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France / Affaire Samuel Paty : les expertises écartent une radicalisation d’Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud

- Accusés de complicité d’assassinat terroriste, les deux mis en cause ont été longuement interrogés respectivement, mercredi et jeudi, par la Cour d’Assises spéciale de Paris

Feiza Ben Mohamed  | 21.11.2024 - Mıse À Jour : 21.11.2024
France / Affaire Samuel Paty : les expertises écartent une radicalisation d’Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud

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AA / Paris / Feïza Ben Mohamed

Incarcérés depuis l’attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty le 16 octobre 2020, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, respectivement âgés de 23 et 22 ans, sont poursuivis pour des faits de complicité d’assassinat terroriste et association de malfaiteurs terroriste, pour avoir notamment accompagné l’auteur des faits dans sa recherche d’armes (ils affirment tout deux n’avoir jamais eu connaissance du projet terroriste).

Au cours de la troisième semaine de ce procès historique, qui s’est ouvert le 4 novembre courant, la justice s’est penchée sur la personnalité et le rôle de ces deux jeunes, qui ont été proches d’Abdoullakh Anzorov, auteur de l’assassinat du professeur d’histoire-géographie.

Si leur rapport à l’Islam a été longuement questionné au cours de débats parfois tendus, les deux prévenus, qui encourent une peine de prison à perpétuité, ont été confortés par des expertises diligentées au cours de la procédure.

Ces expertises sont notamment venues mettre à mal la stratégie des enquêteurs, qui, durant la phase d’instruction, ont dressé un portrait plutôt inquiétant des deux amis.

- Une éventuelle radicalisation écartée

Pendant les débats, ce jeudi, les amalgames se sont à nouveau succédés, forçant par exemple Naïm Boudaoud à s’expliquer sur la présence de l’application Muslim pro (NDLR: Qui donne notamment des horaires de prières), sur son téléphone, ou encore sur le visionnage d’une vidéo de l’imam Abdelmonaim Boussenna, accusé par l’avocat général d’être un « imam salafiste », avant d’être repris par l’un des avocats de La Défense qui a dénoncé des « contre-vérités ».

Mercredi déjà, Azim Epsirkhanov avait eu à faire les frais de questionnements très peu compréhensibles de la part du ministère public.

« Savez-vous que c’est aussi la phrase qu’a utilisée Anzorov? », lui a lancé la vice-procureure du parquet national antiterroriste, concernant la phrase « c’est à Dieu que nous appartenons et vers lui que nous retournerons », sans avoir l’air de savoir qu’il s’agit d’une formule utilisée par l’ensemble des musulmans, notamment après un décès.

L’accusé a alors expliqué que cette phrase est liée à la mort d’un de ses amis, fin septembre 2020.

Sur place, plusieurs observateurs se sont offusqués, dans les rangs du publics et des familles des prévenus, de la manière dont la pratique religieuse semble être mise en accusation par certains intervenants.

Mais les expertises qui ont été passées par Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov durant leur passage en quartier d’évaluation de la radicalisation, en prison, viennent balayer les allusions de certains avocats des parties civiles et du parquet.

Le rapport qui concerne Naïm Boudaoud, et qui a été lu par le président de la Cour d’Assises spéciale, Franck Zientara, ce jeudi, indique, en effet, que le mis en cause, qui clame son innocence depuis plus de quatre ans, est « novice » en matière religieuse et qu’il est, par ailleurs, « incapable de débattre sur la situation politique et géopolitique au Moyen-Orient ».

« Il ne ressort pas de son comportement, une radicalisation » si un risque de passage à l’acte violent, conclut l’expertise.

S’agissant d’Azim Epsirkhanov, les conclusions sont sensiblement identiques et l’évaluation du jeune homme a conduit l’expert à considérer que le risque de radicalisation était « très faible », avec une pratique de l’Islam qui ne suscite pas d’inquiétude particulière.

- Des jeunes bien insérés, qui clament leur innocence

Les deux amis l’ont longuement expliqué au cours de leurs interrogatoires, et depuis le début de leur incarcération en octobre 2020: ils n’avaient jamais eu connaissance du projet terroriste d’Abdoullakh Anzorov et ne l’auraient jamais conforté s’ils avaient été mis dans la confidence.

Dans le détail, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud affirment qu’ils ont accompagné Anzorov dans une boutique de couteaux à Rouen, pensant qu’il voulait en offrir un à son grand-père.

Le lendemain, le 16 octobre 2020, Naïm Boudaoud a déposé le terroriste à Conflans-Sainte-Honorine, avant que ce dernier ne commette l’irréparable en décapitant Samuel Paty à la sortie du collège du Bois d’Aulne, où il exerçait.

Depuis, Boudaoud est catégorique: Anzorov lui aurait expliqué, avant les faits, qu’ils se rendait dans cette commune des Yvelines pour s’expliquer avec une bande rivale avec qui il avait « des embrouilles ».

Mercredi déjà, Azim Epsirkhanov s’était illustré par une élocution parfaite, un vocabulaire maitrisé et une posture calme et droite face aux questions de la justice. Il avait indiqué avoir des projets de mariage avec sa compagne, et vouloir redémarrer sa vie en se lançant professionnellement dans le commerce. Pendant plus de dix heures, il a répondu à tout, et détaillé sa version des évènements en remontant plusieurs jours avant l’assassinat.

Ce jeudi, c’est Naïm Boudaoud, dont les deux parents et le frère étaient installés dans la salle, qui a été entendu pendant la même durée. Échangeant des sourires et des baisers à distance avec sa mère, il est apparu particulièrement ému et fatigué, répétant inlassablement qu’il n’aurait jamais pu se rendre complice d’un attentat.

L’expertise psychologique le décrit comme très affecté par sa détention mais très entouré par sa famille et victime d’épisodes dépressifs depuis son placement en prison. Interrogé par la Cour, il a, pour sa part, fait état d’un projet professionnel dans la vente de voitures ou de motos et espère reprendre une vie normale.

« Vous ne voulez pas comprendre qu’en garde à vue il y a une pression, c’est très difficile. J’avais 18 ans, je me retrouve en garde à vue, dans les locaux de la DGSI (NDLR: Direction Générale de la Sécurité Intérieure), il y a des policiers cagoulés, je suis moi-même cagoulé, j’ai un casque sur les oreilles. Je suis pas habitué à tout ça. J’ai jamais eu de problème avant dans ma vie, je n’avais jamais fait de garde à vue ».

La semaine qui s’achève marque la fin des interrogatoires liés à ces deux premiers prévenus et la Cour va se pencher, dans les jours qui viennent, sur le cas de Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, tous deux figures connues de la sphère associative musulmane et mis en cause pour avoir diffusé des vidéos dénonçant le fait que Samuel Paty a présenté à ses élèves, des caricatures du Prophète, nu.

Pour rappel, c’est un procès qui se veut historique, qui s’est ouvert le 4 novembre à Paris, et qui doit durer jusqu’au 20 décembre selon le calendrier prévisionnel transmis par le PNAT (Parquet National Antiterroriste) à Anadolu.

Et pour cause, quatre ans après les faits, la justice aura à déterminer les responsabilités des huit accusés, dans l’assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité à la sortie des cours par un ressortissant russe, d’origine tchétchène, âgé de 18 ans.

Son bourreau, Abdoullakh Anzorov, abattu dans la foulée par les forces de l’ordre, reprochait à l’enseignant d’avoir montré à ses élèves, des caricatures issues du journal satirique Charlie Hebdo et mettant en scène le prophète Mohammed nu.

L’attentat avait provoqué une onde de choc dans tout le pays, et le nom de Samuel Paty fait, depuis, office de symbole. Six mineurs ont déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, au terme d’un procès intervenu fin 2023.

Au cours des sept semaines que durera ce procès présidé par un juge assisté de quatre assesseurs, le rôle des huit accusés âgés de 22 à 65 ans, dont cinq comparaissent détenus, va être examiné en détail pour déterminer les responsabilités de chacun, conformément à un arrêt de mise en accusation daté du 13 septembre 2023.

Parmi les accusés, figurent deux des proches d’Abdoullakh Anzorov, Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud, devront répondre de faits qualifiés de complicité d’assassinat terroriste et encourent une peine de prison à perpétuité. Tous deux, âgés respectivement de 23 et 22 ans, sont soupçonnés d’avoir accompagné le tueur de Samuel Paty, en l’accompagnant dans l’achat d’armes. Naim Boudaoud l’a, par ailleurs, déposé sur les lieux de l’attentat.

Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, âgés de 52 et 65 ans, et tous deux également détenus depuis les faits, auront à répondre à des accusations d’association de malfaiteurs terroriste.

Dans le détail, Abdoullakh Anzorov, qui n’était aucunement lié, ni à l’établissement ni à Samuel Paty, a vraisemblablement eu connaissance des faits suite à la polémique engendrée par la diffusion d’une vidéo, devenue virale et diffusée par Brahim Chnina, l’un des parents d’une élève, dénonçant la démarche du professeur d’histoire-géographie.

Ce dernier, alerté par sa fille (dont l’enquête démontrera par la suite qu’elle n’était en fait pas présente au cours), est alors soutenu par le militant associatif Abdelhakim Sefroui, qui publiera, le 11 octobre, une autre vidéo qualifiant Samuel Paty de « voyou ».

Leurs vidéos génèrent de très nombreux commentaires, et le nom de l’enseignant ainsi que celui de son établissement sont finalement divulgués, permettant à Abdoullakh Anzorov de l’identifier, de le localiser, avant de se rendre sur les lieux pour le décapiter.

Yusuf Cinar, Ismaïl Gamaev, et Louqmane Ingar, tous trois âgés de 22 ans et membres de divers groupes Snapchat auxquels participait Abdoullakh Anzorov, sont accusés de lui avoir apporté un soutien idéologique.

Le premier a notamment diffusé le message de revendication de l’attentat ainsi que la photo de Samuel Paty décapité, le second est accusé d’avoir conforté son procès d’assassinat et d’avoir publié des messages de satisfaction après l’annonce de la décapitation de Samuel Paty.

Le troisième, également âgé de 22 ans, comparait libre mais sous contrôle judiciaire pour avoir participé aux groupes Snapchat et évoquait un éventuel départ vers des zones de guerre pour y rejoindre une organisation terroriste.

Priscilla Mangel, la seule femme à comparaître devant la Cour d’Assises spéciale, est pour sa part âgée de 36 ans. Il lui est reproché d’avoir longuement et régulièrement échangé avec le terroriste en le confortant dans son projet.

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