
AA/ Bujumbura/ Rénovat Ndabashinze
Dans le quartier musulman de la capitale burundaise, Buyenzi, fleurissent petits métiers et commerces, mais le vrai mérite de cette cité de Bujumbura relève de la tolérance et de l'ouverture de ses habitants qui font encore parler d'eux.
« Les gens de Buyenzi vivent du fruit de leur sueur. La plupart n’ayant pas pu fréquenter l’école, ils se sont tournés avec brio vers des petits métiers », raconte à Anadolu El Hadj Haruna Nkunduwiga, directeur du Centre Islamique de Bujumbura.
Buyenzi constitue, ainsi, la cité imbattable en mécanique, en maçonnerie, en électromécanique. Tout au long de ses 25 avenues, aux bords desquelles s'élèvent de vieilles maisonnettes, coiffées d'antennes paraboliques biscornues, "made in Buyenzi" pour la plupart, se dressent également quelques commerces, offrant aux regards curieux, des moulins, des machines à coudre, des outils de plomberie, des meubles, des électroménagers, des pièces de rechange de voitures. Certains sont exposés devant les ateliers, dans des "vitrines" de fortune, d'autres sont jonchées à même le sol, quand les rues sont pavées.
"Tout est possible, résume un jeune soudeur rencontré à la 4ème avenue. On peut trouver tous les outils domestiques ou engins professionnels ici à Buyenzi. Même le moteur d’un avion vous le trouvrez ici" surenchère-t-il.
Forte d'une réputation de terre de commerçants, Buyenzi constitue un dernier recours. "Ce qu’on ne trouve pas là, ce n’est pas la peine d’aller le chercher ailleurs", affirme un boutiquier de Bwiza, commune frontalière de Buyenzi.
A l'origine du succès de cette "caverne d'Ali Baba du Burundi", selon l'expression de certains Bujumburiens, une attitude toute particulière d'une majorité des 50 000 "Buyenziens".
"Par un certain flair ou réflex, les Buyenziens achètent tout, en nourrissant l'espoir qu'un jour ou l'autre, ils vont trouver acheteur ou alors transformer l'objet en question en autre chose.", fait remarquer Haruna Nkunduwiga.
C'est que les Buyenziens sont aussi des bricoleurs hors normes, "Ils sont capables de transformer une voiture, de changer sa couleur et tout cela dans un laps de temps impressionnant. Les petits métiers semblent se transmettre de génération en génération" poursuit le directeur du centre islamique de Bujumbura.
Ce qui contribue aussi à sa grande fréquentation, c'est sa réputation irréprochable dans un pays qui a connu les affres de la guerre civile, entre deux ethnies rivales, les Hutus et les Tutsis. Ainsi, bien avant l'Accord d'Arusha, qui a scellé en 2010 la paix au Burundi, la réconciliation a commencé dans ce quartier de Buyenzi.
Dans les moments forts de la crise burundaise (1993-2005), qui a fait 300 000 victimes selon l'Organisation des Nations-Unies (ONU), la commune musulmane de Buyenzi s'est ainsi transformée en lieu de refuge.
"Lors de la crise burundaise, les musulmans [2 à 5% de la population selon le site du Département d'Etat américain, ndlr] n’ont pas trempé dans les différents massacres, nous étions des partisans de la paix», témoigne El Hadj Haruna Nkunduwiga. Le Burundi compte aujourd'hui 9,8 millions d'habitants.
"Durant la balkanisation de la ville de Bujumbura sur des bases ethniques, notamment de 1995 à 1997, les Hutus (groupe ethnique majoritaire) chassés de Musaga, commune majoritairement Tutsi (groupe ethnique minoritaire dans le pays) de Bujumbura, se refugiaient dans Buyenzi, et les Tutsis chassés de la commune de Kamenge, majoritairement Hutu, se dirigeaient également vers Buyenzi." confirme à Anadolu, Idi Radjabu Kabano, administrateur communal de Buyenzi.
Ainsi, cette commune à 98% musulmane, devient un lieu de refuge de deux ethnies qui cohabitaient sur une même parcelle de 1.4 kilomètre carré.
« Et de là, ils s’interrogeaient sur le motif de leur fuite, ce qui les a amené à comprendre qu’ils ne sont pas si différents que cela, et de surcroît, ils cohabitaient pacifiquement », se rappelle Nkunduwiga.
Depuis, même si la commune aux dix mosquées est majoritairement musulmane, elle est désormais habitée par quelques autres ethnies et mêmes nationalités, mais qui demeurent très minoritaires. Et pourtant, rien ne prédisposait Buyenzi à vivre cette aventure.
C'est sous l'occupation belge que voit le jour, en 1928, ce qui n'était qu'un petit village pour y loger les Africains Swahiliphones (parlant la langue Kiswahili). Des anciens du quartier racontent à Anadolu qu'il se situait en pleine forêt, riverain du Lac Tanganyika, où grouillaient des moustiques, et même des animaux sauvages.
« On a dû débroussailler pour avoir où ériger nos petites premières huttes. Certains ont encore des traces de morsures de serpents », témoignent Ismaïl, octogénaire et ancien du quartier.