"Bayam-Sellam", ces mères nourricières qui ravitaillent les marchés camerounais
Elles se lèvent à l’aube, parcourent des kilomètres pour acheter des aliments qu’elles vendent par la suite dans les marchés. Avec l’argent si durement gagné, ces femmes paient la scolarité et la nutrition de leurs enfants.

AA/ Douala (Cameroun)/ Pado Chemie
Les « Bayam sellam » sont ces femmes qui se lèvent aux premiers chants du coq, pour se rendre dans des villages, y acheter des marchandises qu’elles revendent par la suite, approvisionnant ainsi des villes et des marchés entiers au Cameroun.
Foulard négligemment noué sur la tête, Marceline Kengne essuie d’un rapide geste de la main droite la sueur qui coule sur son visage. Elle ne quitte pas des yeux les cinq jeunes hommes qui déchargent des sacs remplis de patates douces du camion garé en bordure du marché Madagascar, l’un des plus grands marchés de Douala (Littoral), capitale économique du Cameroun.
Marceline Kengne est une « Bayam Sellam »- issu des mots anglais Buy qui veut dire acheter et Sell qui veut dire vendre- spécialisée dans la vente des tubercules.
« Depuis 22 ans, je vais dans des villages de l’Ouest du Cameroun acheter des maniocs, patates douces, ignames, macabos et taro que je reviens revendre dans ce marché. Je revends aussi au prix de gros à certaines vendeuses des autres marchés », confie-t-elle à Anadolu, la mine fatiguée.
Christine, une autre Bayam Sellam, se rend aux premières heures de chaque vendredi de la semaine, dans les plantations situées dans les villes périphériques de Douala, notamment Penja, Loum, Manjo et Njombe pour s’approvisionner en bananes et plantains. Elle achète parfois des camions entiers de marchandises pour ravitailler le marché central de Douala. Son prix d’achat varie entre 500 000 F (905 USD) et deux millions de F.Cfa (3620 USD).
Au Cameroun, le chiffre exact des Bayam-Sellam n’est pas connu officiellement. Cependant, d’après la présidente fondatrice de l’Association des Bayam Sellam du Cameroun (Asby), Marie Biloa Mbala, rencontré par Anadolu, elles sont estimées à des millions de personnes sur l’étendue du territoire national. Parmi elles, on retrouve des diplômées, retraitées et des femmes qui ont perdu leur emploi.
« Si les Bayam Sellam arrêtent un seul jour leur activité, le Cameroun sera paralysé et victime de famine. Ces femmes nourrissent le pays entier, de l’Ouest à l’Est, en passant par le Nord et le Sud », assure Marie Biloa Mbala qui précise que ces femmes vendent la plupart des aliments consommés au Cameroun.
« En 2012, le président de la République, Paul Biya, nous a écrit en disant que notre travail était d’utilité publique au Cameroun», vante Biloa Mbala.
La part de ses activités dans l'économie camerounaise n'a pu être obtenu par la délégation du Commerce qui confirme néanmoins que ces activités font partie du secteur informel qui représente environ 80% de l'économie camerounaise.
« Il suffit de parcourir tous nos marchés de Douala pour se rendre compte que ce sont ces femmes, nos mères nourricières, qui vendent les principales denrées que nous consommons dans toutes nos maisons. Avec la crise économique des années 1990, leurs maris ont perdu leur emploi. Certains sont même décédés et elles ont décidé de prendre le destin de leur famille en main », a déclaré avec admiration un cadre de la délégation régionale du ministère du Commerce pour le Littoral sous le couvert de l’anonymat.
Dans les familles, l’argent si durement gagné par les Bayam Sellam sert à payer la scolarité, l’hospitalisation et la nutrition de leurs enfants. Certaines paient aussi la location des maisons qu’elles occupent.
« J’ai perdu mon mari en 2004. Bien avant sa mort, il avait perdu son travail en 1997. Je suis le chef de famille. Je m’occupe de mes six enfants. Ma première fille est aujourd’hui inscrite en 2ème année master dans une grande université privée du Cameroun », indique avec fierté Florette Minkam, une Bayam Sellam du marché Ndogpassi, à Douala.
Cependant, ces femmes rencontrent d’énormes difficultés au quotidien. La principale étant d’ordre financier. Elles manquent en effet de moyens pour agrandir leurs activités.
« Nous avons mis sur pied une coopérative d’épargne et de crédits. Des femmes Bayam Sellam font des cotisations pour le capital. Nous attendons l’agreement des autorités compétentes et l’aide des particuliers et même de l’Etat », indique Marie Biloa Mbala.
« Nous sommes en train de mettre sur pied un réseau constitué de Bayam Sellam, agriculteurs, commerçants, transporteurs et pisciculteurs pour pouvoir acheter facilement nos produits », poursuit-elle.
En attendant, des organismes tels qu'Onu Femmes - l'organisation des Nations Unies consacrée à l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes -forment les Bayam Sellam du Cameroun en comptabilité et gestion pour leur permettre de bien gérer leurs fonds.
L’Asby organise également des formations avec ses membres sur la propreté individuelle, la manière d’accueillir et de servir les clients, informe encore sa présidente.
« Les Bayam Sellam ont souvent été insultées parce que, à peine rentrées des villages où elles achètent leurs marchandises, elles ne se lavent pas, car elles sont pressées de livrer à leurs clientes. Désormais nous faisons des efforts pour notre apparence et nous nous lavons correctement avant de vendre », précise Térèse, une Bayam Sella, vêtue d’une robe fleurie.
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