Les Autochtones au Canada : Une blessure béante en voie d’être pansée ? (Analyse)*
En dépit des excuses, des gestes de bonne intention et des multiples indemnisations, la plaie des Autochtones au Canada est toujours béante et la couleuvre du passif de l’histoire coloniale n’est toujours pas avalée.
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Canada
AA / Montréal / Hatem Kattou
« On ne peut pas fermer les yeux. S’excuser n‘est pas suffisant ». C’est en ces termes que le Premier ministre canadien actuel, Justin Trudeau, s’exprimait, en juin dernier, devant la Chambre des communes (chambre basse du Parlement) au cours d’un débat exploratoire sur la découverte des restes de centaines d’enfants autochtones pensionnaires d’établissements qui étaient gérés par l’Eglise.
Et Trudeau de renchérir : « Notre pays a manqué à son devoir envers des centaines d’enfants autochtones », en traitant d’une question épineuse et douloureuse, résultante d’un pan sombre de l’histoire du Canada.
Le Premier ministre fédéral évoquait le traitement réservé par les colons (Français et Britanniques) aux habitants autochtones de ce qui est devenu par la suite le pays de l’érable.
Ce traitement a été ponctué, des siècles durant, de violation corporelles et physiques mais aussi et surtout d’exactions émotionnelles et psychologiques qui ont causé une « inculturation et une indigénisation » forcée des Premières nations.
Il convient de noter que les découvertes macabres de restes d’enfants autochtones dans des pensionnats gérés auparavant par l’Eglise catholique ont remis au premier plan au cours de l’année écoulée cette question qui demeure suspendue et dont le processus de réconciliation est encore inabouti.
Ces découvertes ont provoqué une onde de choc à travers le pays de l’érable, incitant et obligeant les autorités fédérales à agir énergiquement en posant des actions concrètes avec des implications financières et matérielles certaines, mais aussi en poussant l’Eglise catholique avec ses représentants au Canada, et surtout par l’entremise du souverain pontife, à présenter des excuses officielles aux Autochtones, dans l’attente de la visite papale au Canada et dans des territoires des Premières nations prévue à la fin du mois de juillet prochain.
- Retour sur une histoire coloniale peu glorieuse
La présence française et britannique en Amérique du Nord, qui a abouti à la création du Canada sous sa forme actuelle, a été accompagnée, la plupart du temps, d’agressions et d’exactions en tout genre contre les Amérindiens, habitants autochtones de cette région.
Au-delà de la dimension politique de cette présence, qui avait comme leitmotiv et moteur des intérêts économiques pour conquérir le « Nouveau monde », c’est surtout la volonté d’assujettir et de faire soumettre les Premières Nations au diktat et au joug des nouveaux arrivants qui a été marquante au fer rouge.
Cela a été possible par l’entremise de l’Eglise qui a accompli un rôle de premier plan, s’agissant tout particulièrement d’acculturation des populations autochtones.
L’Eglise a procédé à des manœuvres des plus abjectes qui ont surtout ciblé les enfants autochtones, considérés comme étant les plus malléables et le maillon faible de la chaîne, en les arrachant de force au giron familial, pour les placer dans des pensionnats et des institutions gérés par des agrégations de l’Eglise.
- Le excuses tardives et « forcées » de l’Eglise
Il convient de souligner que jusqu’au milieu du XXe siècle, l’institution ecclésiastique au Canada disposait d’un poids majeur et certain au sein de la société canadienne, en particulier, dans le champ de l’éducation. En témoignent les pensionnats tristement célèbres qu’elle gérait et à travers lesquels une intégration forcée ainsi qu’une assimilation sous la contrainte était dirigée pour ramener les enfants autochtones vers la « Civilisation ».
Au fur et à mesure que les découvertes des ossements se multipliaient et comme l’Eglise, en perte de vitesse, a perdu de son aura, de son pouvoir et de son influence dans le pays, et à la faveur d’une action active et des efforts intensifs du tissu associatif, l’institution religieuse a été amenée à présenter ses excuses officielles.
Mais si « l’Eglise Unie » du Canada (Eglise protestante canadienne, la deuxième du pays) avait présenté ses excuses, en date du 27 octobre 1998, pour les violations des droits des Autochtones, l’Eglise catholique, quant à elle, qui administrait, entre autres, les deux pensionnats de Kamloops et Marieval (dans l’ouest du pays), ne l’a fait qu’au mois de septembre dernier après les découvertes des mois de juin et de juillet 2021.
Ces excuses ont été le fruit des appels insistants et pressants lancés aussi bien par les associations autochtones que par une partie de la classe politique canadienne, au premier rang de laquelle figure le Premier ministre Justin Trudeau.
Le souverain pontife, le Pape François, qui trône sur la tête du Clergé ecclésiastique catholique a, quelques mois plus tard (fin mars 2022), présenté des excuses solennelles, au cours d’une audience accordée, au Vatican, à plusieurs délégations autochtones.
Rappelons que ce sont pas moins de 150 mille enfants autochtones qui, de la fin des années 1800 jusqu’en 1996, date de la fermeture du dernier pensionnat autochtone, qui ont été retirés de force à leurs familles pour être « instruits » par des groupes religieux.
Pour ce qui est des excuses gouvernementales, c’est en 2008 que le gouvernement du Premier ministre conservateur, Stephen Harper, avait présenté des « excuses officielles » aux peuples autochtones, en particulier pour l’épisode des pensionnats autochtones.
En juin dernier, et après la découverte d’autres charniers, c’est au tour du Premier ministre libéral, Trudeau, de reconnaître solennellement : « Notre pays a manqué à son devoir envers des centaines d’enfants autochtones ».
- Violations des droits élémentaires des enfants
C’est ainsi que les violations des droits élémentaires des enfants, ceux de vivre au sein de sa famille, au milieu de sa communauté et imprégné de sa culture d’origine, occupent une place de choix dans le palmarès des exactions coloniales civilisatrices.
C’est dans ce cadre que Ry Moran, artiste métis et directeur du Centre national pour la vérité et la réconciliation, a souligné que « les pensionnats autochtones ont servi à détruire de nombreux aspects de la vie des enfants autochtones ».
Il est même allé jusqu’à avancer que dans ces établissements censés instruire, enseigner et éduquer des enfants pour les initier aux valeurs des Lumières, « il y avait beaucoup d’abus ».
« Il y avait beaucoup d’abus physiques, émotionnels, et une des grandes choses aussi était de l’abus ou de la violence spirituelle, et ça, c’est quelque chose qui est central et c’est quelque chose que toutes les églises ont fait », a-t-il encore dit.
- « Dénaturation de la culture »
Toutefois, les atteintes aux droits et la « destruction » des Autochtones ne s’est pas limitée à la frange des enfants mais a touché un autre volet, celui de l’addiction des populations autochtones à l’alcool et à la drogue.
Notons, dès l’abord, qu’il s’agit d’une addiction qui résulte non pas d’une déviation comportementale individuelle mais qui est plutôt orchestrée de manière délibérée et initiée à dessein par les premiers colons.
Il s’agit, comme le précisait, Ghislain Picard, chef régional des Premières nations au Québec et Labrador (centre et est), d’un problème « avant tout historique et social », qui touche des proportions alarmantes, jusqu’à aujourd’hui, de la population autochtone.
Cette addiction délibérée depuis des siècles a abouti à une « dénaturation de la culture » autochtone et à une « perte de repères » au sein de ces communautés.
Certains observateurs et intellectuels, même en dehors du cercle des autochtones, ont osé lâché le terme de « génocide » culturel pour illustrer l’horreur des forfaits commis par les arrivants du « Vieux continent » à l’encontre des habitants du « Nouveau monde ».
- La réconciliation : la panacée pour une coexistence apaisée ?
Qu’en-est-il de la situation maintenant ? Ou en est le Canada d’aujourd’hui face à ce tumulte émotionnel ?
Il convient de souligner tout d’abord que les excuses offertes et les gestes posés sont empreints de sincérité et d’une volonté de rédemption authentique, en particulier, ceux venant des autorités fédérales.
Ajoutons également que depuis 2009, la « Commission de vérité et réconciliation » avait permis de lever le voile sur ce pan de l’histoire du Canada et de l’Eglise.
En effet, ce ne sont pas moins de sept mille victimes des pensionnats de la honte, d’un Océan à l’autre, qui ont pu s’exprimer et dont les témoignages, pendant six ans environ, ont été recueillis par ladite Commission.
Ce travail colossal a abouti à l’élaboration de 94 recommandations à même de permettre au pays de l’érable d’amorcer un processus de réconciliation avec des populations autochtones, meurtries dans leurs chairs, marginalisées et exclues à dessein.
Toutefois, et malgré les décisions, symboliques ou concrètes, qui ont déjà été prises, le chemin à parcourir demeure encore long, comme le précise d’ailleurs, Lorraine Turchansky, directrice des communications à l’Archidiocèse catholique d'Edmonton (ouest) qui a souligné que « c’est un voyage [la réconciliation], un périple vers la guérison. Combien de temps prendra ce voyage ? Je ne sais pas ».
Ry Moran, l’artiste métis, nourrit de son côté l’espoir de voir une véritable réconciliation avec l’Église catholique aboutir à bon port, mais demeure réaliste en admettant « qu'il reste beaucoup de travail à faire ».
« Lorsque c’est fait dans le respect, avec une vraie reconnaissance de l’histoire et quand il y a une vraie volonté de trouver les manières de travailler ensemble, oui, absolument oui, la réconciliation est possible », estime Moran.
Respect, Reconnaissance, Volonté, tel est le triptyque qui permettra d’aboutir, lentement mais surement, par l’entremise d’une action concertée certes mais surtout équitable loin de toute vision hautaine qui pourrait remettre le couteau dans la plaie et faire ressurgir les démons d’un passé lointain mais si présent dans le présent.
* Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.