OPINION - Deux poids, deux mesures contre les athlètes russes et israéliens : Le CIO en porte à faux
- Le Comité international olympique s'est retranché derrière l'argument de la « neutralité politique », mais cette position occulte la triste réalité : choisir la neutralité revient souvent à se ranger implicitement du côté de l'agresseur
Istanbul
AA/ Istanbul / Jules Boykoff
(L'auteur est un universitaire américain, auteur et ancien footballeur professionnel).
Lorsque l'entraîneur olympique de football palestinien, Hani al-Masdar a été tué par une frappe aérienne israélienne à Gaza, en janvier dernier, on aurait pu s’attendre à une réaction du Comité international olympique (CIO). Le Comité olympique palestinien [1] n'est-il pas officiellement reconnu par le CIO depuis des décennies ?
Mais la reconnaissance ne s'est pas traduite par une quelconque compassion, malgré l'engagement déclaré du CIO [2] « à promouvoir une société pacifique soucieuse de préserver la dignité humaine » et « le respect des principes éthiques fondamentaux universels ».
** Le double standard du CIO
Le silence du CIO a mis en lumière un double standard. Rappelons que lorsque la Russie a envahi l'Ukraine deux ans plus tôt, le Comité international olympique a rapidement réagi en condamnant [3] la Russie pour son bellicisme. « Parce que la guerre est l'antithèse de l'idéal olympique », avait déclaré [4] l'un des vice-présidents du CIO, tout en précisant : « Nous condamnons les actes de la Fédération de Russie. Elle a perdu son droit d'appartenance à la communauté olympique internationale ». Les athlètes russes aux Jeux olympiques d'été de Paris 2024 concourront en tant qu' « athlètes individuels neutres » [5] qui devront remplir des « conditions d'éligibilité strictes. »
Ils participeront sans le drapeau ni l'hymne russe.
Mais, à la question de savoir si Israël serait empêché, au même titre, de participer aux jeux de Paris, le président du CIO, Thomas Bach, a été sans équivoque : [7] « Non, la question ne se pose pas ». Les 87 athlètes olympiques israéliens [8] qui se rendront en France participeront sous le drapeau israélien.
L’armée israélienne a pourtant tué près de 40 000 Palestiniens, la revue médicale britannique The Lancet estimant [9] que le bilan réel des victimes se rapprocherait plus de 186 000 morts, si l'on tient compte des décès causés de façon indirecte et des milliers de personnes ensevelies sous les décombres. Cela représente près de 8 % de la population totale de la Bande de Gaza.
Dire que la réponse d'Israël à l'horrible attaque du Hamas du 7 octobre a été disproportionnée est un parfait euphémisme. Le cofondateur de Human Rights Watch, Aryeh Neier, l'a qualifiée de génocide [10].
Il est évident que l'invasion de l'Ukraine par la Russie et la destruction de la Bande de Gaza par Israël ne sont pas des situations identiques. L'histoire ne nous offre tout simplement pas de jumeaux identiques sur le plan géopolitique. Cependant, l'analyse de la justification donnée par le CIO pour obliger les athlètes russes à participer aux Jeux de Paris en tant qu'« athlètes individuels neutres », montre qu'une norme similaire pourrait également s'appliquer à Israël.
En interdisant le Comité olympique russe et en utilisant la norme de « l'athlète individuel neutre », le CIO a souligné deux facteurs clés :
La Russie a profané la trêve olympique - une résolution symbolique adoptée par les Nations Unies encourageant les États membres à éviter la guerre pendant l'intervalle qui précède les Jeux - lorsqu'elle a envahi l'Ukraine pendant la période des Jeux olympiques et paralympiques d'hiver de 2022 à Pékin.
La Russie a violé la Charte olympique lorsque ses militaires se sont emparés [11] du territoire ukrainien où se trouvaient des « organisations sportives régionales placées sous l'autorité du Comité national olympique d'Ukraine », qui ont ensuite été reprises par le Comité olympique russe.
** Violation de l'intégrité territoriale du Comité national olympique palestinien
Les attaques israéliennes contre Gaza n'ayant pas encore eu lieu pendant la trêve olympique, ce facteur n'a pas lieu d'être. Cependant, Israël a certainement violé l'intégrité territoriale de la Palestine. Tous les terrains de football de Gaza ont été détruits ou endommagés [12]. Ainsi, comme l'a noté le journaliste Karim Zidan, Israël a transformé [13] le célèbre stade Yarmouk de Gaza en un camp d'internement où des Palestiniens ont été détenus et interrogés.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu a proposé [14] d'aller encore plus loin, en prenant le contrôle militaire de Gaza pour une durée indéterminée. Tout cela constitue manifestement une « violation de l'intégrité territoriale » [15] du Comité national olympique palestinien.
Et pourtant, le CIO s'est retranché derrière le prétexte peu convaincant de la « neutralité politique » [16], selon les termes de son président. Cette position occulte la triste réalité : choisir la neutralité signifie souvent implicitement se ranger du côté de l'agresseur, apaiser les puissants et abandonner tous les autres.
Comparée à son approche vis-à-vis de la Russie, l'approche du CIO à l'égard d'Israël est manifestement hypocrite. Mais comme l'a déclaré Numan Kurtulmus, Président de la Grande Assemblée nationale de Türkiye, au journaliste du Washington Post Ishaan Tharoor, il s'agit également d'une « sorte de racisme, car si vous ne mettez pas les victimes palestiniennes sur un pied d'égalité avec les victimes ukrainiennes, cela signifie que vous voulez créer une sorte de hiérarchie au sein de l'humanité ».
Marjane Satrapi, célèbre écrivaine franco-iranienne qui a déclaré qu'elle boycotterait les Jeux olympiques si le Rassemblement national d'extrême droite arrivait au pouvoir, a ajouté : [18] « Comment peut-on être raciste en 2024 ? C'est un raisonnement tellement archaïque ».
Sauf revirement dans la position du CIO, cette « hiérarchie » et cette « pensée archaïque » se manifesteront pleinement aux Jeux Olympiques de Paris.
*Traduit de l’Anglais par Mourad Belhaj
**Les opinions exprimées dans cet article sont propres à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale d'Anadolu.
[1] https://olympics.com/ioc/palestine
[2] https://stillmed.olympics.com/media/Document%20Library/OlympicOrg/General/EN-Olympic-Charter.pdf
[3] https://olympics.com/ioc/news/ioc-strongly-condemns-the-breach-of-the-olympic-truce
[4] https://www.insidethegames.biz/articles/1122576/bach-coates-russia-belarus-stance
[5] https://olympics.com/ioc/news/ain-eligibility-review-panel-established-by-ioc-eb-paris-games-time-protocol-elements-agreed-on
[6] https://olympics.com/ioc/paris-2024-individual-neutral-athletes
[7] https://apnews.com/article/paris-olympics-ioc-bach-israel-russia-8b6005213cb0e680bf533c0454ece216
[8] https://www.israelhayom.com/2024/07/09/israel-doubles-security-budget-for-2024-paris-olympic/
[9] https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(24)01169-3/fulltext
[10] https://www.bbc.co.uk/programmes/p0j1rk0c
[11] https://olympics.com/ioc/news/ioc-executive-board-suspends-russian-olympic-committee-with-immediate-effect
[12] https://www.sportspolitika.news/p/gaza-football-stadiums-israel-war
[13] https://www.sportspolitika.news/p/i-will-never-forgive-them-gaza-grieves?r=2r4z7
[14] https://www.nytimes.com/2024/02/23/world/middleeast/netanyahu-postwar-plan-gaza-palestinians-reject.html
[15] https://olympics.com/ioc/news/ioc-executive-board-suspends-russian-olympic-committee-with-immediate-effect
[16] https://www.reuters.com/lifestyle/sports/ioc-games-cannot-be-referees-political-disputes-bach-2023-03-22/
[17] https://www.washingtonpost.com/world/2024/07/10/nato-summit-ukraine-gaza/
[18] https://www.mediapart.fr/journal/france/060724/marjane-satrapi-nous-sommes-tous-chez-nous-en-france