Quel avenir pour les relations turco-saoudiennes ? (Analyse)
- La récente période a été marquée par des indicateurs de rapprochement entre la Turquie et l’Arabie Saoudite après une reculade remarquable des relations bilatérales qui a duré plusieurs années.
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AA / Istanbul
Le Pr Necmettin Acar, chef du département des Relations internationales à l’Université Mardin Artuklu
-La Turquie et l’Arabie Saoudite sont les principaux acteurs dans la région du Moyen-Orient
-Les Etats-Unis sont les garants de la sécurité des pays du Golfe depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale
-Après la révolution du gaz de schiste, la sécurité effective offerte par Washington aux pays du Golfe s’est affaiblie
- L’obtention par les Emirats et le Qatar d’une part importante de l’économie de la région à la faveur de leurs bonnes relations entretenues avec la Turquie a poussé Riyad à se mobiliser plus rapidement en vue d’améliorer ses relations avec Ankara
-Il est attendu que le « boycott informel » imposé aux produits turcs en Arabie Saoudite prendra fin après la visite prévue du président Erdogan
La récente période a été marquée par l’émergence d’indicateurs de rapprochement entre la Turquie et l’Arabie Saoudite après une reculade remarquable des relations bilatérales qui a duré plusieurs années.
En 2021, le président turc, Recep Tayyip Erodgan, a effectué un entretien téléphonique avec le monarque saoudien, Salman Ibn Abdulaziz, en marge du Sommet du G20.
Il s’agissait du premier contact de haut niveau entre les deux pays depuis une longue période.
Le président Erodgan avait annoncé, récemment, qu’il envisage d’effectuer une visite officielle en Arabie Saoudite, au mois de février prochain.
Les problèmes sécuritaires générés par la faiblesse du parapluie sécuritaire américain et la volonté de l’Arabie Saoudite d’atteindre les objectifs de sa Vision 2030, en plus de son souhait d’accomplir un plus grand rôle dans l’Initiative de la « Ceinture économique de la route de la soie » chinoise, autant de facteurs qui ont incité et encouragé les Saoudiens à élever le niveau de leurs relations avec les pays influents et les acteurs clés dans la région.
-L’évolution des relations
Les relations turco-saoudiennes évoluaient à un rythme relativement positif, et ce jusqu’à la période précédant le « Printemps arabe ».
L'adoption par chacun des Etats de positions différentes à l'endroit des révolutions du Printemps arabe a abouti à une détérioration de leurs relations bilatérales.
En se penchant sur les positions actuelles des deux pays, nous constatons qu'aucun changement majeur n’est intervenu sur leurs positions au sujet des questions régionales. Nous enregistrons, cependant, une baisse de la tension entre les deux capitales et une volonté mutuelle d'améliorer et de hisser le niveau de leurs liens.
En effet, les changements intervenus à l'échelle régionale et internationale, au cours de la période écoulée, ont poussé les deux pays à se rapprocher à nouveau.
Parmi les principaux facteurs, qui ont encouragé les deux parties à coopérer, figurent la faiblesse du parapluie sécuritaire américain, l’Initiative de la « Ceinture économique de la route de la soie » chinoise, les problèmes économiques ainsi que la concurrence économique entre les acteurs régionaux.
-Des développements impactant
Depuis la deuxième Guerre mondiale et jusqu'à la deuxième décennie du XXIe siècle, les Etats-Unis d'Amérique ont été le principal soutien à la sécurité de la région du Golfe et le garant de la stabilité des régimes et de l'intégrité territoriale des pays de la région.
Toutefois, et alors que Washington est plus enclin à ne plus compter principalement sur les ressources énergétiques des pays du Golfe, à la faveur de la révolution du gaz du schiste et de sa volonté de contenir la Chine par la stratégie du Changement vers l'Asie, cela a abouti à une régression notoire et à une grande faiblesse dans les garanties de sécurité offertes par les Etats-Unis à la région du Golfe.
Au début, l’Arabie Saoudite n’affichait aucune difficulté pour faire face et traiter toute menace qui la ciblait grâce aux garanties sécuritaires américaines, mais durant la période écoulée, elle a commencé à chercher d’autres alternatives lui permettant de surmonter ces menaces.
La guerre du Yémen et les activités iraniennes qui menacent le statu quo dans la région que Riyad tente de préserver représentent les principaux facteurs qui ont poussé le royaume à identifier d’autres alternatives au plan sécuritaire.
Au cours de cette période, Riyad a commencé à s’orienter vers d’autres acteurs internationaux, tels que la Russie et la Chine d’une part. tout en s’employant à combler cette vacance sécuritaire en nouant des liens plus proches avec les acteurs régionaux, à l’instar de la Turquie et d’Israël, d’autre part.
L’Initiative chinoise de la Ceinture économique et de la Route de la Soie, annoncée en 2013, et les corridors économiques générés par cette Initiative d’envergure, ont résulté un rapprochement entre les acteurs régionaux.
Évidemment, la participation de la Turquie au corridor médian de l’Initiative impacte et influe de manière majeure sur ses relations avec l’Arabie Saoudite.
Dans le cadre de ce projet, une ligne reliant le Golfe à l’Europe en passant par la Turquie sera créée et c’est un projet ressemblant à la ligne ferroviaire Berlin-Bagdad qui existait durant la deuxième moitié du XIXe siècle.
Cette ligne fera de la Turquie un partenaire de premier plan de l’Arabie Saoudite qui affiche un intérêt particulier à l’Initiative chinoise. L’existence d’autres cartes et alternatives à la disposition de la Turquie, consistant essentiellement en la ligne Islamabad – Téhéran – Istanbul, incite l’Arabie Saoudite à coopérer davantage avec la Turquie, dans la mesure où le royaume souhaite jouer un rôle actif dans l’Initiative et ne veut pas laisser passer cette opportunité.
Au cours de la période écoulée, une concurrence économique majeure est apparue entre les pays du Golfe qui s'emploient à évoluer du stade de l'économie de rente à celui d’une économie dynamique productive, bien que ces Etats visaient, depuis de longues années, à assurer une complémentarité économique dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe.
L'injonction faite par l'Arabie saoudite à l'endroit des compagnies étrangères, qui opèrent avec le Royaume, de transférer leurs sièges et centres régionaux à Riyad, et le lancement d'une nouvelle compagnie aérienne ainsi que l'adoption d'une série de politiques économiques visant à imposer cette taxe douanière sur les produits importés depuis les zones franches, constituent les principaux outils auxquels Riyad à recouru pour faire face à la rude concurrence économique face à ses voisins de la région du Golfe.
De plus, l’obtention par les Emirats et le Qatar d’une part importante de l’économie de la région à la faveur de leurs bonnes relations entretenues avec la Turquie a poussé Riyad à se mobiliser plus rapidement en vue d’améliorer ses relations avec Ankara.
-Les acquis du rapprochement
Le rapprochement entre Riyad et Ankara permettra d'engranger une série d'acquis pour l'Etat turc, s’agissant particulièrement de la contribution à l'amélioration du niveau des relations d’Ankara avec Tel-Aviv et le Caire, ainsi que d'atteindre ses objectifs en matière d'exportations, tout en surmontant les difficultés auxquelles fait face son économie.
Il est attendu que le boycott informel imposé aux produits turcs en Arabie Saoudite prendra fin après la visite attendue du président Erdoğan, qui permettra, aussi, aux entreprises turques de reprendre leurs activités en Arabie Saoudite, là où elles ont été suspendues.
Il est bien connu que les Etats du Golfe usent, de manière optimale, du pétrodollar, comme outil influent pour déployer leur influence dans la région, de même qu’ils sont en mesure d'influer sur les politiques de certains pays de la région via leurs investissements. Les principaux exemples qui peuvent illustrer cette approche sont l'Egypte, le Pakistan, le Bahreïn et le Liban.
Depuis le début du Printemps arabe, l'Arabie Saoudite et la Turquie campent sur des positions divergentes concernant les questions régionales.
Toutefois, la faiblesse des garanties sécuritaires américaines accordées aux pays de la région du Golfe, la volonté de tirer profit des acquis offerts par l’Initiative de la Ceinture économique et de la Route de soie chinoise, ainsi que la concurrence économique entre les principaux acteurs de la région, incitent et encouragent, aussi bien l'Arabie Saoudite que la Turquie, à se rapprocher et à coopérer.
Il est probable que le rapprochement s'illustrera, en premier lieu, dans les domaines économiques avant que cela ne se reflète de manière tangible, dans un avenir proche, sur les champs de concurrence géopolitique.
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