Relations turco-africaine après le Troisième Sommet Turquie-Afrique (ANALYSE)
- La politique africaine de la Turquie se fonde sur de nombreux et différents éléments de "soft power", tels que les relations commerciales, l'aide humanitaire, la diplomatie aérienne, les médias, la diplomatie culturelle et l'éducation.
Ankara
AA / Istanbul / Dr. Elem Eyrice Tepeciklioğlu
Lorsque la République de Turquie a été fondée, la plupart des pays africains étaient sous domination coloniale. À cette époque, la république nouvellement établie avait des priorités nationales telles que le développement économique et la construction d'un État-nation. La stagnation des relations dans les années suivantes doit être évaluée dans le cadre de la dynamique de la période de la guerre froide, des préoccupations sécuritaires de la Turquie et des relations entre alliées.
Au cours de la même période, quelques tentatives de rapprochement avec des pays du continent africains ont également été faites, mais celles-ci ont été de courte durée. Les efforts de la Turquie pour améliorer ses relations avec les pays africains dans les années 1960, 1970, et même à la fin des années 1990 ont coïncidé avec les périodes où elle se sentait isolée sur la scène internationale et où elle a cherché des partenaires alternatifs et un soutien pour ses actions de politique étrangère. La politique d'expansion africaine, adoptée en 1998, est la plus complète des initiatives prises jusqu'alors. Cependant, cette politique n'a pas pu être pleinement mise en œuvre en raison de certains problèmes politiques et économiques.
- Le point de rupture des relations Turquie-Afrique
Les relations de la Turquie avec les pays africains ont pris de l'ampleur, en particulier après la déclaration de 2005 comme "l'Année de l'Afrique" et le premier sommet de coopération Turquie-Afrique tenu en 2008. La plupart des 43 ambassades présentes sur le continent ont été ouvertes dans les années qui ont suivi ce sommet. Entre 2009 et 2014, la Turquie a ouvert des ambassades dans 27 pays africains. Deux caractéristiques principales distinguent la politique africaine menée au cours de cette période de celle menée lors des périodes précédentes : d’abord, les milieux d'affaires et les organisations non-gouvernementales ont agi en coordination avec les institutions publiques dans la mise en œuvre de la politique africaine et ont complété l'expansion africaine.
La deuxième caractéristique, peut-être la plus importante, est que la politique africaine de la Turquie est basée sur de nombreux et différents éléments de "soft power" tels que les relations commerciales, l'aide humanitaire, la diplomatie aérienne, la diplomatie médiatique, la diplomatie culturelle, l'éducation et la diplomatie religieuse.
- Les relations économiques de la Turquie avec les pays africains
En 2021, l'étendue des échanges de la Turquie avec les pays africains s'élevait à 25 milliards de dollars et les relations commerciales ont le potentiel d'atteindre un niveau supérieur. Les entreprises turques présentes sur le continent depuis les années 1970 ont entrepris de grands projets, notamment dans le domaine des infrastructures. Alors que l'Institut Yunus Emre (YEE), principale institution qui mène des activités de diplomatie culturelle en Turquie, compte 10 centres culturels dans 8 pays africains, ce nombre devrait doubler en 2022. Il est vrai que l'intérêt pour la culture et la langue turque augmente à travers les centres culturels ouverts sur le continent. Ces centres contribuent également à l'approfondissement de l'interaction entre les différentes cultures.
- Relations culturelles et éducatives
Un autre développement important en termes d'activités de diplomatie publique, qui a accru la communication interculturelle entre la Turquie et les pays africains, a été l'unification des bourses accordées aux étudiants internationaux par différentes organisations sous le nom de Türkiye Scholarships (bourses de Turquie), à la suite de la création de la Présidence pour les Turcs à l’Étranger et des Communautés Affiliées (YTB) en 2010.
Avec la mise en œuvre des bourses de Turquie en 2012, le nombre d'étudiants africains s’inscrivant dans des établissements d'enseignement supérieur en Turquie a plus que quadruplé. La majorité de ces étudiants viennent de pays d'Afrique du Nord et de pays avec lesquels la Turquie entretient des relations plus intenses, comme la Somalie, le Soudan ou encore l'Éthiopie.
Cependant, un nombre important d'étudiants provenant de pays africains relativement petits en termes de population et de géographie, comme Djibouti, le Bénin et la Guinée, étudient dans les universités turques. Les bourses accordées aux étudiants africains doivent être considérées comme une importante source d'investissement pour l'avenir des relations de la Turquie avec les pays africains. Parce que les personnes qui bénéficient de ces programmes de bourses ont une opinion positive sur la Turquie. Lorsqu’ils retourneront dans leur pays, ils joueront un rôle important dans l'approfondissement des relations entre la Turquie et leur propre pays.
Une autre institution engagée dans des activités de diplomatie éducative est la Fondation Maarif de Turquie. Depuis sa création en 2016, elle a rendu possible l'accès à l'éducation à plus de 17 000 étudiants africains dans 175 établissements d'enseignement dans 25 pays africains. L'institution contribue de cette façon au soft power de la Turquie avec les étudiants turcophones qu'elle forme.
En plus de ces organisations, la Fondation religieuse turque (TDV) offre également des bourses d'études universitaires et secondaires à des étudiants musulmans de divers pays africains. La fondation construit également des mosquées dans de nombreux pays du continent, restaure des mosquées endommagées et organise des campagnes d'aide aux personnes dans le besoin, en particulier pendant les périodes importantes pour les musulmans.
D'autre part, le transfert d'aide publique au développement aux pays africains se fait par le biais de l'Agence Turque de Coopération et de Développement (TIKA), une agence d'aide internationale de la Turquie. TIKA, en collaboration avec des organisations non-gouvernementales turques et d'autres institutions publiques, réalise des projets dans de nombreux domaines, en particulier dans les secteurs de l'éducation, de la santé et de l'agriculture. Elle réalise aussi des programmes de formation pour répondre au besoin de main-d'œuvre qualifiée dans les secteurs et professions primordiaux en Afrique.
- La hausse de la visibilité de la Turquie en Afrique
L'Agence Anadolu (AA), est une autre institution qui contribue au soft power de la Turquie. En parallèle, à l'expansion africaine de la République de Turquie, elle a ouvert des centres ou des bureaux de diffusion dans certains pays africains. En plus de AA, la chaîne TRT World, qui a commencé à émettre en 2015, atteint presque toute l'Afrique en anglais, grâce à la fois à Internet et à la diffusion télévisée traditionnelle. Aussi, l'un des développements les plus importants dans ce domaine a été le début de la diffusion de TRT Swahili en 2020.
Par ailleurs, Turkish Airlines (THY) dessert, depuis 2022, 61 destinations dans 40 pays du continent africain. En 2012, il était question de vols vers seulement 12 destinations sur le continent. THY étend ses réseaux de vols, agit selon les priorités de la politique étrangère turque et contribue à accroître la visibilité de la Turquie en Afrique.
- Le rôle de l'industrie de la défense dans les relations turco-africaine
La question de la coopération militaire avec les pays africains n'a pas beaucoup retenu l'attention jusqu'à l'ouverture, en 2017 dans la capitale Mogadiscio, du centre de formation militaire TURKSOM pour la formation des soldats somaliens. De même que la signature d'un accord de coopération militaire et sécuritaire avec le gouvernement basé à Tripoli (Libye) en 2019.
La principale raison pour laquelle la présence militaire de la Turquie en Afrique a commencé à être discutée plus récemment est l'exportation croissante vers les pays africains d'armes, de véhicules terrestres (blindés) et en particulier des drones armés ou non, parallèlement au développement de l'industrie de la défense.
Les drones de fabrication turque sont très demandés par les gouvernements africains, à la fois parce qu'ils sont moins chers que leurs semblables sur le marché, mais aussi parce que la Turquie ne lie pas la vente de ces armes aux conditions politiques. À cet égard, la Turquie est apparue comme une alternative importante à la Russie, à la France, aux États-Unis et à la Chine, qui détiennent depuis de nombreuses années le monopole du marché des armes sur le continent.
- Équilibre entre hard et soft power dans les relations
Les exportations de l'industrie de la défense turque vers les pays africains devraient encore augmenter dans les années à venir. Cependant, il est possible que les ventes aux pays africains qui ont divers problèmes avec leurs voisins ou qui sont le théâtre de conflits internes nuisent aux relations avec d'autres pays.
Pour cette raison, dans le processus d'intégration des éléments de hard power dans les éléments de soft power, qui ont été l'épine dorsale de la politique africaine de la Turquie pendant de nombreuses années, il est nécessaire d'agir avec prudence, en particulier dans les ventes d'armes, et de tenir compte de la dynamique intra régionale. Sinon, cette question risque de nuire à l'image de la Turquie, dans laquelle des investissements importants ont été réalisés depuis de nombreuses années, et que la Turquie a bâtie grâce au soft power sur le continent.
Toutefois, d'autres défis attendent la Turquie à moyen et long terme découlant de la concurrence internationale sur le continent. L'attitude à adopter face à ces défis, en particulier l'utilisation conjointe des éléments de soft power et de hard power, sera décisive dans les relations turco-africaine.
* Traduit du turc par Nursena Karakaya
[Dr. Elem Eyrice Tepeciklioğlu est enseignante à l'Université Yaşar]
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