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Kémi Seba : "C’est un combat des Justes contre ceux qui sucent le sang des Justes"

•⁠ ⁠Dans une interview exclusive accordée à l’AA, l’activiste et président de l’ONG "Urgences panafricanistes", déchu de la nationalité française, est revenu sur son combat contre le néocolonialisme français et sa vision pour l’Afrique de demain.

Tuncay Çakmak  | 30.09.2024 - Mıse À Jour : 30.09.2024
Kémi Seba : "C’est un combat des Justes contre ceux qui sucent le sang des Justes"

Ankara

AA / Ankara / Tuncay Çakmak

"Ce n’est pas un combat de Noirs contre Blancs, c’est un combat des Justes contre ceux qui sucent le sang des Justes".

C’est avec cette formule empreinte de toute une symbolique que Kémi Seba, activiste panafricaniste et militant anti-impérialiste et anticolonialiste, a qualifié son engagement pour la souveraineté de l’ensemble de l’Afrique face aux velléités néocoloniales, notamment portées par la France.

Dans une interview exclusive accordée à l'Agence Anadolu (AA) au studio même de l'agence à Ankara, qui sera publiée en 3 parties, il évoque de nombreux sujets de l'actualité africaine, mais aussi mondiale.

Le Béninois de 42 ans, né à Strasbourg, et qui a été déchu de la nationalité française en juillet 2024, se présente comme un "homme noir au 21ème siècle, Panafricaniste, un homme qui est maladivement attaché à la souveraineté de son peuple, du continent africain et de la diaspora".

Kémi Seba, de son vrai nom "Stellio Gilles Robert Capo Chichi", précise que "par extension", il est très attaché aussi "au droit à l’autodétermination de tous les peuples du monde entier, et plus particulièrement des peuples du sud global ».

"Ce qui fait qu’un opprimé, qui se trouve à n’importe quel endroit du globe, aura toujours ma solidarité, c’est pour moi une priorité", assure-t-il.


  • La déchéance de la nationalité française


Souvent associée à la "provocation" quand il a brûlé son passeport français devant des caméras en mars de cette année, la décision des autorités françaises de lui retirer la nationalité française n’est pas liée à cet acte, défend-il.

"Ce sont les actions contre le néocolonialisme que nous menons depuis de très nombreuses années sur le terrain, avant même l’émergence des réseaux sociaux, qui a entrainé que, les autorités françaises qui ont pour axe idéologique et géostratégique sur le continent africain, le néocolonialisme, ont été dans une démarche de réagir avec virulence, avec hystérie", assure-t-il.

"En perdant le contrôle, à mon sens, et en commettant une erreur stratégique grossière, car ce n’est pas parce que vous combattez la mauvaise direction prise par le président qui dirige le pays où vous êtes né, qu’on doit renier votre lieu de naissance et votre nationalité".

Kémi Seba veut rétablir la vérité. C’est son engagement inébranlable en faveur des peuples opprimés et des territoires colonisés qui sont derrière la décision française.

"J’ai trouvé opportun, en réalité, à cette croisé des chemins, dans cette période historique, à cette période où en France l’homme noir est discriminé, depuis déjà trop longtemps en réalité, mais plus que jamais aujourd’hui, à cette période où l’homme noir dans les territoires, appelés de manière coloniale, territoires d’outre-mer, Guadeloupe, Martinique, j’ai une grosse pensée pour mes frères et sœurs qui sont mobilisés actuellement, Guyane, La Réunion, la Kanaky (Nouvelle-Calédonie), qui est plus que jamais aujourd’hui asphyxiée et colonisée, à une période où mes semblables sont asphyxiés en Afrique de l’ouest, en Afrique francophone de manière générale, il ne faut pas oublier l’Afrique centrale, à une période où les Noirs sont victimes de bavures, même si je n’aime pas le terme de victime, parce que c’est trop restrictif, sont incarcérés dans une problématique réelle de discrimination au logement, ou de bavures policières, dans une période où tout est fait pour briser et humilier l’homme et la femme noirs, j’ai pensé qu’il était important de rappeler que nous ne sommes pas tous prêts à nous soumettre aux ordres et aux désirs de l’oligarchie française pour exister", lance-t-il.

Et de scander haut et fort : "Je n’ai pas besoin de leur aval pour exister !".

Néanmoins, une fois informé de la procédure de déchéance lancée, il n’a pas voulu "rester tranquille pour préserver les chances de garder la nationalité française".

"Je n’étais pas dans une démarche de montrer patte blanche, parce que je suis né avec des pattes noires. Et j’ai pris conscience de la nécessité de rappeler à nos semblables qu’on peut se tenir debout face à la puissance néocoloniale, et exister plus que jamais, malgré tous les coups que l’on peut recevoir, on peut aussi lui en donner", explique-t-il.

Selon Seba, le processus de retrait de nationalité a été enclenché quelques temps "après les mobilisations historiques dans la sous-région (Sahel), et au Niger, aux côtés de la société civile, pour défendre ce que j’appelle la "restauration de l’État".

Mettant de côté son propre combat, Kémi Seba tient absolument à rendre hommage à une personne en particulier.

"Il y a un homme à qui j’ai envie de profondément rendre hommage, parce qu’il prend des coups, en défendant et en accompagnant le combat de souveraineté que nous menons. C’est homme c’est Juan Branco, mon avocat. Docteur en Droit qui mène un combat contre l’impérialisme aux quatre coins du monde. Il a défendu Julian Assange, il a défendu des frères et des sœurs opprimés, qui sont mes partenaires, en Guyane, il a défendu les nôtres en Haïti, au Sénégal. C’est quelqu’un qui a été pris en grippe par le gouvernement français, comme il me considère comme une menace, il le considère aussi comme une menace, et au lieu de l’attaquer sur le principe des idées, mais quand on voit le visage des autorités françaises on comprend que ce n’est pas sur le terrain du débat idéologique qu’il peut y avoir une issue, d’une manière extrêmement lâche et vicieuse pour le sanctionner de sa démarche de solidarité vis-à-vis du combat des populations du sud global, ils ont décidé d’entamer une procédure de révocation auprès du Barreau de Paris. Ils sont dans une dynamique de l’empêcher de plaider en France".

Et de souligner avec conviction : "Cette démarche-là montre que ce n’est pas un combat de Noirs contre Blancs, c’est un combat des Justes contre ceux qui sucent le sang des Justes. C’est un combat d’une oligarchie néolibérale putride contre des peuples, quelles que soient leurs couleurs, qui veulent décider de leur propre destinée, qui ne veulent pas être soumis à l’élite financière apatride."


Les développements au Sahel et la "restauration de l’État"

L’engagement de Kémi Seba au Sahel est complet. Il est entièrement solidaire des mouvements hostiles à la présence française et favorables à "l’indépendance et la souveraineté africaines".

"L’Occident parle de coup d’État (au Niger), non c’était une opération de restauration de l’État", défend-il.

"Si vous avez un conducteur de bus, en l’occurrence l’ancien président Mohammed Bazoum, qui était engagé pour conduire les passagers, le peuple nigérien, à bon port, à la destination B, et qu’au lieu d’emmener les passagers à la destination B, il les emmène dans une direction complètement éloignée, qui est la direction F, comme la France néocoloniale, il est du devoir des passagers qui ne sont pas d’accord avec cette direction, d’immobiliser ce conducteur de bus un petit peu ivre, le mettre sur le côté, et que quelqu’un reconduise les passagers à la bonne destination. Ce quelqu’un c’est le Général Tiani, Chef de l’État, Chef du CNSP. Il est en train d’emmener le peuple du Niger à bonne destination", explique-t-il de manière imagée.

"Le peuple, une grande partie du peuple, comprend le combat que nous menons", estime-t-il ensuite.

Et de poursuivre : "Il y a évidemment aussi comme au temps de l’esclavage ou de la colonisation, des gens, comme dans certains pays néocolonisés comme en Côte d’Ivoire où certains services de communication, de dirigeants, qui sont des marionnettes de la Françafrique, comme ceux qui sont à la tête, malheureusement, de mon pays le Bénin, ou de la Côte d’Ivoire, il y a des gens qui ont tout intérêt à préserver les intérêts des néocolonialistes."

"Mais c’est un processus. Je pense que ce combat-là, est en train d’emmener progressivement une autre mentalité, au sein des nouvelles générations africaines, qui comprennent qu’il n’est pas normal que dans les quatre coins de l’humanité ils puissent jouir de nos ressources, et que les seuls qui ne puissent pas jouir de leurs propres ressources, ce soit nos populations.

C’est pour ça que je dis que l’ennemi ce n’est pas les autres, l’ennemi c’est nous-même. Une civilisation n’est détruite de l’extérieure que si elle est rongée de l’intérieur. Il faut qu’on soit capable de faire un travail interne de réappropriation de nos ressources, de nettoyage aussi des mauvaises herbes chez nous. Parce qu’il y a des gens chez nous qui sont tellement complexés qu’ils seraient prêts à tout pour livrer leurs terres à l’extérieur. Or, chaque peuple vit sur une parcelle de cette Terre, et il n’est pas normal que ce qui doit être la portion d’un peuple, puisse servir à d’autres à l’exception de lui-même."

Et de s’écrier : "Plus que jamais, l’Afrique doit revenir aux Africains. Et, par extension, les territoires colonisés où nos peuples sont installés, Kanaky, Guyane, Guadeloupe, Madinina (Martinique), La Réunion etc. doivent revenir aux peuples qui, pendant des siècles, ont travaillé, sous le joug de l’esclavage, ces terres pour les rendre rentables pour l’oligarchie néocoloniale française."

"Ces mobilisations, à mon sens, ont fait le lit des opérations de restauration de l’État, réalisées notamment par le Colonel Assimi Goïta, chef de l’État du Mali, le Capitaine Ibrahim Traoré, chef de l’État du Burkina Faso, et enfin le Général Tiani, chef de l’État du Niger, que je considère comme une sorte de père institutionnel sur le terrain politique, un homme de grande vision".


- Son avenir politique au Bénin


Après avoir, en détails, relaté son cheminement intellectuel et politique, Kémi Seba qui affirme désormais tenir un "discours qui traverse toutes les frontières", ne cache pas ses ambitions pour l’avenir de son pays, le Bénin.

"Ce qui n’empêche pas qu’il arrivera un moment où, très prochainement, je l’espère, dans le cadre du Bénin, sur le terrain institutionnel, nous pourrons passer aussi à une autre étape."

Pour autant, l’activiste garde le flou sur une éventuelle candidature personnelle, mais est clair sur son engagement en faveur du changement politique dans son pays.


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