France
AA/Nice/Feïza Ben Mohamed
L’annonce de la résiliation des trois contrats d’association qui liaient le groupe scolaire Al Kindi (banlieue lyonnaise), a fait grand bruit vendredi dernier.
Cette décision marque un tournant dans le tissu associatif musulman et la France ne comptera officiellement plus aucun lycée privé musulman sous contrat avec l’Etat à partir de la rentrée prochaine.
Après le lycée Averroès de Lille dont le contrat a été résilié, et le collège Avicenne de Nice, dont la fermeture décidée par le préfet des Alpes-Maritimes a été annulée par la justice administrative, le groupe scolaire Al Kindi fait lui aussi les frais d’une politique d’Etat qui interroge.
Dans le détail, la préfecture du Rhône accuse en effet Al Kindi de plusieurs « manquements administratifs » et pointe également « des manquements pédagogiques et des atteintes aux valeurs de la République ».
Dans un communiqué de presse publié vendredi, la préfecture va encore plus loin et affirme que « loin d'être une série de faits isolés, ces manquements et dysfonctionnements pris ensemble démontrent une proximité des établissements Al Kindi avec la pensée des frères musulmans dont le projet est contraire aux valeurs de la République ».
- Une « suspicion généralisée envers les musulmans de France »
À l’annonce de la résiliation des contrats d’Al Kindi, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a rapidement réagi par voie de communiqué en soulignant que la « lutte contre ‘le séparatisme’ ne doit pas être synonyme de suspicion généralisée » et « exprime sa vive préoccupation face aux épreuves majeures que traverse actuellement l’enseignement privé musulman en France ».
L’institution considère en effet que les décisions administratives qui ont visé les établissements privés musulmans génèrent « un profond sentiment d’injustice et de discrimination parmi les élèves, leurs familles, et une grande partie » des Français de confession musulmane.
« Ces mesures sont largement perçues comme disproportionnées et injustifiées », alors que des « ajustements correctifs auraient pu être envisagés, à l’instar des mesures appliquées à d’autres établissements dans des situations comparables » dont « le lycée Stanislas de Paris, qui fait l’objet de plusieurs polémiques » et qui « n’a pas subi de sanctions similaires », poursuit le CFCM sans manquer de rappeler que « cette disparité de traitement, particulièrement visible, alimente un sentiment d’injustice profond chez les jeunes élèves et leurs familles, laissant des séquelles durables sur leur perception des institutions républicaines ».
Et de poursuivre : « Ces récents événements s’inscrivent dans une dynamique plus large et préoccupante de suspicion généralisée à l’égard des musulmans en France. Quand ils se trouvent marginalisés, pour des raisons diverses, ils sont accusés de « communautarisme » ou de « séparatisme ». Lorsqu’ils réussissent, ils font l’objet de soupçons d’’entrisme’. Nous ne sous-estimons pas des formes de déviance qui peuvent exister chez certains individus ou institutions de la composante musulmane de notre pays. Celles-ci nécessitent des mesures fermes et efficaces pour les endiguer. Mais ces termes flous et ambigus sont souvent instrumentalisés pour discréditer l’ensemble de la communauté musulmane. Le CFCM alerte sur les dangers de cette stigmatisation croissante, encouragée par certains médias et figures influentes proches de l’extrême droite. Cette approche, loin de renforcer la cohésion nationale, alimente la défiance et risque de nourrir les extrêmes de tous bords ».
- La place des musulmans remise en cause
Le groupe scolaire Al Kindi, ouvert en 2007, accueille aujourd’hui 617 élèves, du CP à la Terminale, et demeure un établissement d’excellence, montré en exemple à divers égards avec un taux de réussite de 100% aux épreuves du baccalauréat entre 2020 et 2022.
La Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM) souligne de fait que « les écoles musulmanes respectent scrupuleusement les lois de la République, les programmes nationaux et les valeurs qui en découlent », dans un communiqué de presse transmis à Anadolu par son président Makhlouf Mameche.
Dans son écrit, ce dernier « lance un appel aux autorités compétentes à revoir leur position et à mettre fin à ces pratiques discriminatoires qui empêchent le développement légitime et naturel de l’enseignement privé musulman ».
Il considère que la décision prise par la préfecture du Rhône, de résilier les contrats d’Al Kindi « témoigne de sa volonté affichée de réduire le champ d’action de l’enseignement privé musulman ».
Mais d’un point de vue plus global, la mesure qui touche aujourd’hui le groupe scolaire conduit les musulmans à s’interroger sur la manière dont ils sont considérés par l’autorité administrative.
Samia*, dont le fils est scolarisé au collège musulman Avicenne de Nice (visé par un arrêté préfectoral de fermeture annulé par la justice), ne comprend pas « l’acharnement des pouvoir publics sur les écoles musulmanes ».
Elle explique « ressentir un sentiment de déclassement » qui la pousse à se poser « la question de la place des enfants musulmans et de leurs familles dans la société ».
« Le message qui nous est envoyé ici c’est quoi ? Clairement on nous dit qu’on ne nous considère pas comme les autres et qu’on ne peut pas bénéficier du même droit à scolariser nos enfants dans des établissements confessionnels » grince la quarantenaire.
Et ce sentiment est partagé par l’avocat du collège Avicenne, et du groupe scolaire Al Kindi, Maître Sefen Guez Guez.
Dans un entretien à Anadolu, ce dernier considère que les droits des musulmans sont entravés.
« Evidemment lorsque vous reliez les points entre Averroès qui a perdu son contrat d’association, Avicenne qui a été menacé de fermeture, heureusement rattrapée par la justice, et aujourd’hui Al kindi qui est le dernier lycée musulman sous contrat en France, vous avez le sentiment qu’il y a une volonté de démantèlement de l’enseignement privé musulman sous contrat, et que le message qui est fait passer ici c’est que clairement la France considère que sa composante musulmane n’a pas à bénéficier des mêmes droits que les autres ».
Pour l’heure, Al Kindi a saisi la justice pour tenter d’obtenir le maintien de ses contrats d’association avec l’Etat, et propose diverses mesures correctrices qui permettraient de fournir les garanties nécessaires.
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