Politique, Analyse

Tunisie : Saïed jette le pays dans l'inconnu (Analyse)*

- Scènes de joie à travers le pays, après le séisme que le Président de la République a provoqué. Mais de quoi demain sera-t-il fait ?

Fatma Bendhaou  | 26.07.2021 - Mıse À Jour : 26.07.2021
Tunisie : Saïed jette le pays dans l'inconnu (Analyse)*

Tunisia


AA / Tunis/ Slah Grichi

Personne, en Tunisie, ne prenait au sérieux les statuts, publiés dernièrement sur les réseaux sociaux, par les jeunes du "Mouvement du 25 juillet". Un mouvement obscur, émergé du néant, tout comme le flux qui a porté Kaïs Saïed à la présidence de la République, avec une majorité absolue. Ces statuts annonçaient pourtant clairement, avec force détails, une prise de tous les pouvoirs par le Chef de l'État et l'arrestation de centaines de députés et d'hommes politiques, nommément désignés.

Un scénario de coup d'État auquel on ne pouvait croire, tant le scénario était peu crédible, puisque dénué de la discrétion et, surtout, du secret qui doit entourer ce genre d'entreprises. Et pourtant...
Même l'appel de ce mouvement à manifester le 25 juillet, jour de la Fête de la République, relayé par quelques personnalités politiques, était davantage perçu comme une réaction à l'inopportun ultimatum posé au Chef du gouvernement par Abdelkérim Harouni, président du "Majless Choura" (Conseil des Sages) d'Ennahdha, pour activer le Fonds des compensations, avant le 25 juillet. Une exigence qui a révolté la majorité des Tunisiens, frappés par une gravissime crise sociale, économique, politique et sanitaire. Le bureau et des barons d'Ennahdha ont eu beau faire marche arrière, affirmer que Harouni s'était mal exprimé, le mal était fait. Mais qui aurait cru que le mouvement de protestation, où aucun parti n'était engagé, y compris la farouche opposante Abir Moussi et son parti destourien libre (PDL), allait être aussi général et qui s'attendait à ce que Kaïs Saïed en profitât, le soir même, pour réunir de hauts cadres sécuritaires et militaires et annoncer le limogeage du chef du gouvernement et ministre de l'Intérieur par intérim, le gel des activités du Parlement, la levée de l'immunité des députés et la prise en charge du ministère public (Justice)? Difficile de ne pas lier ceci à cela et de ne pas supposer une relation de collusion.

Quoi qu'il en soit, beaucoup de Tunisiens, désabusés et fatigués par une pandémie du Coronavirus qui tue de plus en plus, une baisse nette du pouvoir d'achat, un taux de chômage jamais atteint, une corruption de plus en plus manifeste, un paysage politique sali au sein même du Parlement, sont en train de braver, à ce moment même et partout dans le pays, le couvre-feu pour manifester, à coups de klaxons, leur joie des décisions prises par le Président de la République, inconscients pour la majorité, que ce dernier a jeté le pays dans l'inconnu, comme le dit la juriste et militante des droits de l'Homme Sana Ben Achour, ancienne candidate des mouvances modernistes démocrates à la Cour constitutionnelle.

Pour elle comme pour plusieurs politiques et constitutionnalistes, Saïed a outre-passé les prérogatives que lui accorde la Constitution et qu'accaparer, même provisoirement, tous les pouvoirs ne présage rien de bon. Elle se retrouve, dans sa position et à propos des décisions du Président de la République, dans le bord de Rached Ghannouchi et de ses lieutenants dont les déclarations vont dans le même sens, évoquant un retournement sans équivoque contre les institutions de l'État.

Quant à l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), sans laquelle rien ne peut être mené à bien, elle semble avoir été prise de court, puisque son secrétaire général s'est refusé à tout commentaire, nous assurant que dans la matinée (lundi matin), une réunion ad-hoc allait se tenir et qu'un communiqué s'en suivrait.

La question qui se pose cette nuit est relative aux mesures qu'a dû prendre Saïed pour "accompagner" l'éviction de la puissante Ennahdha et ses alliés, le limogeage du Chef du gouvernement qui est également le ministre de l'Intérieur et la prise de tous les pouvoirs ? A-t-il fait arrêter des personnes qui peuvent s'élever contre lui ? En a-t-il fait mettre d'autres en résidence surveillée, d'autant qu'il a bien mis en garde, tout à l'heure, quiconque recourrait à la violence ou aux armes ? Enfin, quelles couvertures, ou quelles alliances "sécuritaires" s'est-il assurées ?

Demain, il fera jour.


* Les opinions exprimées dans cette analyse n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l'Agence Anadolu.

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