« Entrisme islamiste » en milieu scolaire: Les accusations de Gabriel Attal passent mal chez les musulmans de France
- Cette notion « d’entrisme islamiste » que très peu s’attendaient à voir évoquée dans un discours sur la violence à l’école, est qualifié de « manœuvre de diversion » par le professeur Tariq Ramadan
France
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
Le 17 avril dernier, le Premier Ministre Gabriel Attal était à Viry-Châtillon pour dévoiler un plan national visant à restaurer l’autorité et endiguer la violence chez les jeunes.
Ce discours, qui intervenait après l’agression de Samara, 15 ans à Montpellier et la mort du jeune Shemseddine, passé à tabac à Viry-Châtillon, a pourtant pris une direction plutôt inattendue, qui inquiète dans les rangs des musulmans.
Après avoir évoqué le rôle de l’éducation, sa volonté de mieux contrôler l’accès aux réseaux sociaux et décliné une série de sanctions à l’encontre de ceux qui sortiraient du droit chemin et/ou de leurs parents, le chef du gouvernement a fait mention des questions de religion, sous couvert de laïcité.
Évoquant « des groupes plus ou moins organisés qui cherchent à faire un entrisme islamiste » et qui prônent « les préceptes de la charia, notamment dans les écoles », Gabriel Attal a annoncé que « le garde des Sceaux prendra une circulaire pénale pour que, quand vous êtes agressé parce que vous ne respectez pas des principes religieux, (soit) retenue une circonstance aggravante, comme c’est le cas quand on agresse quelqu’un parce qu’il a une religion en particulier ».
« L'école, c'est aussi le creuset de la République. Elle subit elle aussi, de plein fouet, les conséquences du repli identitaire. Aujourd'hui soyons Francs, le plus souvent les troubles ou violences dont nous entendons parler à l’école ont un sous-texte identitaire ou religieux » avait-il par ailleurs assuré.
Et de poursuivre: « Nous allons renforcer les équipes 'valeurs de la République' qui permettent d’orienter et conseiller les professeurs, chefs d’établissements confrontés à des difficultés. Nous effectuerons des signalements systématiques au procureur, des articles 40, en cas d’atteinte grave aux valeurs de la République ».
- L’inquiétude des musulmans
Les propos tenus par Gabriel Attal n’ont naturellement pas manqué de faire réagir, y compris parmi les associations et structures qui entretiennent de relatives bonnes relations avec les pouvoirs publics, à l’image de la Grande Mosquée de Paris.
Dans un communiqué de presse publié lundi matin, le lieu de culte a en effet appelé « Gabriel Attal et le gouvernement à faire preuve de discernement dans leurs discours, particulièrement en cette période électorale où fort malheureusement l'Islam et les musulmans sont trop souvent instrumentalisés comme un argument dans la course aux voix de l'extrême droite ».
« De même que les musulmans ont un rôle à jouer dans la lutte contre l'extrémisme, le gouvernement a le devoir et la responsabilité de combattre l'extrême droite en évitant de la nourrir par la stigmatisation des musulmans » poursuit le Grande Mosquée de Paris qui juge « regrettable de lier des actes de violence isolés à une supposée contestation des valeurs républicaines et de la laïcité » et plaidant pour « une approche nuancée est indispensable pour éviter toute stigmatisation ou discrimination ».
Ce mercredi, le CMR (Conseil des Mosquées du Rhône), présidé par Kamel Kabtane, s’alignait sur les mêmes positions dans une communiqué de presse consulté par Anadolu.
Dans son écrit, le CMR remet ouvertement en cause la position de Gabriel Attal et s’interroge sur les fondements de ce qu’il qualifie « d’affirmation, qui n’est étayée par rien » et qui « vient conforter les théories incertaines des groupes islamophobes qui, eux, sont bien une réalité ».
« Le premier ministre, peut-il nous dire ce qu’est « une idéologie religieuse » ? Peut-il nous expliquer sur quels faits il s’appuie pour faire le lien entre cette « violence des jeunes » et « le séparatisme islamiste » ? Quel est la réalité d’un lien entre cette violence et la contestation de la laïcité ? Quelle étude lui permet de dénoncer « l’entrisme islamiste » ? Dans quel but, laisse-t-il entendre que dans les écoles s’installeraient « les préceptes de la charia » ? » questionne le communiqué de presse.
Le CMR juge enfin « atterrant » que « tant d’approximations et de ragots (soient) rapportés avec la force qui est celle de la voix du gouvernement, et viennent – sans respect des faits, sans analyse des causes et sans solutions – participer au jeu de la mise en scène des peurs sociales ».
Et les responsables religieux ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme quant au rapport de l’Etat à la composante musulmane du pays.
Dans les colonnes du journal marocain Telquel, le sociologue Julien Talpin alertait fin mars, sur les conséquences des discours politiques aux relents islamophobes.
« Cette atmosphère de stigmatisation de l’islam pèse fortement sur les musulmans de France » estimait le chargé de recherche au CNRS.
Le leader de LFI (La France Insoumise), Jean-Luc Mélenchon, a quant à lui qualifié la déclaration de Gabriel Attal « d’inacceptable et bien digne d'un homme qui a peu d'expérience de l'existence et du rapport aux autres » et estime qu’il s’agit d’une « accusation islamophobe tout à fait gratuite ».
- L’inquiétude des parents
Alors même que les propos du chef du gouvernement venaient d’être prononcés, de premiers parents ont été contactés pour de prétendues atteintes à la laïcité, et s’inquiètent du sort qui pourrait être réservé à leurs enfants.
Dans un témoignage exclusif obtenu par Anadolu, la famille d’un jeune collégien niçois scolarisé en classe de 3ème, témoigne de premières pressions.
« Mon fils était en voyage scolaire avec sa classe et à son retour j’ai été appelée par la cheffe d’établissement qui m’a convoquée parce que mon fils faisait ses prières durant le voyage » relate la mère de famille.
Elle assure que si effectivement son garçon a prié durant le voyage « ces prières ne se sont faites que dans sa chambre, à l’écart des autres élèves et jamais dans des espaces publics ».
« Je ne comprends pas ce qui lui est reproché. Il a le droit de prier. La direction du collège m’a même reproché le fait qu’il disposait d’un tapis de prière dans sa valise » grince la maman qui a pris attache avec un avocat pour être accompagnée et défendue le jour de l’entretien qui se tiendra au retour des vacances de printemps.
Et l’appréhension de cette quadragénaire qui redoute « des sanctions injustes », apparaît plus que jamais justifiée puisque Gabriel Attal a indiqué qu’une circulaire pénale serait publiée dès la semaine prochaine pour sanctionner pénalement les atteintes à la laïcité.
« Vous imaginez le message qu’on passe aux élèves si on les sanctionne pour avoir prié sur leur temps privé, dans leur chambre? Ce qui se passe dans ce pays est dingue » conclut la mère de famille.
- « Une manœuvre de diversion » selon Tariq Ramadan
Cette notion « d’entrisme islamiste » que très peu s’attendaient à voir évoquée dans un discours sur la violence à l’école, est qualifié de « manœuvre de diversion » par le professeur Tariq Ramadan.
Dans un entretien à Anadolu, l’islamologue souligne « qu’au lieu de proposer de véritables stratégies scolaires pour faire en sorte qu’il y ait une meilleure prise en charge de cette violence et un accompagnement, on déplace le sujet ».
« Dès qu’on a un jeune, une famille ou un élève, qui a un nom à consonance d’Afrique du Nord ou africaine, au lieu de regarder la réalité de la violence, on va regarder son origine et sa religion pour laisser entendre que ces éléments sont prédominants et sont les plus importants dans l’explication du comportement » grince Tariq Ramadan.
Et de poursuivre: « On réduit la question de l’Islam a une religion d’origine étrangère dont la particularité est de perturber l’équilibre identitaire français, la stabilité et l’ordre public ».
Pour le professeur, l’utilisation du terme de « séparatisme » est faite à dessein, pour pouvoir exprimer cette pensée.
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