France / Attentat contre Samuel Paty : Les réquisitions provoquent la colère de toutes les parties
- Des peines allant d’un an à 16 ans de prison ont été réclamées par le Parquet national antiterroriste à l’encontre des huit accusés
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AA/Paris/Feïza Ben Mohamed
Ce lundi après-midi a été marqué par le long réquisitoire du Parquet national antiterroriste (PNAT) à l’encontre des huit accusés pour la septième semaine du procès de l’attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty, le 16 octobre 2020.
Si le parquet s’est finalement montré plutôt modéré à l’encontre de quatre des accusés, les peines qu’il souhaite voir prononcées contre Naïm Boudaoud, Azim Epsirkhanov, Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, apparaissent particulièrement lourdes et ont provoqué la sidération du côté des accusés et de leurs familles.
Au moment de la suspension d’audience, Maître Vincent Brengarth, l’un des avocats d’Abdelhakim Sefrioui, a dénoncé « la sévérité » des réquisitions qui étaient selon lui « annoncées d’un point de vue médiatique ».
« Un parquet général était parfaitement pondéré, parfaitement nuancé dans son réquisitoire, avec des personnes contre lesquelles il a été réclamé des peines extrêmement modérées, et subitement, lorsque on vient évoquer le cas de M. Chnina et le cas de M. Sefrioui, eh bien là bizarrement, la sévérité est de mise », a-t-il grincé.
« C’était en fait une sévérité qui était annoncée d'un point de vue médiatique. Lorsque vous regardez les éléments du dossier, non seulement la peine de 12 ans de réclusion criminelle n'est absolument pas justifiée, mais plus encore, il y a une absence totale de concertation entre les deux. On voit qu'il y a une première vidéo qui est diffusée. Elle est faite à l'initiative de M. Chnina. Ensuite, il y a la deuxième vidéo de M. Sefrioui le 12 octobre, où ils ne sont absolument pas dans un projet commun, dans une entreprise criminelle, qui aurait visé à obtenir un crime contre M. Samuel Paty ».
Maître Brengarth estime par ailleurs que le PNAT a fait « un choix » qui est celui de « réprimer M. Sefrioui davantage que des personnes qui ont, elles, un lien, un lien matériel. Mais en fait, on demande à la juridiction de faire de la création du droit, de venir finalement reconnaître une forme de crime de séparatisme, de crime qui serait un crime de moralité et qui n'a rien à voir avec l'association de malfaiteurs terroriste, qui, elle, répond à des critères qui sont extrêmement précis et qui, encore une fois, ne sont absolument pas caractérisés dans ce dossier ».
Fustigeant une peine réclamée « pour l’exemple, pour la société » il considère que le parquet souhaite infliger à son client « une sanction sociale qui vise à répondre à une demande sociale ».
« Moi je crois véritablement qu’on est en train de demander à la juridiction de créer le droit parce qu’en l’état des éléments factuels et matériels qu’on reproche à Abdelhakim Sefrioui, eh bien il ne peut pas être condamné. Je le rappelle, il n’était absolument pas en lien avec l’auteur de l’assassinat de Samuel Paty, aucun lien. L’auteur de l’assassinat n’a pas vu la vidéo dans laquelle apparait M. Sefroui, les investigations n’ont absolument pas permis d’établir que M Sefroui aurait eu un rôle d’influence auprès de Brahim Chnina. Moi je pense qu’on ne peut pas dire tout et son contraire, on ne peut pas dire que Brahim Chnina et M. Sefrioui seraient dans la co-action et en même temps, ne même pas réclamer une peine qui serait similaire pour les deux » a-t-il conclu.
Sur place, le sentiment de l’avocat d’Abdelhakim Sefrioui était largement partagé par les proches d’autres accusés. Ainsi, à peine les réquisitions terminées, la mère de Naïm Boudaoud, contre qui une peine de 14 ans de prison a été requise, a quitté la salle, affirmant que « ce procès a commencé par un mensonge et va se finir par un mensonge ».
Sur les bancs où sont installées les familles des prévenus, l’heure était également à la sidération du côté de la famille de Brahim Chnina, contre qui le parquet réclame 10 ans de prison dont 2/3 de sureté.
Mais malgré des réquisitions jugées lourdes par la défense, les parties civiles ont elles aussi fait état de leur colère. Maître Francis Szpiner, qui défend l’ancienne compagne et le fils de Samuel Paty, s’est insurgé des peines demandées, les jugeant trop faibles.
« Vous savez, comme je l'avais dit en plaidant, nous n'attendions rien du parquet. Mais je dois dire que le parquet a même réussi à faire pire que ce que je pensais », a-t-il commenté au moment de la suspension.
Et de conclure: « Chacun appréciera, tout citoyen qui paye ses impôts appréciera, d'avoir un parquet qui vient de demander dix ans contre celui qui a dénoncé Samuel Paty, finalement, à l'assassin, en donnant son nom, en donnant l'adresse de son collège, et contre qui il est requis dix ans, je trouve que c'est scandaleux. Alors, je m'y attendais, parce qu'il y a un problème avec le Parquet national antiterroriste (…) Alors on dit qu'ils ne l'ont pas fait, mais sans eux, rien ne serait arrivé. Si M. Chnina n'avait pas fait sa vidéo en donnant le nom de Samuel Paty et l'adresse de son collège, il ne se serait rien passé. Et là, ça vaut 10 ans. Voilà. Et puis si vous avez aidé, ça vaut 12 ans ».
Ces déclarations interviennent alors que le PNAT a requis 14 et 16 ans de prison dont 2/3 de sureté contre Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud.
Le PNAT a en effet considéré qu’ils « étaient pleinement conscients » de l’idéologie du terroriste Abdoullakh Anzorov et qu’ils lui « ont fourni les conditions matérielles de les mettre en œuvre ». Tout au long des débats, les deux prévenus, incarcérés depuis 4 ans à l’isolement, n’ont eu de cesse de clamer leur innocence en assurant n’avoir jamais eu connaissance du projet mortifère de leur ami, qui les a utilisés « comme pigeons ».
Au cours d’un long réquisitoire démarré en début d’après-midi, les avocats généraux se sont penchés sur l’implication de Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, auteurs de vidéos mettant en cause Samuel Paty pour avoir montré des caricatures du prophète Mohammed à ses élèves de classe de 4ème.
Pointant une « campagne mensongère destinée à nuire à Samuel Paty » et un prétendu « séparatisme islamiste », le PNAT considère que le mode d’action utilisé dans leur communication visait à « pousser, en connaissance de cause, les autres à agir » en participant à la diffusion « massivement virale de messages désignant Samuel Paty ».
Alors même que rien, au cours de l’enquête, n’a permis d’établir qu’Abdoullakh Anzorov a visionné la vidéo d’Abdelhakim Sefrioui, ou que Brahim Chnina était informé d’une volonté de passage à l’acte du terroriste, les avocats généraux ont demandé à la Cour de condamner les deux hommes à des peines respectives de 12 et 10 ans de prison dont 2/3 de sureté, pour des faits qualifiés « d’association de malfaiteurs terroriste ».
Enfin sur le volet qui concerne le supposé soutien idéologique apporté par les quatre derniers prévenus, le PNAT a demandé la condamnation de Louqmane Ingar à 3 ans de prison assortis d’un sursis probatoire de 2 ans pour des faits d’association de malfaiteurs terroriste tandis que pour Ismaïl Gamaev, une peine de 5 ans dont 18 mois avec sursis, a été réclamée afin que les deux prévenus « ne soient pas réincarcérés » car « ils présentent les garanties suffisantes pour prévenir les risques de réitération ».
Les avocats généraux ont enfin requis une condamnation à un an de prison avec une obligation de soins, pour apologie publique du terrorisme à l’encontre de Yusuf Cinar et une peine de 18 mois de prison assortis d’un sursis probatoire de 3 ans à l’encontre de Priscilla Mangel, pour des faits de provocation au terrorisme.
Au-delà des réquisitions, le PNAT s’est attelé, tout au long de la journée, à justifier les qualifications qu’il souhaite voir retenues par la Cour d’Assises spéciale de Paris, tout en rendant hommage à la victime.
« Le 16 octobre 2020 à 16h54. Le terrorisme a atteint l’école, cœur battant de la République Française. Samuel Paty n’avait pas choisi de mourir pour quelque cause que ce soit. C’est beaucoup de ce à quoi nous tenons, qui a été visé », a déclaré en préambule de son réquisitoire, le vice-procureur Nicolas Braconnay.
Si le parquet s’est montré particulièrement clément dans ses réquisitions concernant 4 des accusés, les peines réclamées contre Abdelhakim Sefrioui, Brahim Chnina, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud sont relativement lourdes et ont provoqué la sidération sur les bancs où étaient installées leurs familles.
« Ce procès a commencé avec un mensonge et va se finir avec un mensonge » s’est exclamée la mère de Naïm Boudaoud avant de quitter la salle avant la fin de l’audience.
Pour rappel, le procès de l’attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty s’est ouvert le 4 novembre à Paris, et durera jusqu’au 20 décembre selon le calendrier prévisionnel transmis par le PNAT à Anadolu.
Quatre ans après les faits, la justice doit déterminer les responsabilités des huit accusés, dans l’assassinat, le 16 octobre 2020, de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine, décapité à la sortie des cours par un ressortissant russe, d’origine tchétchène, âgé de 18 ans.
Son bourreau, Abdoullakh Anzorov, abattu dans la foulée par les forces de l’ordre, reprochait à l’enseignant d’avoir montré à ses élèves, des caricatures issues du journal satirique Charlie Hebdo et mettant en scène le prophète Mohammed.
L’attentat avait provoqué une onde de choc dans tout le pays, et le nom de Samuel Paty fait depuis office de symbole. Six mineurs ont déjà été condamnés par le tribunal pour enfants, au terme d’un procès intervenu fin 2023.
Au cours des sept semaines prévues pour ce procès présidé par un juge assisté de quatre assesseurs, le rôle des huit accusés âgés de 22 à 65 ans, dont cinq comparaissent détenus, est examiné en détail pour déterminer les responsabilités de chacun, conformément à un arrêt de mise en accusation daté du 13 septembre 2023.
Parmi les accusés, figurent deux des proches d’Abdoullakh Anzorov, Azim Epsirkhanov et Naim Boudaoud, qui répondent de faits initialement qualifiés de complicité d’assassinat terroriste et encouraient une peine de prison à perpétuité avant que le parquet ne requiert la seule qualification d’association de malfaiteurs terroriste. Tous deux âgés respectivement de 23 et 22 ans, ils sont soupçonnés d’avoir aidé le tueur de Samuel Paty, en l’accompagnant dans l’achat d’armes mais nient avoir eu connaissance du projet terroriste. Naim Boudaoud l’a par ailleurs déposé sur les lieux de l’attentat.
Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, âgés de 52 et 65 ans, et tous deux également détenus depuis les faits, ont à répondre à des accusations d’association de malfaiteurs terroriste.
Dans le détail, Abdoullakh Anzorov, qui n’était aucunement lié à l’établissement ni à Samuel Paty, a vraisemblablement eu connaissance des faits suite à la polémique engendrée par la diffusion d’une vidéo, devenue virale et diffusée par Brahim Chnina, l’un des parents d’une élève, dénonçant la démarche du professeur d’histoire-géographie.
Ce dernier, alerté par sa fille (dont l’enquête démontrera par la suite qu’elle n’était en fait pas présente au cours), est alors soutenu par le militant associatif Abdelhakim Sefrioui, qui publiera, le 11 octobre, une autre vidéo qualifiant Samuel Paty de « voyou ».
Leurs vidéos génèrent de très nombreux commentaires, et le nom de l’enseignant ainsi que celui de son établissement sont finalement divulgués, permettant à Abdoullakh Anzorov de l’identifier, le localiser, avant de se rendre sur les lieux pour le décapiter.
Yusuf Cinar, Ismaïl Gamaev, et Louqmane Ingar, tous trois âges de 22 ans et membres de divers groupes Snapchat auxquels participait Abdoullakh Anzorov, sont accusés de lui avoir apporté un soutien idéologique.
Le premier a notamment relayé le message de revendication de l’attentat ainsi que la photo de Samuel Paty décapité, le second est accusé d’avoir conforté son procès d’assassinat et d’avoir publié des messages de satisfaction après l’annonce de la décapitation de Samuel Paty. Le troisième, également âgé de 22 ans, comparait libre mais sous contrôle judiciaire pour avoir participé aux groupes Snapchat et évoquait un éventuel départ vers des zones de guerre pour y rejoindre une organisation terroriste.
Priscilla Mangel, la seule femme à comparaître devant la Cour d’Assises spéciale, est pour sa part âgée de 36 ans. Il lui est reproché d’avoir longuement et régulièrement échangé avec le terroriste en le confortant dans son projet.
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