Financement libyen : Après trois mois de procès, le verdict attendu le 25 septembre
Le parquet a requis une peine de 7 années de prison contre Nicolas Sarkozy, soupçonné par la justice d’avoir financé une partie de sa campagne présidentielle de 2007 avec des fonds provenant du pouvoir libyen.

Provence-Alpes-Cote d Azur
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
Le procès du « financement libyen », qui s’est ouvert le 6 janvier dernier devant le tribunal correctionnel de Paris, a pris fin cette semaine, au terme de trois mois de débats parfois tendus.
Durant cette longue audience, Nicolas Sarkozy a maintenu ses dénégations, affirmant n’avoir jamais bénéficié d’un quelconque financement libyen et pointant « un réquisitoire politique et violent ».
Alors que le parquet a requis une peine de sept ans d’emprisonnement à l’encontre de l’ancien chef de l’Etat, le verdict est attendu pour le 25 septembre prochain à 10 heures.
Dans cette longue procédure, 12 autres personnes dont 3 anciens ministres de Nicolas Sarkozy sont également poursuivis. Parmi les parties civiles, l’ONG Sherpa, représentée par Maître Vincent Brengarth, a été particulièrement présente au cours des débats.
Pour les avocats de Nicolas Sarkozy, il n’existe pourtant aucun doute, leur client « est innocent » et « Ziad Takieddine a utilisé l’argent versé par la Libye pour son compte personnel car il lui était destiné ».
« On parle d’un dossier de financement dans lequel on n’a toujours pas d’idée de combien, comment, à quoi ça a été utilisé. On a passé beaucoup de temps à démontrer que ce pacte de corruption n’existe pas » a notamment déclaré l’un de ses avocats, Maître Christophe Ingrain.
Mais ces affirmations n’ont convaincu ni le parquet ni les parties civiles dont Maître Vincent Brengarth qui estime qu’une « chose est certaine, c’est que nous sommes à mille lieues d’un dossier vide » et qu’au contraire « c’est un dossier qui est solide, qui a nécessité des débats extrêmement minutieux ».
Au cours de sa plaidoirie très remarquée, l’avocat parisien s’est attelé à souligner qu’il « n’y avait pas, ici, de procès politique », soulignant « l’extrême richesse » du dossier.
Pointant par ailleurs des « invraisemblances » et la volonté des accusés de « mettre en branle l’appareil médiatique pour se disculper », l’avocat de Sherpa, s’est interrogé sur « la logique clanique » avec laquelle « tous les prévenus étaient dans l’attentat des explications de Nicolas Sarkozy pour adapter les moyens de sa défense ».
Dans le détail, conformément à l’ordonnance de renvoi émise au terme d’une instruction qui aura duré 13 ans, Nicolas Sarkozy est jugé pour des faits de « corruption passive, association de malfaiteurs, financement illégal de campagne électorale et recel de détournement de fonds publics libyens ».
Les magistrats ont, en effet, considéré que « s’il semble manifeste que l’intégralité des fonds libyens initialement destinés à cette fin n’a pas été mobilisée dans ce but, il ne saurait être contesté que l’information judiciaire a mis en évidence, à la faveur d’investigations rendues particulièrement complexes, des circuits opaques de circulation de fonds libyens ayant abouti, in fine, à des décaisses d’espèces dans une temporalité et une chronologie compatible avec un usage occulte lors de la campagne électorale de 2007 ».
Parmi les autres accusés, figurent douze personnes, dont les anciens ministres de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Éric Woerth, ainsi que plusieurs intermédiaires tandis que l’un des témoignages les plus incriminants rendus publics, est celui de Saïf Al-Islam Kadhafi, l’un des fils de l’ancien Guide libyen, qui déclarait dès 2011 qu’il « faut que Sarkozy rende l’argent qu’il a accepté de la Libye pour financer sa campagne électorale ».
Dans un reportage diffusé courant 2018, par la chaîne publique France 2, Moftah Missouri, ancien conseiller et interprète du colonel Kadhafi, assurait lui aussi que l’ex-président libyen « a aidé Sarkozy » en lui fournissant « de l’argent » pour le financement de sa campagne de 2007.
Son témoignage a ensuite été corroboré dans le même reportage par celui de l’ancien directeur de cabinet du colonel Kadhafi, Béchir Saleh. Filmé en caméra cachée, l’homme a admis que « Kadhafi avait un budget spécial pour les personnes qu'il souhaite soutenir » et déclaré « oui c’est vrai » concernant les accusations de financement libyen qui visent Nicolas Sarkozy.
Ziad Takieddine, homme d’affaires et ancien homme de main de Kadhafi apparaissait également dans le reportage de France 2. Il y a réitéré les accusations qu’il portait depuis le début de cette affaire révélée par Mediapart.
Devant les enquêteurs, l’homme a reconnu avoir convoyé plusieurs valises d’argent liquide, contenant plusieurs millions d’euros entre 2006 et 2007, au bénéfice de Nicolas Sarkozy et Claude Guéant.
Mais au cours d’une longue interview accordée à Paris Match en 2020, et qui avait fait grand bruit, le franco-libanais avait fini, après des années d’accusations précises sur le dit financement, par opérer un radical changement de version, accusant les magistrats en charge de l’enquête, de l’avoir forcé à mentir.
« Sarkozy n'a pas touché un centime, cash ou pas cash, pour l'élection présidentielle », avait-il affirmé dans les colonnes du magazine.
En juin 2021, des perquisitions sont alors menées au domicile de l’ex-conseillère en image officieuse du couple Macron, Michèle Marchand, dite « Mimi Marchand », avant son placement en garde à vue et sa mise en examen pour « subornation de témoin » et « association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie en bande organisée ».
Placée sous contrôle judiciaire, cette figure de la presse people a été incarcérée dans la foulé pour n’avoir pas respecté les termes de ce contrôle, lui interdisant notamment d’entrer en contact avec certains protagonistes de l’affaire.
L’épouse de l’ancien chef de l’Etat, Carla Bruni Sarkozy est également mise en examen dans cette enquête.
Nicolas Sarkozy avait très rapidement réagi à la rétractation de Ziad Takieddine via son compte Facebook en annonçant avoir mandaté son avocat pour « déposer une requête en démise en examen et engager une procédure pour dénonciation calomnieuse contre Ziad Takieddine dont les précédentes allégations » lui ont « causé un préjudice considérable ».
Il se réjouissait que « la vérité éclate enfin » et assurait que depuis « sept ans et demi, l’instruction n’a pas découvert la moindre preuve d’un quelconque financement illicite ».
« Jamais il ne m’a remis d’argent, jamais il n’y a eu de financement illégal de ma campagne de 2007 », avait-il martelé dans son message.
Sarkozy demandait, par ailleurs, à ce que « les autorités judiciaires fassent la lumière sur les graves accusations portées quant à l’impartialité de certains magistrats ».
Mais au terme d’une enquête de près de 2 ans, sur cette étrange rétractation, la justice a établi en avril dernier, que pas moins de 608 000 euros ont été mobilisés pour obtenir la volte-face, par voie de presse, de Ziad Takieddine.
Si Nicolas Sarkozy a été élu à la tête de l’Etat en 2007, les faits qui lui sont reprochés ont débuté en 2005, année au cours de laquelle il se rend en Libye, officiellement pour échanger sur les problématiques migratoires, alors qu’il est en poste Place Beauvau.
C’est à ce moment-là que les premiers échanges se seraient noués avec Kadhafi en vue d’un possible soutien financier.
La même année, Brice Hortefeux, se rend lui aussi en Libye où il est soupçonné d’avoir communiqué un numéro de compte à Abdallah Al-Senoussi, ancien chef du renseignement libyen et beau-frère de Kadhafi.
Dès 2006, Claude Guéant, directeur de campagne de Sarkozy, se rend à plusieurs reprises au sein d’une agence de la BNP dans laquelle il loue un grand coffre-fort, prétendant y conserver des archives. La justice envisage qu’une forte somme d’argent en liquide a pu y être entreposée, alors qu’une expertise a permis d’établir qu’au moins 250 000 euros, dont la provenance est inconnue, ont servi à rémunérer, en espèce, des salariés de l’équipe de campagne de 2007.
Fin 2007, alors que Sarkozy a été élu depuis quelques mois, Mouammar Kadhafi est reçu en grandes pompes à Paris où il plante une tente, face à l’Elysée, dans les jardins de l’hôtel Marigny.
Dans les mois qui suivent, des transactions qui sèment le doute en transitant via l’étranger, se multiplient, impliquant l’entourage de Nicolas Sarkozy et celui du pouvoir libyen.
Tout s’accélère lorsqu’en 2011, Nicolas Sarkozy soutient ouvertement les rebelles qui souhaitent la chute de Kadhafi, provoquant la colère de Benghazi. Face à ce qui est vécu comme un affront, le clan Kadhafi réplique et affirme avoir fourni à Nicolas Sarkozy, des fonds pour financer sa campagne électorale. Mouammar Kadhafi perdra la vie en octobre 2011, dans une opération menée par l’OTAN, tandis que son ancien ministre du pétrole, Chokri Ghanem, qui tenait un carnet dans lequel il a noté plusieurs des paiements qui auraient été effectués au profit de Sarkozy, est retrouvé mort en 2012, noyé dans le Danube.
Mais la justice ne se penche réellement sur l’affaire, qu’à partir de 2012, après que Ziad Takieddine a affirmé devant un juge d’instruction, qu’il détenait des preuves permettant de démontrer que Nicolas Sarkozy a bénéficié de plus de 50 millions d’euros de la part de la Libye.
C’est alors que tout s’accélère avec la mise en examen de Claude Guéant en 2015, celle de Takieddine en 2016, avant celle de Nicolas Sarkozy en 2018, qui précèdera celle d’Eric Woerth la même année, et de Brice Hortefeux fin 2020.
La rétractation de Ziad Takieddine en 2020 fait grand bruit dans la presse et ne passe pas inaperçue, après des années d’accusations précises portées à l’encontre de Sarkozy et ses proches.
L’instruction se clôture finalement en octobre 2022 et permet aux magistrats de croire en la matérialité d’une association de malfaiteurs ayant permis de financer la campagne de 2007.
En vertu d’une ordonnance émise en août 2023, treize accusés ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, conformément aux réquisitions de PNF (parquet national financier).
Nicolas Sarkozy encourt une peine pouvant aller jusqu’à dix années de prison et 375 000 euros d’amende.