Gaza, silence ciblé : “Les journalistes palestiniens sont nos yeux, on cherche à les éteindre”
– Dans une interview accordée à Anadolu lors du rassemblement du 16 avril, la journaliste indépendante Meriem Laribi dénonce une politique délibérée de mise à mort de l'information à Gaza

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
Sur les marches de l’Opéra Bastille, mercredi soir, les mots de Meriem Laribi frappaient par leur gravité. Journaliste indépendante, autrice du livre « Ci-gît l’humanité », un exposé sur les mécanismes de déshumanisation dans les récits de guerre, elle a pris la parole devant les caméras d’Anadolu pour exprimer sa solidarité avec les journalistes palestiniens — et son indignation face au silence qui entoure leur extermination progressive.
« Ça fait 18 mois que nous voyons nos confrères à Gaza, au Liban aussi, tomber l’un après l’autre avec leur famille, assassinés, ciblés, menacés », a-t-elle déclaré d’une voix ferme. Selon elle, l’armée israélienne va jusqu’à afficher les noms des journalistes qu’elle vise, dans une démarche assumée de neutralisation de l’information. Même après leur mort, ces reporters sont « calomniés, accusés d’être des terroristes. C’est du jamais vu ».
Dans son intervention, Meriem Laribi insiste sur la dimension symbolique et stratégique de ces assassinats. « Ce sont des journalistes que nous avons vus travailler chaque jour, filmer le désastre, relayer le réel, documenter l’apocalypse », martèle-t-elle. À Gaza, dit-elle, les journalistes sont déplacés comme les autres civils, vivent sous les bombes, souvent avec leurs enfants, et finissent tués — parfois de façon indiscriminée, souvent de manière ciblée.
« En tant que journaliste, je suis outrée de l’absence de réaction, que ce soit médiatique ou diplomatique, de la France », poursuit-elle, regrettant une solidarité institutionnelle quasi inexistante. Pourtant, à Bastille ce soir-là, elle dit avoir vu naître quelque chose : une solidarité professionnelle, au-delà des lignes éditoriales habituelles, « même dans des médias qui, d’ordinaire, ne participent pas à humaniser les Palestiniens ».
Mais l’essentiel de son propos touche au cœur même de la guerre de l’information. Pour Meriem Laribi, les journalistes palestiniens sont « les seuls encore présents à Gaza », les seuls à rendre compte de ce qui s’y passe. « Nous ne pouvons pas nous y rendre. Ils sont nos yeux, nos oreilles. Et il y a clairement une volonté de cacher ça, de tuer en silence la population palestinienne. »
À la question de savoir si ce voile médiatique doit cesser, sa réponse est sans détour : « Bien sûr, ça suffit. On n’en peut plus. » Selon ses mots, « 250 journalistes palestiniens ont été tués à Gaza. Jamais un tel nombre n’a été atteint sur un même théâtre. C’est plus qu’une guerre, c’est un massacre de masse, c’est un génocide ».
En soulignant le rôle des journalistes comme porteurs de vérité — ceux qui, au péril de leur vie, documentent la souffrance, les destructions et les crimes — Laribi conclut sur l’importance de leur mission : « Les journalistes, c’est hautement symbolique. C’est eux qui apportent l’information au reste du monde. Et c’est précisément cela qu’on cherche à faire taire. »
Son intervention, saisissante, résonne comme un appel : un appel à voir, à écouter, à relayer. Un appel, aussi, à ne pas détourner les yeux, ni les caméras.