En 2024, l’islamophobie s’ancre dans les institutions françaises, alerte le CCIE
– Dans son rapport annuel, le Collectif contre l’islamophobie en Europe dénonce une montée structurelle des discriminations et une explosion des mesures répressives ciblant les musulmans en France.

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE) a documenté 1037 faits islamophobes en 2024, exclusivement reconnus comme tels après analyse juridique. Ce chiffre marque une augmentation de 25 % par rapport à 2023, où 828 cas avaient été recensés. Par voie de communiqué, le CCIE précise que ces actes incluent principalement des discriminations (59 %), des propos haineux (17 %), des diffamations (11 %), des injures (7 %) et des violences physiques (6 %).
Ces signalements proviennent très majoritairement de France : « Comme les années précédentes, la grande majorité des sollicitations concernent une situation qui a lieu en France », souligne le rapport.
- Femmes musulmanes : cibles privilégiées de l’islamophobie
La majorité écrasante des victimes sont des femmes : 76 % des signalements concernent des femmes, contre 24 % pour les hommes. Le port du voile reste le motif central de discrimination : il apparaît dans 402 dossiers, soit près de 40 % des cas. Le CCIE constate que « les femmes musulmanes sont en première ligne » et réaffirme que « le port du voile reste un point central des discriminations ».
Dans l’espace public comme dans les établissements scolaires, les femmes musulmanes subissent des restrictions croissantes. En 2024, des collégiennes et lycéennes ont été sommées de modifier leurs vêtements jugés « trop amples » ou « trop longs », une pratique que le CCIE considère comme « en totale contradiction avec les principes d’égalité et de neutralité censés régir l’éducation nationale ».
- Explosion des mesures de surveillance administrative
L’année 2024 marque un tournant dans la généralisation de la surveillance administrative des personnes musulmanes. Le CCIE dénonce l’usage massif des MICAS (mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance), qui sont passées de 120-150 cas par an à 559 en quelques mois. « Le ministère de l’Intérieur en a imposé 559 en seulement quelques mois, soit un rythme mensuel multiplié par 17 », indique le rapport.
Les perquisitions administratives ont, elles aussi, explosé : de 153 en 2023, elles atteignent 936 en 2024, soit une hausse de 510 %. Le rapport évoque une rupture avec l’État de droit : ces mesures s’appuient souvent sur des « notes blanches », documents non datés, non signés, qui « échappent à toute procédure contradictoire ».
Des mineurs ont été visés, certains dès 14 ans, ce qui constitue « une rupture sans précédent avec les principes de protection des droits fondamentaux ».
- Les mosquées sous attaques : une violence banalisée
Le rapport recense de nombreuses attaques de mosquées en 2024, avec une régularité alarmante : incendies, inscriptions racistes, menaces. Dès janvier, la mosquée Arrahma de Marseille est vandalisée. En mars, celle de Saint-Omer est profanée, tandis qu’à Lyon, des tags injurieux sont découverts en mai. À Haguenau, en septembre, la mosquée Ulu Camii est la cible d’une tentative d’incendie. En décembre, un homme armé fait irruption à la grande mosquée de Nantes pendant la prière.
Ces actes, loin d’être isolés, traduisent « une inquiétante intensification des violences antimusulmanes sur le continent », selon le CCIE.
- Une islamophobie institutionnalisée et banalisée
Le CCIE insiste sur le caractère structurel de l’islamophobie en France. Il affirme que « l’islamophobie est ancrée dans les structures institutionnelles, politiques et administratives qui façonnent le quotidien des musulman.e.s ». Elle se manifeste par des politiques publiques qui « restreignent la visibilité des musulman.e.s », notamment au nom de la laïcité.
Le rapport dénonce une dérive sécuritaire qui permet la criminalisation de la religiosité. Le simple fait de prier dans une mosquée ciblée, de posséder un ouvrage religieux ou de poster un message de solidarité avec Gaza peut désormais entraîner une surveillance, voire des poursuites.
Le CCIE estime que les autorités françaises entretiennent une définition biaisée et restrictive de l’islamophobie. En se limitant aux seuls actes individuels, elles « éludent leur propre responsabilité dans la mise en place de lois et de dispositifs qui ciblent explicitement les musulman.e.s », tels que les interdictions de signes religieux à l’école ou les fermetures administratives de mosquées et d’écoles musulmanes.
- Statistiques officielles jugées largement sous-estimées
Le rapport remet également en cause les chiffres officiels produits par le ministère de l’Intérieur. Celui-ci recense 173 actes antimusulmans pour 2024, soit une baisse d’un tiers par rapport à 2023. Le CCIE en dénombre, lui, plus de 1000 : « Les chiffres produits par les États restent largement en-deçà de ceux relevés par le CCIE », lit-on.
Cette sous-estimation s’explique, selon le rapport, par une défiance généralisée envers les institutions : « De nombreuses personnes renoncent à reporter ce qui leur est arrivé, parce qu’elles n’ont aucune confiance dans les institutions censées les protéger ».
- L’ancrage institutionnel de l’islamophobie : une réalité structurelle
Le CCIE consacre une part importante de son rapport à démontrer que l’islamophobie n’est plus seulement une affaire d’hostilité individuelle, mais qu’elle est « ancrée dans les structures institutionnelles, politiques et administratives » françaises. C’est ce qu’il qualifie d’islamophobie structurelle, une forme de racisme systémique légitimée par le droit et les politiques publiques.
Cette islamophobie s’incarne, selon le collectif, dans plusieurs domaines clés :
1. Législatif et réglementaire : Le CCIE critique la persistance de lois et circulaires qui, sous couvert de laïcité, visent de manière ciblée les expressions visibles de l’islam. Il cite notamment les interdictions de signes religieux à l’école, l’interdiction du port de l’abaya, ou encore les efforts pour étendre cette logique aux accompagnatrices scolaires. La circulaire de 2004 est ainsi détournée de son sens initial : « La neutralité concerne les agent.e.s de l’État durant l’exercice de leurs fonctions, et non les personnes », rappelle le rapport.
2. Sécuritaire et administratif : La généralisation des MICAS (mesures de contrôle administratif) constitue un indicateur fort de cette dérive. Ces dispositifs sont décrits comme des outils de contrôle préventif et arbitraire, utilisés quasi exclusivement contre des musulmans. Le CCIE dénonce un système dans lequel « la répression préventive remplace la présomption d’innocence ». Le recours à des « notes blanches », documents sans signature ni procédure contradictoire, transforme l’administration en organe de suspicion fondé sur des critères religieux.
3. Éducatif : Dans les établissements scolaires, les vêtements de jeunes filles musulmanes sont régulièrement interprétés comme « un signe religieux », même lorsqu’il s’agit simplement de tenues longues ou amples. Cette extension arbitraire du soupçon religieux s’apparente, pour le CCIE, à une chasse idéologique. Elle contribue à exclure de manière systémique les musulmanes du système éducatif.
4. Judiciaire et associatif : Le rapport met également en lumière la fragilisation des associations musulmanes, soumises à des contrôles renforcés, à des coupes de financement et, parfois, à des dissolutions sans décision judiciaire. En 2024, il n’existe plus aucune école privée musulmane sous contrat en France, ce que le CCIE interprète comme le résultat d’une stratégie d’assèchement structurel.
Ces constats s’inscrivent dans une critique plus large de l’action publique, que le CCIE accuse de « restreindre la visibilité des musulman.e.s sous prétexte de laïcité », en adoptant un « discours de suspicion permanente à l’égard de l’islam ».
En somme, l’islamophobie institutionnelle ne se résume pas à des abus isolés : elle constitue, selon le CCIE, un système cohérent, organisé, et soutenu par les politiques publiques, qui fait de la pratique de l’islam un facteur de marginalisation. D’où cette affirmation centrale du rapport : « Tant que les politiques publiques continueront à nourrir et à légitimer l’exclusion des musulman.e.s, toute lutte contre l’islamophobie restera incomplète ».
- Un enjeu démocratique majeur pour 2025
En concluant son rapport, le CCIE appelle à une reconnaissance officielle de l’islamophobie comme phénomène structurel et à une réforme en profondeur des politiques publiques discriminatoires. Il souligne : « L’islamophobie ne peut être réduite à une liste d’incidents isolés. Elle s’ancre dans des politiques d’exclusion, des logiques de contrôle et des discours médiatiques qui façonnent l’imaginaire collectif ».
La dynamique actuelle, souligne le collectif, menace directement les libertés fondamentales en France. L’année 2024 montre que l’islamophobie n’est pas seulement persistante, mais de plus en plus institutionnalisée. Le CCIE appelle à « refuser la banalisation de l’intolérance » et à opposer un front résolu à cette montée inquiétante des discriminations.