France : Vers une crise politique majeure provoquée ?
- Après le triomphe du Rassemblement National aux Européennes, Macron a immédiatement provoqué des législatives anticipées, déclarant vouloir "clarifier" la situation. Il n'a fait que la brouiller... Et s'il s'y attendait ?
France
AA / Tunis / Slah Grichi (**)
Sans disposer de la majorité absolue (289 sièges), le bloc présidentiel était confortablement installé à l'Assemblée, avec ses 248 députés, loin devant la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, menée par "la France Insoumise" de Jean-Luc Mélenchon (131) et le Rassemblement National (89). Emmanuel Macron arrivait à gouverner à sa guise, à passer les lois les plus controversées et à prendre des décisions plus surprenantes les unes que les autres, sans faire courir de risque réel à son gouvernement de se retrouver face à une sérieuse motion de censure, tant les groupes parlementaires sont fragmentés et, surtout, foncièrement divergents. Cerise sur le gâteau, aucune tendance dans ľHémicycle n'aime vraiment ni les Lepénistes ni les Insoumis, ce qui rendait quasi-impossible la formation d'une alliance capable de faire aboutir une motion de censure. Dans ce cas, pourquoi avoir dissolu une Assemblée aussi inoffensive qui ne lui aurait pas causé de tracas majeur et ce, jusqu'à la fin de son deuxième mandat présidentiel, en 2027 ?
- Macron, un joueur de poker ?
Entièrement engagé pour un projet chimérique ďune Europe inclusive super-puissante, quitte à ce que la France y laisse sa souveraineté nationale et son déterminant siège parmi les Cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, Emmanuel Macron a mal vécu la nette victoire aux Européennes du Rassemblement National qui, sans être pour une sortie de l'Europe, est farouchement opposé à ce que la France s'y dissolve ou se plie à tout ce que décide la CE à Bruxelles. Il ľa si mal vécue qu'il l'a prise comme un pied de nez que lui aurait fait Marine Le Pen, qui ľavait bousculé au deuxième tour de la présidentielle de 2022, en dépassant les 42% des voix, malgré le vote barrage du Centre-droit et d'une bonne partie de la gauche. C'était même une humiliation pour lui, puisque sa "Renaissance" -avec ses alliés- a recueilli moins de 15% des suffrages. C'était trop pour Macron.
Aussi, tout en sachant que le Parlement européen n'a pas pouvoir de décision dans les affaires de l'Europe et que les Lepénistes étaient incapables d'obstruer son chimérique projet d'un continent qui fasse trembler une Chine ou une Fédération de Russie, surtout après qu'il a réussi à faire perdre à la France, au profit de ces dernières, beaucoup de ses intérêts en Afrique, il a tenté un désespéré coup de poker, en mettant sur la table son dernier "fond", soit sa majorité relative à l'Assemblée. Une mise contestée dans son propre camp. Espérer discréditer le Front National et s'engager contre lui dans un nouveau scrutin, à travers des législatives anticipées, alors qu'il est sur une courbe ascendante et que tout dans le pays le plaçait dans une dynamique évolutive, tenait du suicide et revenait à lui offrir le pouvoir sur un plateau en or. Le premier tour allait leur donner raison...
- La Macronie enterrée ?
Au soir du 30 juin, lorsque les premiers résultats ont commencé à tomber, confirmant les sondages des intentions de vote qui plaçaient le Rassemblement National et ses alliés, les Républicains (LR) dissidents, en tête de liste, la consternation était totale dans les différentes mouvances politiques, notamment le camp présidentiel. Avec ses 33,15% des voix et ses 39 élus directs, l'Extrême-droite jubilait. Certes, le Nouveau Front populaire (Insoumis-Ecologistes-Socialistes-Communistes) la talonnait, avec 27,99% des suffrages et 32 candidats ayant obtenu plus de 50% des voix dans leurs circonscriptions respectives, mais les Macronistes étaient quasiment ensevelis avec seulement deux élus directs et 20,04% des voix. La dynamique du Front National se précisait et le révélait au grand jour, comme, de loin, la grande force politique en France.
Jordan Bardella se voyait déjà à Matignon et haranguait ses sympathisants pour un dernier petit effort, afin de lui apporter la majorité absolue et un pouvoir étendu, alors que Marine Le Pen se projetait déjà, en 2027, à l'Elysée. Pour eux et pour leurs lieutenants, seule la gauche pouvait perturber la marche triomphale du RN. Ils considéraient la "Macronie" comme morte. Ils n'en parlaient même pas.
- Sauvé par la Gauche...
Ailleurs, presque personne n'osait espérer que la machine de l'Extrême-droite s'enrhumât, avant le 7 juillet. Tout ce qu'on souhaitait désormais, c'est que le deuxième tour ne lui octroie pas la majorité absolue. C'est qu'en plus, tout ne baignait pas dans l'huile, du côté du Nouveau Front populaire. Marine Tondelier, la patronne des Ecologistes, par exemple, criait à qui voulait l'entendre que Mélenchon n'était pas le leader du Front et qu'il ne serait pas Premier ministre, si la Gauche remportait les législatives. Par ailleurs, des voix du camp présidentiel, à l'instar de l'ancien locataire de Matignon Edouard Philippe ou du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, ont immédiatement appelé à ne pas voter, au deuxième tour, ni pour les Insoumis, pourtant majoritaires parmi la Gauche et souvent bien placés, ni pour les candidats du RN. Le barrage à ces derniers semblait bien fragile. L'appel lancé dans le journal "Le Monde", quelques jours auparavant, par 200 personnalités socialistes, écologistes et macronistes, invitant la Droite, le Centre et la Gauche à "un engagement pour un accord de désistement au profit du mieux placé, en cas de triangulaire", ne semblait pas avoir eu un écho conséquent, même si Jean-Luc Mélenchon a, le soir même du 30 juin, annoncé qu'il adhérait sans restriction à cet appel, pour empêcher le RN de l'emporter. C'est ce qui allait changer la donne, même si rares étaient ceux qui y croyaient.
Pourtant, la débâcle en Outre-Mer de l'Extrême-droite -bien que coutumière- était peut être annonciatrice de quelque chose d'inespéré. La stupeur provoquée par les premiers résultats de ce début de soirée du 7 juillet, tenait du miracle. Les gagnants du bloc présidentiel, des Socialistes, des Verts, des Insoumis défilaient... Les heureux candidats du RN avaient du mal à s'y intercaler. Serait-ce possible ? Les sondages, les pronostics, la courbe ascendante, tout cela est-il en train de s'inverser ? Eh oui, le barrage à l'Extrême-droite a non seulement tenu, mais il a, surtout, ressuscité "Ensemble" d'Emmanuel Macron, tout en offrant une majorité toute relative au Nouveau Front populaire.
Sur les plus de 510 sièges en jeu, au deuxième tour, le RN et les dissidents LR n'en ont remporté que 104 auxquels il faudra ajouter les 39 élus directs. Mieux, le favori et le premier en nombre d'électeurs se retrouve en troisième place, derrière respectivement la gauche (178 plus quatre dissidents) et "Ensemble" (156 dont 100 de la majorité présidentielle "Renaissance). Les désistements et le report des voix aux triangulaires, notamment par la Gauche, a bel et bien sauvé le camp Macron de l'humiliation et la France du joug de l'Extrême-droite. En face et quel que soit leur futur, Marine Le Pen, Jordan Bardella et leurs soutiens se souviendront longtemps de cette soirée du 7 juillet et du Pavillon Chesnaie du Roy dans le Bois de Vincennes, où ils devaient fêter un triomphe qui paraissait à portée de main et qui s'est envolé, comme par magie.
- Qui gouvernera la France ?
Mais maintenant que l'euphorie des anti-Rassemblement National est en train de tomber, l'on doit se demander comment la France va être gouvernée et avec quelles alliances. Avec ses 182 élus, le Nouveau Front populaire, déjà pas si soudé que cela, vers quel bloc parlementaire se tournera-t-il pour former un gouvernement de coalition qui puisse tenir, quand Mélenchon s'est montré catégorique, décrétant qu'il n'y aura pas de négociations avec le camp présidentiel ? A supposer que ce dernier accepte de coaliser...
La France ne va-t-elle vers une crise politique majeure et une période d'instabilité gouvernementale ? Car comme l'explique si bien le constitutionnaliste Benjamin Morel, il y a une grande différence entre un gouvernement issu d'une majorité minoritaire, mais proche de l'absolue -le cas des Macronistes en 2022, avec 246 élus- et un gouvernement sous le risque continu d'une motion de censure. Or, les divergences entre les différents blocs existants sont telles qu'on voit mal une solide majorité se constituer pour donner lieu à un gouvernement viable. Aussi le risque d'un blocage institutionnel est-il là, presque palpable et la France peut se retrouver sans gouvernement issu de la majorité, pendant une longue période, où aucune initiative, législative ou réglementaire, ne pourra être prise. On se contenterait alors d'expédier les affaires courantes...
Mais si la crise persiste, Macron ne serait-il pas en mesure d'activer le fameux article 19 de la Constitution qui lui donnerait tous les pouvoir ? Si on en arrivait là, nous ne serions pas loin de penser que par la dissolution de l'Assemblée, il avait calculé qu'aucune solide majorité ne se dégagerait et qu'on en arriverait au blocage institutionnel, libérateur...pour lui. Son coup de poker ne serait alors pas si hasardeux que cela, même s'il a été à deux doigts d'offrir le pouvoir à Mme Le Pen qui, de toute façon, est loin d'avoir dit son dernier mot, malgré la désillusion de ce dimanche 7 juillet.
(*)Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale d'Anadolu.
(**)Slah Grichi, journaliste, ancien rédacteur en chef du journal La Presse de Tunisie.
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