S’agissant des accusations d’apologie d’acte de terrorisme qui pèsent sur sa cliente pour avoir qualifié le Hamas de mouvement de résistance, Maître Guez Guez s’est par ailleurs appuyé sur le positionnement de Jean-Marie Burguburu, président de la CNCDH (Commission Nationale Consultative des droits de l’Homme) et qui mettait en garde l’Exécutif, contre une éventuelle « confusion entre l’approbation, l’éloge d’un crime et/ou des criminels, et des prises de position relatives au contexte dans lequel ils ont été commis ».
« Le proche-orient est un théâtre de conflits et de tensions politiques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, tensions qui ont toujours trouvé un large écho dans le monde, y compris en France. Les évènements qui ont jalonné l’histoire de la région, les responsabilités respectives des parties engagées dans le conflit israélo-palestinien, donnent lieu à des points de vue souvent divergents. À titre d’illustration, si le Hamas est considéré comme un groupe terroriste par l’Union Européenne, d’autres pays tels que le Royaume-Uni ne considère comme terroriste que la branche armée du groupe. Il ne revient pas aux autorités judiciaires d’intervenir dans ces débats en qualifiant d’apologie du terrorisme toute mise en perspective historique des attentats du 7 octobre, dusse-t-elle choquer » rappelait le président de la CNCDH au garde des sceaux de l’époque, Éric Dupond-Moretti.
Mais malgré des rappels et des mentions de textes factuels, Sefen Guez Guez a été pris à partie par les partie civiles qui rejettent l’argumentaire qu’il a déployé pour défendre sa cliente.
« Les conclusions relèvent d’un tract politique. C’est assez grave ce qui a été conclu » a notamment déclaré l’avocat de la LICRA au cours de l’audience tandis que la procureure et les avocates de l’OJE l’avaient déjà attaqué sur le contenu de ses écritures en fustigeant leur caractère jugé « politique ».
Le parquet, que l’avocat d’Amira Zaiter accusait de se livrer à un « alignement idéologique » en faveur d’Israël, s’est pour sa part défendu en martelant ne pas être « dans l’idéologie » ni « dans le soutien d’Israël ».
Sur place, de nombreuses personnes se sont interrogées sur la manière dont Maître Guez Guez a été lui-même invectivé sur le contenu de son argumentaire de défense.
« Pourquoi ils s’en prennent à l’avocat alors qu’il fait son travail et que ses arguments sont clairs et documentés? C’est du jamais vu. Ils sont à la limite de l’accuser lui-même d’apologie du terrorisme pour avoir affirmé qu’Amira méritait la relaxe » déclarait dans la soirée une jeune militante venue pour marquer son soutien à la cause palestinienne.
C’est donc en toute logique et dans la continuité de son positionnement depuis le début de cette procédure, que le parquet a requis une peine de 30 mois de prison dont 18 avec sursis à l’encontre d’Amira Zaiter, une peine d’inéligibilité de 10 ans, la confiscation des objets saisis à son domicile (ordinateur, clés USB et téléphone), ainsi qu’une obligation de publier sur le réseau social X, son éventuelle condamnation.
Ces réquisitions ont été jugées « lourdes » par Maître Guez Guez alors que les propos d’Amira Zaiter relèvent selon lui de « la liberté d’expression ».
« Ça traverse notre société, il y a des débats, des intellectuels ont pris des positions en ce sens et ça fait partie du débat d’intérêt général » a-t-il conclut à la sortie du tribunal.
Le délibéré sera connu le 4 novembre prochain. Dans l’attente, Amira Zaiter a été maintenue en détention à la maison d’arrêt de Nice.