Ankara
A.A Tunis/ Slah Grichi (**)
Avec ses 31,37% des voix aux Européennes, le Rassemblement national a recueilli plus que le double de la Renaissance macroniste avec ses alliés (14,60), arrivée en deuxième position. Le Parti socialiste, allié à Place publique, a relevé un peu la tête, avec ses 13,83, qui ont démenti ceux qui lui prédisaient un enterrement sans les honneurs, après ses cuisants échecs aux précédents suffrages. Mais pas de quoi entacher le triomphe jamais obtenu par la formation de Marine Le Pen et sa tête d’affiche, Jordan Bardella.
Le pavé dans la mare du président
Étonnant ce remarquable détachement en tête du peloton ? Pas tant que cela, quand on analyse les résultats des législatives de 2022 et, surtout, le saut de la fille de Jean Marie Le Pen, de 33 à 42%, aux deuxièmes tours de la présidentielle de 2017 et de 2022. Une évolution qui s'explique par le changement du discours radical et "carré", à l'extrême droite, sauf en ce qui concerne l'immigration, souci majeur d'une bonne partie de l'électorat français, nourri, il est vrai, par des attentats commis par des bi-nationaux, mais aussi par des délits, montés en épingle quand leurs auteurs ne sont pas des Français de pure souche. D'ailleurs, le socialiste Olivier Faure rappellera à Jordan Bardella, qui a tendance à tenir les immigrés pour responsables de tous les maux de la France, que neuf viols sur dix sont commis par des proches des victimes.
Quoi qu'il en soit, le soir même du 9 juin et juste après la proclamation des résultats des Européennes, Emmanuel Macron surprenait tout le monde, en annonçant la dissolution de l'Assemblée et l'appel à des législatives anticipées pour le 30 du même mois. Si de tout bord, l'étonnement était grand qu'il transposât aussi intempestivement l'enjeu de l'Europe à celui interne de la France, c'est son propre camp qui était le plus pris de court.
"C'est suicidaire; les électeurs ne changent pas de position en vingt jours", "il favorise l'extrême droite", "serait-il en train de lâcher, par lassitude ou dépit et de dire aux Français : voilà votre dernière chance ?", essayaient de comprendre les uns et les autres.
Les plus extrapolateurs ont même vu dans cet appel à des législatives anticipées le désir de provoquer une cohabitation pour empêtrer le Rassemblement national dans les tracas du pouvoir, en butte à des problèmes inextricables dont, entre autres, une très impopulaire réforme des retraites, une inflation qui appauvrit de plus en plus les Français et une dette insoluble de 3160 milliards d'euros (110% du PIB). Le jeter dans des eaux dont il ne connaît pas les courants, serait une rusée manière de le discréditer et de le mettre face à des crises qu'il n'a pas l'expérience nécessaire pour les gérer.
L'article 16, l'arme secrète de Macron
Mieux, jusque-là rares sont ceux qui évoquent l'arme que Macron pourrait brandir, au cas où la cohabitation avec l'extrême-droite venait à s'imposer, avec la véhémence -voire la violence- que cela provoquerait parmi les centristes, la gauche et une bonne partie de la population, surtout si Bardella se mettait à mettre à exécution le programme promis par son parti.
En effet, il suffirait de quelques troubles, sans besoins qu'elles atteignent ceux provoqués par les Gilets jaunes, pour que le président active l'article 16 de la Constitution qui lui octroie tous les pouvoirs "en cas de menace portée aux institutions, à l’indépendance, à l’intégrité territoriale ou à l'exécution d'engagements internationaux". Ce ne serait point étonnant que cela soit dans les calculs de Macron, quand il a décrété la dissolution de l'Assemblée, où en apparence, il avait tout à perdre. Ses multiples sorties versent dans ce sens...
La fenêtre d’Overton, il connaît...
En effet, le président français semble préparer les électeurs à cette éventualité, en brandissant le spectre d’une "guerre civile", si le Rassemblement national "qui divise et qui renvoie les gens à une religion ou à une origine", accède au pouvoir. Idem pour l'extrême-gauche et son "communautarisme", selon lui.
Par son alarmisme, sinon sa dramatisation, il est clair qu'il met à exécution "la fenêtre d'Overton", une approche politique qui rend acceptable une idée initialement rejetée, en brandissant les pires, comme alternatives.
Franchement il n'aurait pas tort, si tels sont ses desseins, surtout quand une Le Pen commet la bévue, en affirmant que le titre qui revient au président de la République, de "chef des armées est purement honorifique" et qu'il ne serait pas à la manœuvre sur les questions de la défense, ce qui est en contradiction avec ce que stipule la Constitution. Clair que le RN veut tout le pouvoir et qu'une cohabitation serait impossible à tenir. Ce serait un combat à mort entre les deux têtes de l'exécutif. Macron semble avoir préparé "les devants".
Trois blocs irréconciliables
Quoi Qu'il en soit, la campagne électorale et les débats télévisuels de mardi et de jeudi derniers entre les trois blocs ont démontré la vérité qu'ils sont irréconciliables, ce qui augure de séances houleuses à l'Assemblée, où il n'y aura pas de majorité. Ils ont aussi révélé les limites des têtes d'affiche, Bardella (RN), Attal (Renaissance), Manuel Bompart - Olivier Faure (Nouveau Front populaire), mis à mal, chacun sur un des dossiers brûlants que sont l'immigration, les retraites, le pouvoir d’achat, la dette publique l'enseignement et le nucléaire.
Décidément, loin des grosses pointures françaises d'antan. La preuve, plus de quarante ans après, Faure emprunte la "force tranquille" de François Mitterrand et Bardella "vous n'avez pas le monopole du cœur" de Valéry Giscard d'Estaing. Sans vergogne, en plus...
Enfin, une inconnue... Les abstentionnistes se réveilleront-Ils et changeront-Ils la donne de toutes les préconisations et attentes ? Seuls eux peuvent le faire.
Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie
**Cet article n'engage que son auteur et ne reflète pas nécessairement les positions d'Anadolu.