France / Presse : "Je suis consterné par les mensonges relayés sur l'Azerbaïdjan et la Turquie" (Journaliste)
-"Les Azerbaïdjanais sont d'une culture, d'un art, d'une finesse, dont très peu de pays et peuples sont dotés", estime Jean-Michel Brun, rédacteur en chef de "Musulmans en France", interrogé par AA.
France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Interrogé vendredi par l'Agence Anadolu (AA), Jean-Michel Brun, rédacteur en chef de « Musulmans en France » a exprimé ses inquiétudes et sa consternation quant à la partialité d'une partie considérable de la presse française à l'égard du conflit opposant l'Arménie à l'Azerbaïdjan, un an après la deuxième guerre du Karabagh.
Suite à la publication de ce qu'il qualifie d'« énième article mensonger et diffamatoire sur l'Azerbaïdjan et la Turquie », de la plume du rédacteur en chef adjoint du « Figaro Magazine », Jean-Michel Brun estime que c'en est de trop !
- « Chers journalistes, un peu de déontologie s’il vous plaît » !
Dans un article intitulé « Arménie-Azerbaïdjan : Du journalisme à la propagande » [1], et publié le mois dernier, en réaction à la publication du « Figaro Magazine », le rédacteur en chef de « Musulmans en France » fustige l'absence de déontologie chez certains de ses collègues.
« Le 20 août 2021, Jean-Christophe Buisson […] cosignait [...] un article sur le conflit du Caucase “Les enclaves, ces territoires en terre étrangère. Karabakh arménien : opération survie” », note Jean-Michel Brun.
Exprimant sa volonté de ne pas faire un procès d'intention à l'auteur de l'article, le journaliste français remarque, cependant, « que le rédacteur en chef se contente de reprendre à son compte les arguments des extrémistes arméniens ». Si tel est bien le cas, « alors il abandonne le terrain du journalisme pour celui de la propagande », ajoute-t-il, appelant ses collègues journalistes à « un peu de déontologie ».
Développant son propos pour AA, Jean-Michel Brun note qu'« Un journaliste doit avoir une déontologie ; ça ne veut pas dire qu'il doit être objectif : un journaliste a des sentiments, peut avoir des émotions ; le journaliste retranscrit les faits tels qu'il les voit et ce n’est pas condamnable ; il y a même des journalistes d'opinion : tout ça ne pose pas un problème », note-t-il avant de dénoncer le biais volontaire de certains auteurs et titres de la presse française.
« Certes, la déontologie n’impose pas l’objectivité au journaliste [,,,] Le journaliste voit non seulement avec ses yeux, mais aussi à travers le filtre de sa personnalité, de son expérience, et même de ses opinions, et nul reproche ne peut lui être fait pour cela. Ce qu’on lui demande c’est juste l’honnêteté. Et l’honnêteté lui interdit de tromper son lecteur, sciemment, ou simplement par négligence parce qu’il n’a pas suffisamment accompli son travail d’investigation », estime le journaliste français qui donne des cours de déontologie dans des écoles de journalisme.
- Bref rappel des faits
Pour rappel, un cessez-le-feu a été signé à Moscou, la capitale russe, entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie le 10 novembre 2020, suite à la guerre de 44 jours (27 septembre – 9 novembre 2020), qui s’est conclue par la fin de l'occupation arménienne, pendant 28 ans, de huit régions azerbaïdjanaises incluant le Haut-Karabagh.
Lors de la première guerre du Karabagh, notamment entre 1992 et 1994, environ un million de civils azerbaïdjanais ont été déplacés de force de ces régions par les forces arméniennes qui ont commis des massacres et tué plusieurs milliers d'entre eux. À ce jour, plus de 3 890 Azerbaïdjanais sont toujours portés disparus depuis trois décennies.
Quatre résolutions du Conseil de Sécurité (822, 853, 874 et 884) et deux résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies, confirment la souveraineté de l'Azerbaïdjan sur le Karabagh, cette souveraineté étant également reconnue par la République Française.
Des réseaux nationalistes arméniens, issus principalement de la diaspora de France et des États-Unis, se réfèrent dans leurs partages sur les réseaux sociaux à une prétendue « République d'Artsakh » qui couvrirait le Haut-Karabagh, qui n’a pourtant aucune réalité sur le terrain et n' est reconnue par aucun État ou entité internationale.
- « Ce n'est pas du journalisme, c'est de la propagande »
Interrogé par AA, Jean-Michel Brun fustige « ces journalistes [qui] partent avec l'objectif d'accréditer une thèse, et de tromper sciemment les lecteurs, le public, par exemple en présentant les Azerbaïdjanais comme des agresseurs qui auraient pillé des tombes et autre lieux pendant la guerre de 44 jours ».
En référence à la publication du Figaro Magazine, Brun estime que « ce journaliste n'a pas eu le courage d'aller sur place, de poser les questions et en profiter pour identifier les vrais auteurs de destructions, de voir qu'en réalité, il s'agit bien des Arméniens qui ont détruit les mosquées, rasé des villages, pillé des tombes... ».
« Ce n'est pas du journalisme, c'est de la propagande », note le rédacteur en chef de "Musulmans de France", ajoutant que « si vous dites sciemment des choses fausses, vous ne pouvez pas prétendre être des journalistes, dès l'instant où vous mentez ».
Rappelant qu'il a coécrit un livre, suite à l'attentat meurtrier d'Orly, perpétré par le groupe armé terroriste arménien ASALA le 15 juillet 1983, Brun se souvient qu' « on avait une seule source d'information, alors que tous les livres sur la question arménienne n'étaient écrits que par des Arméniens.
« Le truc systématique pour nombre de journalistes dont je faisais partie, c'était d'aller au CDCA (Centre de culture arménienne) pour trouver des sources », se souvient le journaliste évoquant des erreurs d'appréciation ayant pu être commises de sa part, à cette époque.
« Pourtant, à l'époque, contrairement à toute la propagande néfaste qui se déverse aujourd'hui à son égard, la Turquie, c'était l'amie de la France, donc ce n'était pas toujours facile d'écrire un livre sur elle, mais la déontologie du journalisme nous obligeait à poser des questions aux deux côtés pour tenter d'obtenir une réponse objective, et c'est ce qu'on a fait. On a donc fait des pages entières sur les massacres commis par les Arméniens en Turquie », se souvient encore Brun.
- La partialité des médias qui censure des reportages
Le rédacteur en chef de "Musulmans de France" évoque également le cas de « rédacteurs en chef qui vont demander quelque chose de précis à leurs journalistes et qui vont censurer des reportages lorsqu’ils ne correspondent pas à la ligne éditoriale du média ».
« J'ai vu les échanges de message entre un journaliste français d'un grand hebdomadaire parisien avec son contact azerbaïdjanais », explique Jean-Michel Brun.
« Le journaliste est en visite dans le Karabagh pendant le conflit de l'automne dernier pour prétendument voir, identifier des mercenaires ou « djihadistes » syriens qui auraient été emmenés par la Turquie ; il a pu accéder à tous les lieux qu'il a voulus dans la région, il était libre de visiter et de tout voir sur place », explique le journaliste avant d'ajouter que celui-ci n'a trouvé aucun « djihadiste ».
« Il est revenu à Paris, il a fait son article, et il a écrit que des mercenaires djihadistes étaient en train de combattre... Son contact azerbaïdjanais lui a écrit un message pour lui demander s'il avait vu des « djihadistes ». Le journaliste lui a répondu que non. Alors, le contact azerbaïdjanais lui a demandé pourquoi il avait écrit ce mensonge. Il lui a répondu que sinon son article ne serait pas publié... Voilà où en est la presse française », déclare Jean-Michel Brun interrogé par AA.
Le rédacteur en chef de Musulmans de France rappelle également la censure du reportage de Liseron Boudoul, également rapportée par AA à l'automne 2020 [2] suite à des menaces exercées par des réseaux nationalistes arméniens de France.
« La journaliste française avait été envoyée par la 2 pour aller voir les « mercenaires djihadistes ». Elle a voulu interroger les deux côtés, arménien comme azerbaïdjanais. Elle n'a pas vu de mercenaires, et s'il y avait eu des mercenaires, les Arméniens les auraient montrés aux journalistes », déclare Jean-Michel Brun ajoutant que « bien au contraire, elle a constaté les attaques Arméniennes contre les Azerbaïdjanais... ».
« Elle a reçu plus tard des menaces, après la publication du reportage par la 2. Le reportage a été retiré du Replay et d'Internet », se souvient le journaliste français, ajoutant que « lorsqu'elle était allée en Azerbaïdjan, Liseron Boudoul croyait que la chaîne télé serait objective... Plus tard, elle a exprimé sa consternation face à la forte partialité de ce média », a ajouté Jean-Michel Brun évoquant un contexte de relations diplomatiques tendues entre Paris d'une part et Ankara et Bakou d'autre part.
- Le contexte de l'islamophobie d'État
« Il faut replacer tout cela dans le contexte de l'islamophobie d'État déployée notamment l'année dernière par le président français Emmanuel Macron et son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin », estime Jean-Michel Brun, en référence aux décisions de l'Exécutif français de dissolution d'associations musulmanes pour des motifs politiques ainsi qu'au lancement du projet de loi « séparatisme ».
« C'est d'ailleurs exactement le contraire de ce que Macron disait quand il était candidat », note le journaliste, en référence aux mesures gouvernementales qu'il qualifie d'« islamophobes ».
« Avec Darmanin il a lancé une croisade contre les Musulmans de France, une islamophobie pour tenter de grappiller des voix à l'extrême droite, puis ça s'est élargi en une croisade contre la Turquie.
Ainsi la communication négative de l'exécutif français à l'égard de la Turquie aurait emprunté des aspects de l'axe de communication des réseaux nationalistes arméniens de France, qui inclut la coloration religieuse donnée à la guerre du Karabagh ainsi que la notion de clash des civilisations.
« Cela a permis par exemple aux réseaux arméniens d'obtenir le soutien de l'association « SOS Chrétiens d'Orient » très critiquée par le Vatican et l'Église catholique française.
Le deuxième aspect de cet axe de communication, selon Brun, est que « l'Azerbaïdjan c'est l'ami de la Turquie et la Turquie c'est notre ennemi ».
Enfin dans un 3e chapitre de cette rhétorique, « l'Arménie serait une démocratie alors que l'Azerbaïdjan serait une dictature. Or tout prouve le contraire », estime Brun.
- L'Azerbaïdjan, un pays doté d'une « richesse intellectuelle et culturelle »
« Les Azerbaïdjanais sont d'une culture, d'un art, d'une finesse, dont très peu de pays et peuples sont dotés », estime Jean-Michel Brun déplorant l'insuffisance dans la communication de l'État azerbaïdjanais pour faire connaître la richesse intellectuelle et culturelle du pays, de ses citoyens autant que de ses sites culturels.
Observant que « tous les Azerbaïdjanais sont des artistes – musiciens, peintres, sculpteurs, architectes, etc. » et des amateurs d'échecs, Brun note qu'on est saisi par « la richesse intellectuelle de ce pays ».
« Même dans les profondeurs rurales du pays, on retrouve très souvent un piano dans les maisons des gens à qui l'on rend visite par hasard », constate le journaliste décrivant un pays bien loin de l'image que voudraient en donner les réseaux nationalistes arméniens de France.
Soulignant que l'État et le peuple azerbaïdjanais montrent un grand respect aux minorités religieuses du pays, Brun déplore l'image néfaste de « destructeurs de la culture arménienne » que veulent en donner ces réseaux nationalistes de France.
« S'il y a des monuments des minorités qui sont protégés, c'est surtout du côté de l'Azerbaïdjan où l'on protège les lieux historiques et les lieux de culte des Chrétiens et des Juifs, alors que les Arméniens ont détruit toutes les traces azerbaïdjanaises, turques et musulmanes sur leur passage, allant jusqu'à transformer des mosquées en porcheries », déplore le journaliste français.
Notant, par ailleurs, que les Azerbaïdjanais sont des personnes pacifiques et tolérantes, Jean-Michel Brun précise que « la seule personne que nous avons vue porter une arme en Azerbaïdjan, en dehors de la région Karabagh récemment sortie de guerre, c'était un soldat devant un ministère, sinon personne n'est armé en Azerbaïdjan ».
Le journaliste conclut en rappelant que le poète mystique azéri, Nizami « Ganjavi a inspiré par ses écrits, le siècle des Lumières en France, alors qu'aujourd'hui on présente les Azerbaïdjanais et les Musulmans comme les porteurs de l'obscurantisme, en opposition même au siècle des lumières »...
Notes :
[1] « Arménie-Azerbaïdjan : Du journalisme à la propagande » - Musulmans en France – 31 août 2021
https://musulmansenfrance.fr/armenie-azerbaidjan-du-journalisme-a-la-propagande/
[2] « Reporters Sans Frontières dénonce les menaces arméniennes envers une journaliste française » – Agence Anadolu (AA) – 28 octobre 2020
https://www.aa.com.tr/fr/monde/reporters-sans-frontières-dénonce-les-menaces-arméniennes-envers-une-journaliste-francaise/2021836