Calais: Le démantèlement du camp ne détruit pas les rêves des migrants
Les migrants qui ne cachent pas leur colère contre les policiers qui sont intervenus le jour du démantèlement de la "Jungle", ne font pas pour autant grise mine et continuent leur vie quotidienne malgré tous les obstacles.

Paris
AA - Calais - Bilal Muftuoglu/ F. Esma Arslan -
Le récent démantèlement partiel du plus grand camp de migrants de France situé à Calais, mis en œuvre dans l'objectif d'inciter ces derniers à déménager, ne semble pas porter ses fruits à l'heure actuelle, alors que les "habitants" du camp font toujours face au défi de la survie.
Les engins de chantier continuent leurs opérations dans la partie sud de ce campement, depuis que le tribunal administratif de Lille a validé la décision de la préfecture de Nord-Pas-de-Calais de le détruire, alors qu'un dispositif sécuritaire est positionné aux abords de la zone.
Les migrants, qui ont été transférés en partie à des containers construits dans l'autre partie du camp, délivrent leurs observations à Anadolu sur le récent démantèlement, en indiquant qu'ils ne souhaitent pas rester longtemps à Calais.
Ce sont essentiellement des associations humanitaires britanniques qui, à l'aide des migrants, transportent les tentes et baraques installées dans la partie sud du camp, sur laquelle il est presque impossible de marcher à cause de la boue qui couvre le sol.
Mohamed, un Turkmène de 59 ans, originaire de la ville d'Alep en Syrie, observe de côté ce démantèlement grandiose du camp qu'il a habité pendant cinq mois.
Les containers de l'autre partie du camp devraient offrir des meilleures conditions de vie que les tentes de la partie sud, reconnaît Mohamed, dans son commentaire pour Anadolu, tout en ajoutant qu'il n'a pas l'intention de rester en France, comme d'autres migrants qui habitaient ce camp.
"Je n'avais jamais imaginé la France ainsi. Nous menons notre vie en misère dans le froid et dans la boue. Mon principal objectif, c'est d'atteindre le Royaume-Uni et de sauver ma famille. Je l'ai essayé cinq fois depuis mon arrivée, on s'était même dissimulés dans les tuyaux avec d'autres migrants, pourtant les chiens policiers nous ont retrouvé à chaque reprise", confie-t-il.
Mohamed explique qu'il a quitté Alep avec sa famille, qui elle est actuellement dans un camp de réfugiés au Liban, alors qu'il a atteint la Grèce seul depuis Izmir (Turquie) par un bateau fourni par les passeurs.
Racontant ce voyage en bateau, un souvenir qui le hante toujours, Mohamed indique, "Le bateau n'avait plus d'essence alors qu'on était en pleine mer. Nous étions 50 personnes dans un bateau qui devrait n'en prendre que 10. A ce moment-là, j'ai pensé à mes enfants, à ma mère. Je me suis même demandé si les autorités pourraient trouver mon corps. Heureusement, un bateau de pêcheur grec nous a fourni de l'essence, ce qui nous a permis d'atteindre la côte".
Mohamed explique aussi que sa mère s'inquiète ces derniers temps du démantèlement de la "Jungle" et lui conseille de ne pas s'endormir dans les tentes.
"Ma mère qui est au Liban avec le reste de ma famille écoute les informations sur la destruction du camp et me dit de rester aux abords de cette zone pour ne pas être écrasé par des bulldosers", dit-il.
- La vie quotidienne dans la "Jungle" peu affectée par le démantèlement
La "Jungle" qui est devenue une ville en soi avec ses lieux de vie, dont un restaurant kebab et un coiffeur, semble être peu affectée par le démantèlement de la partie sud du camp.
Les restaurants du camp tenus par des réfugiés afghans et pakistanais ne manquent pas de client malgré tous les problèmes qu'affrontent les migrants.
Les migrants passent notamment une grande partie de leur jour sur l'avenue principale de la "Jungle" devant les boutiques installées dans les abris de fortune.
Malgré une vie quotidienne plutôt calme, la colère monte des fois chez les Calaisiens mais aussi chez les réfugiés. Près de 3 500 Calaisiens avaient organisé une manifestation contre la "Jungle" alors qu'une partie d'entre eux s'était même rendue à Paris, pour demander l'aide du gouvernement français, soutenant que le camp détruit à l'image de leur ville.
Le groupe avait aussi envoyé une lettre au ministre français des Finances Michel Sapin et au ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, dans laquelle il dénonçait la détérioration de la situation économique de la ville de Calais.
Le démantèlement avait aussi fait face à une forte résistance du côté des migrants, notamment le premier jour de l'évacuation du camp. Des centaines des policiers étaient intervenus sur place recourant au gaz lacrymogène contre les réfugiés.
Les migrants avaient alors brandi une pancarte sur laquelle il était inscrit "Nous ne sommes pas des terroristes", dénonçant l'intervention disproportionnée des forces de l'ordre. Ayant du mal à oublier le jour de l'évacuation, ils ne cachent toujours pas leur colère contre les policiers.
Interrogé sur ces affrontements avec la police, un migrant africain refuse de commenter, montrant simplement une tente aujourd'hui non occupée, sur laquelle il est inscrit "Février 2016, la France tue et enferme leurs anciens esclaves".