Giorgia Meloni … Retour du fascisme en Italie ?
- La nouvelle Présidente du Conseil italienne, qui a toujours revendiqué son appartenance à la mouvance idéologique incarnée il y a tout juste un siècle par un certain Benito Mussolini, est entrée en fonction le 22 octobre courant

Tunisia
AA / Tunis
Lorsqu’en 1996, l’Italie vivait sa campagne électorale pour les législatives, la gauche emmenée par la coalition de l’Olivier de l'économiste Romano Prodi affrontait la coalition de droite du Pôle pour les libertés dirigée par l'homme d'affaires et ancien président du Conseil, Silvio Berlusconi.
Ces élections suscitaient (déjà) des inquiétudes chez les voisins européens, lesquels voyaient d’un mauvais œil le "retour en grâce de l’idéologie fasciste" sur la scène politique italienne, puisque le Pôle pour les libertés comptait dans ses rangs le parti Alliance Nationale (AN), un parti d’extrême droite descendant en droite lignée du parti néofasciste Mouvement Social Italien (MSI).
Lors d’un meeting électoral, une jeune militante du parti Alliance Nationale déclarait à cette époque à une télévision française : "Ce que je fais ici, je le fais parce que j’y crois et je sais que tous ceux qui sont ici, ainsi que beaucoup d’autres y croient ! Donc, si nous perdons… nous gagnerons une autre fois".
Cette jeune militante de 19 ans s’appelait Giorgia Meloni ! Sa première joute électorale lui avait laissé le gout amer de la défaite, puisque la coalition de gauche avait remporté cette élection.
26 ans se sont écoulés, Alliance Nationale a laissé la place aux Frères d’Italie (Fratelli d'Italia - FDL), parti également d’extrême droite que la jeune militante de 1996 a emmenée à la victoire lors des élections législatives du 25 septembre dernier. Le 22 octobre courant, la voilà à la tête de l’Italie, première femme à occuper le poste de Présidente du Conseil des ministres.
Si d’aucuns parmi ses partisans et alliés, en Europe comme en Italie, capitalisent sur un narratif de "success story" à l’italienne, d’autres ne manquent pas de rappeler que Meloni fait son entrée à Palazzo Chigi, siège de la Présidence du Conseil, exactement 100 ans après l’accession au pouvoir d’un certain Benito Mussolini. Un héritage et une filiation idéologique qui a servi le parcours politique de Meloni et dont elle s’est toujours réclamée, mais qui pourrait aujourd’hui faire de l’ombre à la nouvelle Présidente du Conseil italien.
** Aux origines des "Frères d’Italie"
"Nous avons finalement réussi. Avec Fratelli d'Italia à l'abri de tout risque d'extinction (…) nous avons réussi la tâche difficile et motivante d'assurer l'histoire de la droite italienne. Ces dernières années, de nombreuses personnes qui ont grandi dans les sections MSI et AN m'ont interpellée pour me remercier", affirmait en 2021 Giorgia Meloni.
La dirigeante de Fratelli d'Italia (FDL) soulignait ainsi que la création de son parti avait eu pour finalité de donner un nouvel essor politique à une droite qui renoue avec les racines du parti post-fasciste créé en 1946, le Mouvement Social Italien (MSI).
Le Mouvement Social Italien, fondé en 1946, immédiatement après la fin de la seconde guerre mondiale, s'inspirait idéologiquement du "fascisme de gauche" de la République sociale italienne (RSI), l'État fantoche dirigé par Benito Mussolini entre 1943 et 1945, pendant l'occupation allemande de l’Italie.
Parmi ses fondateurs, pour la plupart d’anciens cadres de la RSI, se trouvait Giorgio Almirante, la figure à laquelle le Mouvement Social Italien est encore identifié aujourd'hui, et qui a été Secrétaire général du parti entre 1947 et 1950 et entre 1969 et 1987.
Anticapitaliste et antilibéral, le MSI incarnait la droite antisystème, opposé aux chrétiens-démocrates, principal acteur de la scène politique italienne de la deuxième moitié du 20ème siècle ; il se caractérisait également par une position résolument anticommuniste, mais son incapacité à opérer un véritable renouvellement le privera de toute influence sur le système politique italien.
Lorsque le dauphin d’Almirante, Gianfranco Fini, prend les rênes du parti, le MSI surfe sur le fort sentiment de rejet de la politique qui se répandait en Italie au cours du début des années 90. L'année 1992 marque le début de la période dite "Mani Pulite", une série d'enquêtes sur le financement illégal des partis qui a conduit à la dissolution des deux principaux partis de la "Première République" : les démocrates-chrétiens et le parti socialiste.
Candidat à Rome aux élections municipales de 1993, Fini, bien que perdant, a néanmoins obtenu un bon résultat, en recueillant 46,9 % des voix au second tour. Fort du soutien du magnat de l'époque, Silvio Berlusconi, qui, l'année suivante, en 1994, créera le nouveau parti Forza Italia, le nouveau leader du MSI guette l’occasion de créer une nouvelle formation de centre-droit avec son nouvel allié pour s'opposer à la gauche.
L'opportunité se présente en 1994, à la faveur d'un référendum, dont le succès a signalé le profond désir de changement des italiens. Le système proportionnel est ainsi abandonné et une nouvelle loi électorale quasi-majoritaire est adoptée
Grâce à la création de Forza Italia et à son alliance au nord avec le parti autonomiste d'Umberto Bossi, la Ligue du Nord, et au sud avec le Mouvement Social Italien, la droite remporte les élections anticipées de 1994. Le MSI s'est présenté à cette occasion sous la nouvelle étiquette d’Alliance Nationale (Alleanza Nazionale - AN), un nouveau parti qui prône désormais la "reconnaissance de la valeur de l'antifascisme en tant qu'étape nécessaire au retour des valeurs démocratiques en Italie" et la nécessité de "réintroduire les valeurs d'autorité et de liberté dans la culture politique de la droite", ainsi que le refus de toute forme de racisme et d'antisémitisme.
AN se présente régulièrement depuis lors aux élections en s'alliant avec Forza Italia, jusqu'à la fusion dans le nouveau parti le Peuple des Libertés (Popolo delle Libertà - PDL), dont Berlusconi prend la tête en 2009. Au cours de ces années, et en particulier à partir des années 2000, Gianfranco Fini se distancie de manière de plus en plus nette de son passé fasciste et post-fasciste, allant même, lors de son voyage en Israël en 2002, jusqu'à définir le fascisme comme un "mal absolu". Autant de prises de positions qui suscitent le mécontentement au sein de son parti qui sera capitalisé par Giorgia Meloni après l'échec de la fusion avec le PDL. Une fusion qui avait conduit, selon son point de vue, à "l'annulation de l'identité du post-fascisme italien".
** Un nouveau parti populiste d’extrême droite
Fratelli d'Italia, qui reprend l'incipit de l'hymne national italien, soulignant la volonté de mettre en avant l'appartenance nationale, est né en décembre 2012 de la scission du Peuple des Libertés (PDL), suite aux désaccords nés de la promesse non tenue de Silvio Berlusconi de convoquer des élections au sein du PDL pour permettre une éventuelle alternance à la tête de la formation de droite.
En 2014, Giorgia Meloni, fondatrice du parti avec Ignazio La Russa, figure de proue du MSI puis d'AN, et Guido Crosetto, transfuge de Forza Italia, est élue présidente du parti (elle sera confirmée en 2017).
L'entrée en scène de Fratelli d'Italia, lors des élections législatives de 2013, n'a pas été heureuse : allié aux autres formations de centre-droit, le parti n'a recueilli que 1,9 % des suffrages. Cinq ans plus tard, en 2018, bien qu'avec un résultat encore très modeste de 4,35 %, il a tout de même réussi à largement dépasser le seuil de 3% prévu par la nouvelle loi électorale introduite en 2017.
Le parti de Giorgia Meloni connaît depuis lors une progression constante, il atteint 6,4 % et obtient six sièges au Parlement européen lors des élections européennes de 2019. En février de la même année, il parvient à faire élire son premier président de Région dans les Abruzzes, en alliance avec la Lega de Matteo Salvini et Forza Italia, et voit sa cote progresser dans plusieurs autres régions (Sardaigne, Basilicate, Piémont). En septembre 2020, il remporte la présidence de la région des Marches avec son propre candidat.
Lors des élections municipales suivantes, en octobre 2021, la progression du FDL est l'un des éléments politiques les plus significatifs : dans les communes du Centre Nord (zone où la gauche était traditionnellement dominante) et du Sud, il recueille en moyenne plus de 11 % et 10,9 % dans le Nord.
Depuis lors, les sondages ont enregistré une progression constante de la popularité du parti, au point d'en faire la première force politique d'Italie.
Le politologue néerlandais Cas Mudde établit une distinction entre l'extrême droite, hostile à la démocratie, et la droite radicale, qui accepte certaines règles de base de la démocratie, mais s'oppose à certains éléments de la démocratie libérale, en particulier la protection des droits des minorités, l'État de droit et la séparation des pouvoirs.
Selon Caterina Froio, chercheuse en science politique et politique comparée à l'université d'Oxford, Fratelli d'Italia combine des éléments tant de l'extrême droite que de la droite radicale. Le parti entretient, selon elle, un lien "affectif" avec l'histoire fasciste, ou du moins post-fasciste, avec laquelle il n'a jamais réellement pris ses distances. Cela ressort clairement des déclarations de sa présidente, mais aussi des déclarations et du comportement de ses élus et de ses cadres.
À la veille des élections de 2018, lors d'un événement préélectoral tenu à Latina, près de Rome, une ville créée par Mussolini, Meloni est apparue aux côtés de Rachele Mussolini, la petite-fille du "Duce", affirmant la volonté de son parti de ramener ce lieu symbolique dans l'histoire de la droite italienne.
Un autre épisode parmi les nombreux impliquant des personnalités locales du parti est celui du dîner auquel Marco Acquaroli a participé avec d'autres responsables locaux et environ soixante-dix militants du FDL, pour commémorer la "Marche sur Rome" organisée en 1922 par le Parti national fasciste, l'un des événements qui avaient précédé l'accession de Mussolini au pouvoir en Italie.
En outre, le symbole du Mouvement Social Italien, la flamme tricolore, est désormais le symbole de Fratelli d'Italia, parti dont la rhétorique typiquement populiste oppose le peuple aux élites : le peuple, vers lequel va l'amour du leader populiste ; les autres, les étrangers, qui inspirent la peur parce qu'ils portent atteinte à la sécurité et aux modes de vie traditionnels ; et enfin les élites, égoïstes, qui trahissent les intérêts de la nation, et qui nourrissent un sentiment de colère.
Pour Meloni, les élites sont principalement les élites économiques et financières "mondialistes", mais aussi les "bureaucrates de l'ombre" de Bruxelles, accusés d'ouvrir la porte aux étrangers. Meloni a maintes fois fait référence à la "théorie de la substitution", le "plan Kalergi", selon lequel les élites mondialistes favorisent l'immigration afin d'exploiter les immigrants en tant que main-d'œuvre bon marché, pour remplacer les travailleurs autochtones.
"Qui a intérêt à ce que les salaires et les droits baissent ? Les grandes concentrations économiques, bien sûr, les spéculateurs financiers qui en réalité, comme par hasard, financent les ONG pro-immigration et soutiennent les théories sur l'immigration avec le concours des médias grand public", écrit-elle dans son livre " Je suis Giorgia. Mes racines et mes idées." (Io sono Giorgia. Le mie radici le mie idee).
La "menace" posée par l'immigration est probablement la question qui a le plus attiré la sympathie envers Fratelli d'Italia. Principalement conçue par rapport à l'arrivée des migrants, la "défense des frontières" prônée par Meloni et son parti se traduit, notamment, par l'hostilité envers l'immigration issue des pays islamiques et la dénonciation de l'islamisation de l'Italie et de l'Europe, ainsi que de ladite "dérive multiculturaliste".
Les propositions les plus connues de Fratelli d'Italia pour freiner l'immigration en provenance d'Afrique sont un blocus naval en Méditerranée et l'interdiction pour les navires des ONG secourant les migrants en mer d'accoster dans les ports italiens.
En outre, pendant les deux années dominées par la pandémie de Covid-19 (2020-2021), Meloni a constamment opposé les Italiens, négligés par le gouvernement ou contraints de se cloîtrer chez eux, aux "immigrés clandestins, laissés sans contrôle, potentiellement infectés et favorisés par les institutions" au détriment des citoyens italiens.
Maintenant qu’elle est arrivée au pouvoir et dans le souci d’éviter la mise à l'écart qui a été le sort de Marine Le Pen en France ou de Jorg Haider en Autriche, Meloni semble déterminée à se présenter comme une force tournée vers l'avenir, bien qu'elle n'ait pas fait table rase de son passé et de celui de la plupart des dirigeants de son parti.
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