Ottawa-Pékin : Le torchon brûle (Analyse)
- Ouighours, ressortissants emprisonnés, Hong Kong, Huawei, ce ne sont pas les sujets de discorde qui manquent pour envenimer les relations, de plus en plus tendues, entre le Canada et la Chine

Canada
AA / Montréal / Hatem Kattou
Les clivages et les tensions entre le Canada et la Chine se multiplient et s’amoncellent depuis plus de deux ans, rendant les relations entre les deux pays, séparés par l’Océan Pacifique, tendues.
En effet, le « génocide » qui cible la minorité des Ouighours, la répression des manifestations à Hong Kong, les deux ressortissants canadiens détenus en Chine, la numéro deux de Huawei interpelée par le Canada, sont autant d’épisodes, qui en s’accumulant, viennent compliquer les relations diplomatiques entre les deux pays.
Le « génocide » des Ouighours
Le Canada s'est élevé, à maintes reprises, pour dénoncer fermement la répression subie par la minorité musulmane ouïghoure dans l’ouest de la Chine.
Si la position du gouvernement libéral de Justin Trudeau affiche, par moments, une prudence dictée par les contraintes de la realpolitik, il n'en demeure pas moins que la diplomatie canadienne condamne « sans équivoque » les exactions flagrantes des droits de la personne dans le Turkestan oriental.
De son côté, la Chambre des communes (Chambre basse du Parlement canadien), qui représente une institution de premier plan dans un régime parlementaire, ne fait pas sienne les mêmes précautions.
Le 22 février écoulé, les parlementaires fédéraux ont adopté, à l'unanimité, une motion appelant la chambre à reconnaître le traitement réservé par Pékin aux Ouïghours musulmans comme « génocide ». Le mot est lâché.
Cette motion a fait sortir de ses gonds l’ambassadeur de Chine à Ottawa, qui intervient, d’ailleurs, assez fréquemment dans les médias canadiens pour défendre les positions et thèses de son pays et attaquer vertement les « détracteurs » et critiques de Pékin.
En effet, le diplomate de l’Empire du Milieu, Cong Peiwu, a, dans une réaction au vitriol, qualifié la motion, bien que non-contraignante, de « honteuse », de « provocation malicieuse » et d’« ingérence grossière dans les affaires internes de la Chine ».
L’ambassadeur a, également, fait miroiter la carte des représailles contre le Canada, sans en préciser la teneur, en déclarant cette semaine : « nous prendrons des mesures fermes afin de protéger les intérêts et notre dignité nationale ».
En plus des institutions officielles (gouvernement et parlement), des voix respectées au Canada s’élèvent pour aller plus loin dans cette condamnation, dont la dernière en date fût celle de Roméo Dallaire, un lieutenant-général à la retraite, considéré comme un « héros » national.
Libre de toute contrainte officielle ou d’une quelconque obligation de réserve, celui qui a supervisé l’intervention onusienne lors du génocide rwandais en 1994, a lancé tout de go : « Ils (Les Ouighours) vont disparaître, ce n’est pas plus compliqué que ça! ».
Intervenant lors d’une émission d’information très suivie sur « Radio Canada », Dallaire a sommé son pays « d’agir avant qu’il ne soit trop tard », craignant de « voir l’histoire se répéter en Chine avec la minorité musulmane ouïghoure », faisant allusion au pays des mille collines dans la région des Grands Lacs.
La situation dans l’ouest de la Chine n’est pas la seule à susciter les critiques du Canada. En effet, un passage à l’autre extrémité du pays, plus précisément, à Hong Kong où la situation n’a pas laissé Ottawa dans l’indifférence.
La « répression » à Hong Kong
A l'instar de ses positions prises à l’égard de ce qui se passe dans le Turkestan oriental, le Canada a dénoncé, de manière itérative, les violations des droits de l’homme et les atteintes à la démocratie à Hong Kong, en particulier, une « Loi sur la sécurité nationale ».
Au-delà des âpres condamnations « protocolaires et d'usage » des Occidentaux, le Canada a récemment franchi un nouveau pas en mettant en place des « initiatives destinées à aider les citoyens de Hong Kong à rester ou à venir au Canada s'ils le désirent ».
L’ambassadeur chinois a considéré ces mesures, même avant leur entrée en vigueur, le 8 février dernier, « d’ingérence dans les affaires intérieures de la Chine et que cela encouragerait certainement ces criminels violents ».
Après les territoires (Turkestan oriental et Hong Kong), c’est autour des individus de cristalliser les tensions et les clivages entre le Canada et la Chine.
La n 2 du géant chinois interpellée à Vancouver
Meng Wanzhou, directrice financière et numéro 2 du géant chinois dans le domaine des TIC, Huawei, a été arrêtée, le 1er décembre 2018, à sa descente d’avion à l’aéroport de Vancouver (ouest du Canada). Cette arrestation est intervenue à la demande expresse des autorités américaines, qui réclament, depuis, son extradition.
Meng Wanzhou, par ailleurs fille du fondateur de Huawei, est accusée par Washington d'avoir « tenté de contourner l'embargo américain contre l'Iran en donnant de fausses informations à la banque américaine HSBC à Hong Kong en août 2013 ».
Placée en résidence surveillée, Wanzhou fait face à un procès fleuve d’extradition, dont la première audience s’était tenue, devant la Cour suprême de la Colombie Britannique, le 1er mars courant, soit 27 mois après son interpellation.
Cet épisode est considéré par nombre d'observateurs comme étant l'amorce de la crise entre Pékin et Ottawa, laquelle crise a vu d'autres jalons s'ajouter pour empoisonner les relations entre les deux capitales.
La réaction chinoise à cette arrestation ne s’est pas fait attendre. Quelques jours plus tard, un autre épisode viendra crisper davantage les relations sino-canadiennes.
Les représailles de Pékin : les « deux Michael » emprisonnés
En effet, dix jours plus tard, deux Canadiens du nom de Michael Kovrig, ancien diplomate, et de Michael Spavor, entrepreneur de son état, ont été interpellés par les autorités chinoises qui les accusent de « se livrer à des activités mettant en danger la sécurité nationale ».
Qualifiant cette interpellation suivie de détention, « d’arbitraire », le Canada estime que l’arrestation est intervenue en signe de représailles à celle de la numéro deux de Huawei, bien que la Chine s’en défend.
Depuis, rien ne va plus entre les deux capitales.
A maintes reprises, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, avait nié toute « corrélation » entre l’arrestation des deux Canadiens et celle de Meng Wanzhou, qu'elle a désignée comme un « incident purement politique ».
Notons qu’immédiatement après le début du procès de Wanzhou, des médias proches du parti au pouvoir en Chine, ont annoncé que les deux Canadiens seront « bientôt » traduits devant la justice pour un premier procès.
Des observateurs canadiens considèrent que le sort des deux Michael est intimement lié à la libération ou pas de Meng Wanzhou et que Pékin jouera à fond cette carte pour exiger l’élargissement de la dirigeante du géant chinois.
Cependant, le destin de l’apparatchik économique chinoise n’est pas entre les seules mains de la justice canadienne, supposée indépendante, mais relève également du Département américain de la Justice, qui pourrait intervenir pour négocier une entente avec la prévenue.
Nous constatons, donc, que les points de discorde entre les deux pays sont nombreux.
Le Canada, qui se considère comme étant le porte-étendard de la défense des droits de l’Homme, ne manque pas une occasion pour « fustiger » Pékin dans ce registre, tandis que la Chine, au nationalisme ombrageux, et forte de sa puissance économique, ne tolère aucun « écart de langage » ni la moindre critique qu’elle considère comme étant une « ingérence franche » dans ses affaires intérieures.
Les observateurs avisés de l’évolution de ces relations estiment que la résolution du dossier de la dirigeante de Huawei est la clé du dénouement de la crise et de la sortie de l’actuelle ornière.
Ajoutons à cela les intérêts économiques entre deux partenaires privilégiés, dont le volume des échanges commerciaux s’établissait au début de l’année 2020 à hauteur de 98 milliards de dollars canadiens.
Il convient de noter que les échanges sino-canadiens ont été davantage impactés par la pandémie de la Covid-19 que par les tensions diplomatiques.
Face à cette quadrature du cercle illustrée par la justice canado-américaine, le commerce bilatéral entre deux membres du G20, les valeurs démocratiques et les droits humains bafoués en Chine et les relations diplomatiques classiques, il serait intéressant de déceler comment les deux pays envisagent de négocier les prochains mois.
Se dirige-t-on vers un apaisement suivi de réchauffement voire d’un resserrement des liens, ou s’oriente-t-on vers un enlisement et davantage de crispation?
Le rôle du voisin du sud du Canada et « ennemi juré » de la Chine à qui il dispute la suprématie mondiale, en l’occurrence Washington, sera déterminant, d’autant plus qu’en février dernier et lors du Sommet virtuel entre Trudeau et le nouveau locataire de la Maison blanche, Joe Biden, les relations avec Pékin étaient au menu des discussions.
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