Le récent soulèvement palestinien affectera-t-il le processus de normalisation avec Israël ? (Analyse)
Istanbul
AA / Istanbul / Ihsen al-Fakih
Le dernier round de combat entre les factions palestiniennes à Gaza et Israël, précédés par les évènements de la Mosquée Al-Aqsa et du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem, ont constitué un test pratique pour les positions des capitales arabes qui ont conclu des accords de normalisation avec Tel-Aviv, en 2020.
Quatre pays avaient signé des accords d’établissement de « relations normales » avec Israël, à la faveur et à l’incitation d’une médiation américaine, en 2020, soit durant le mandant du président Donald Trump. Il s’agit du Maroc, du Bahreïn, du Soudan et des Emirats.
Les quatre pays en question ont publié des communiqués dans lesquels ils ont « fermement » condamné les mesures israéliennes visant à expulser et à déplacer sous la contrainte les habitants du quartier de Sheikh Jarrah et les violations perpétrées par les forces d’occupation israéliennes contre les Palestiniens qui défendent la sainte Mosquée Al-Aqsa.
Ces communiqués ont reflété le caractère sensible et tendu de la situation à Jérusalem, les atteintes portées aux droits inaliénables des Palestiniens et à la place de la Mosquée al-Aqsa, et permis - et c’est le plus important – d’afficher l’appui et la compassion avec les Palestiniens, pour éviter l’embarras devant leurs peuples qui les ont accusés d’avoir laissé tomber la Cause palestinienne.
Toutefois, les communiqués de ces quatre pays ont perdu de leur acuité après l’enclenchement des évènements de la Bande de Gaza et l’engagement d’un nouveau round de combat qui avait comme principaux faits saillants les tirs de missiles contre les villes et les colonies israéliennes.
Les gouvernements arabes condamnent, traditionnellement, les exactions israéliennes via des communiqués et lors de congrès sans pour autant prendre de mesures pratiques contre Israël ou exercer une pression sur la Communauté internationale ou les pays arabes et occidentaux liés par des relations avec Tel-Aviv, afin de mettre fin à ces exactions.
Les Emirats ont "vivement" dénoncé, le 8 mai courant, les éventuelles opérations d’expulsion des habitants du quartier de Sheikh Jarrah et l’incursion des autorités israéliennes dans l’enceinte de la sainte Mosquée Al-Aqsa.
Abou Dhabi a demandé, aussi, à Tel-Aviv d’assurer la protection nécessaire aux populations civiles palestiniennes et leur liberté de culte, de garantir l’exercice des rituels religieux, pour les musulmans, les chrétiens et juifs confondus, et d’arrêter toute exaction violant la sacralité de la Mosquée Al-Aqsa.
Les Emirats ont souligné la « nécessité de préserver l’identité historique de la ville occupée de Jérusalem », selon le communiqué signé par le ministre d’Etat émirati aux Affaires étrangères, Khalifa Shaheen Al-Murr.
L'Arabie Saoudite a, de son côté, souligné la constance de sa position à l'égard de la Cause palestinienne, en s'attachant à la paix entre la Palestine et les Arabes d'une part, et Israël d'autre part.
Ryad a réaffirmé sa position fondée sur l'Initiative de Paix Arabe, qu'elle avait proposé lors du Sommet arabe de Beyrouth en 2002, ou ce qui est communément appelé la Solution à deux Etats, qui prévoit l'établissement d'un Etat palestinien indépendant, aux frontières du 4 juin 1967, avec comme capitale Jérusalem-est, en contrepartie d'une normalisation totale des relations arabes avec l'Etat hébreu.
Dans un communiqué rendu public, le ministère saoudien des Affaires étrangères a rejeté ce qu'il a qualifié de « plans et mesures israéliens pour évacuer des maisons palestiniennes à Jérusalem et imposer la souveraineté israélienne dans cette zone », tout en dénonçant toute mesure unilatérale prise par Tel-Aviv et la violation des résolutions internationales.
La diplomatie saoudienne a souligné que Ryad soutient les Palestiniens et appelle à la suppression de toute forme d'occupation en Palestine, dont le problème ne sera résolu que lorsque le peuple palestinien disposera de son Etat indépendant, aux frontières de 1967 et avec comme capitale Jérusalem-est.
Le roi saoudien, Salman ben Abdelaziz Al Saoud, a relevé que son pays « dénonce fermement les mesures prises par Tel-Aviv à Jérusalem ainsi que les actes de violence israéliens tout en réaffirmant le soutien de son pays au peuple palestinien ».
L'Arabie Saoudite, qui accueille le siège permanent de l'Organisation de la Coopération Islamique (OCI) à Djeddah , avait organisé une Conférence virtuelle, en date du 16 mai, à laquelle ont pris part les ministres des Affaires étrangères et les représentants de 57 pays membres, qui ont qualifié les attaques israéliennes « d'agressions barbares » contre le peuple palestinien et réclamé l'arrêt immédiat des attaques perpétrées à l’endroit des civils violant le droit international et les résolutions onusiennes.
Les médias publics, propriété des Etats qui ont normalisé leurs relations avec Israël, ainsi que les médias saoudiens ont reflété le double traitement par rapport à ce qui se déroule en Palestine, en oscillant entre le soutien et la solidarité avec les Palestiniens à Jérusalem d’une part, et le silence assourdissant face à ce qui se passe dans la Bande de Gaza d’autre part, tout en faisant assumer au Mouvement Hamas la responsabilité des destructions générées par la confrontation avec Israël.
Après que les affrontements entre les civils palestiniens et les Israéliens à Jérusalem ont évolué en un état de guerre entre les factions de Gaza et Israël, plusieurs pays arabes, dont l'Arabie Saoudite, ont, selon nombre d'observateurs, pris des positions qui font équivaloir les agissements de l'agresseur et ceux de la victime, tout en faisant assumer aux deux parties la responsabilité des événements, évitant d'évoquer clairement Israël ou les Palestiniens.
Dans une allocution prononcée, le 21 mai courant, aux Nations unies, lors de la réunion extraordinaire de l'Assemblée générale consacrée à la situation dans les Territoires palestiniens occupés, le prince Fayçal ben Farhan, ministre saoudien des Affaires étrangères, a mis en garde contre le fait que « la violence génère la violence et que la spirale de la violence n'aboutira qu’à la destruction et ne fera qu'attiser la stratégie du conflit ».
Il a également dénoncé avec force l'attaque contre les civils et « toute pratique provocatrice qui attise la haine, la violence et l'extrémisme quelle que soit l'origine ».
Plusieurs pays arabes, dont l'Arabie Saoudite, ainsi que les Etats qui ont des relations avec Israël, adoptent une position commune hostile aux mouvements de l'Islam politique, depuis l'enclenchement des révolutions du Printemps arabe, en 2011.
Le Mouvement Hamas est une organisation considérée comme faisant partie des mouvements d'obédience islamique, et dispose de liens solides avec l'Iran, dont les relations sont particulièrement tendues avec la majorité des pays arabes et du Golfe, au premier rang desquels figurent l'Arabie Saoudite.
Cette tension est la résultante d'accumulation de différends, depuis le début de l'année 2016, lorsque les autorités de Riyad avaient décapité Nimr Baqer al-Nimr, un homme de culte chiite saoudien, à la suite de quoi des protestataires iraniens ont saccagé l'ambassade saoudienne à Téhéran et le consulat du royaume dans la ville de Mashhad.
Ces événements avaient provoqué la rupture des relations diplomatiques bilatérales ainsi qu’un appui franc apporté par l'Iran au groupe houthi au Yémen qui est fourni en missiles balistiques et drones, qui ciblent le territoire saoudien.
Ainsi, il est inacceptable pour ces pays que le Hamas remporte des victoires contre les Israéliens, ce qui sera de nature à accroître la popularité du Mouvement dans les milieux arabes. En même temps, l'ensemble des pays concernés et qui sont hostiles aux mouvements de l'Islam politique rejettent la poursuite de la guerre et la destruction d'une partie de l'infrastructure de la Bande de Gaza, dans la mesure où ils seront amenés, du moins la majorité parmi eux, à contribuer, d'une façon ou d'une autre, à la reconstruction de l'enclave palestinienne.
Le Hamas et sa confrontation avec Israël ont fait l'objet d'une multitude de critiques sur les réseaux sociaux par des citoyens issus des pays arabes du Golfe, qui font assumer au mouvement la responsabilité de la souffrance subie par les habitants de Gaza, à la suite de la guerre qu'elle considère comme étant une application de politiques iraniennes et un moyen qui permettra de glaner des acquis en faveur des dirigeants du mouvement, dont nombre parmi eux ont fait des apparitions depuis Doha lors des combats.
Les agressions israéliennes contre Gaza et la poursuite des exactions contre les Palestiniens à Jérusalem et en Cisjordanie occupée ont suscité des interrogations quant à l'opportunité et l'utilité des accords de normalisation avec nombre de pays arabes, dont les responsables ont longuement évoqué la possibilité de réduire la violence entre Palestiniens et Israéliens à la faveur de la conclusion de ces accords.
De plus, des interrogations sont soulevées quant à l’éventualité que d'autres pays arabes concluront des accords de normalisation avec Israël, à l'instar de l'Arabie Saoudite, dont les positions ont été longtemps saluées par la précédente Administration américaine qui évoquait une date proche pour la normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv.
Nombre d'observateurs estiment que les Emirats et le Bahreïn, au moins, n’ont procédé à la conclusion d'accords de normalisation avec Israël qu’après l’obtention au préalable de l’accord « tacite », voire les encouragements du royaume saoudien.
Cependant, le gouvernement de Ryad, qui saisit à sa juste mesure l'ampleur de l'appui et de la sympathie de la société saoudienne envers la Cause palestinienne ainsi que le caractère sacré de la Mosquée Al-Aqsa, ne semble pas disposé à aller de l'avant sur la voie de la normalisation avec Israël, du moins à court terme, et incitera, probablement, la communauté internationale à aboutir à une solution politique pour faire prévaloir la paix dans la région, sur la base de l'Initiative de Paix Arabe.
Les accords de normalisation n’ont pas abouti à la réalisation de ce qui avait été annoncé par les quatre pays, le Bahreïn, le Maroc, le Soudan et les Emirats, que ces conventions seront une garantie pour arrêter la colonisation et suspendre l’annexion officielle des Territoires palestiniens, dans la mesure où ce qui se passe dans le quartier de Sheikh Jarrah est un plan israélien de colonisation pour la confiscation des terres palestiniennes et la construction d’une nouvelle colonie composée de 200 logements au profit de colons juifs.
En contrepartie, la récente escalade militaire et l’éventualité d’enclenchement d’une nouvelle vague de combats, tant qu’Israël ne se serait pas engagé à suspendre ses plans de colonisation au quartier de Sheikh Jarrah et ses violations contre les Palestiniens à Jérusalem et à la Mosquée Al-Aqsa,, n’affecteront pas l’option de normalisation adoptée par les quatre pays, qui pensent que l’établissement de relations arabes solides et à large échelle avec Israël constitue le choix politique idoine pour résoudre la Cause palestinienne.
*Traduit de l'arabe par Hatem Kattou