L’ONU préside aux destinées de l'Afrique sans les Africains
- Avec ses 54 Etats membres et ses 1,3 milliard d'habitants, l'Afrique représente 25% des membres de l'ONU. Mais seuls trois sièges non-permanents lui sont attribués pour des périodes de deux ans sur les 15 du Conseil de sécurité.
Cameroon
AA / Yaoundé / Peter Kum
De par sa composition universelle en 1945, l’Organisation des Nations unies (ONU) a historiquement été la première organisation à accorder une place, une voix et une tribune aux pays africains. Ces derniers ont, en retour, peu à peu modifié en profondeur l’organisation, qui ne rassemble plus aujourd’hui, comme en 1945, les seuls vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Cette évolution, qui débute au moment où les pays nouvellement décolonisés adhèrent à l’ONU, ne s’est pas déroulée sans remous ni résistances.
L’ONU qui naît à San Francisco aux Etats-Unis en avril 1945 est clairement dominée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale que sont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’URSS, la Chine et la France qui a obtenu une place dans ce club très fermé à la dernière minute grâce au Britannique à Winston Churchill ( Premier ministre du Royaume-Uni entre 1951 et 1955). Par ailleurs en 1945, l’ONU comptait 51 États membres pour 11 sièges au Conseil de sécurité.
En 1945, l’Afrique ne compte que quatre États indépendants, l’Afrique du Sud, le Liberia, l’Éthiopie et l’Égypte, tous membres originels de l’ONU.
« Cette situation ne dure pas, et la décolonisation bouleverse la donne de l’après-guerre. Entre 1955 et 1960, il y a quarante et une admissions d’États supplémentaires à l’ONU, dont une majorité d’États africains nouvellement indépendants. Le nombre de pays est multiplié par deux en cinq ans. Vingt-sept autres États adhèrent entre 1960 et 1970. Afin de refléter cette augmentation, le nombre des membres non permanents du Conseil de sécurité passe, entre 1963 et 1965, de onze à quinze. Cette évolution change non seulement la nature, mais également le champ d’action de l’institution », a expliqué à l’Agence Anadolu, Alexandra Novosselof, auteure du livre "Le Conseil de sécurité des Nations unies : Entre impuissance et toute puissance".
Les pays nouvellement indépendants s’organisent peu à peu au sein de l’Assemblée générale pour avoir du poids et au besoin disposer d’une majorité de blocage. L’Assemblée permet à certains de lancer des initiatives et des projets.
« C’est ainsi qu’aux groupes régionaux – groupe des États africains, des États asiatiques, des États latino-américains, des États d’Europe orientale, des États d’Europe occidentale et autres États –, créés de fait pour les besoins de la répartition géographique des postes dans les différents organes de l’ONU, s’ajoutent au sein de l’Assemblée générale des groupes d’intérêts plus larges, comme le « Groupe des non-alignés » et le « Groupe des 77 » des pays en développement. Le Groupe des 77, créé en octobre 1967 par la Charte d’Alger, comprend en réalité cent trente États membres avec un président de groupe élu tous les ans par rotation géographique entre l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et les Caraïbes », a ajouté l’écrivaine Alexandra Novosselof.
- Les insuffisances de l’Afrique, causes de sa mise à l’écart
Pour certains analystes, avoir une place de membre permanent au Conseil de Sécurité, c’est détenir une capacité d’influence significative sur la gouvernance mondiale. C’est avoir la propension à faire valoir une opinion qui peut être contradictoire, et d’en garantir le respect au-delà de tous les enjeux. Si donc des pays du continent africain souhaitaient avoir une place de membre permanent, seraient-ils capables de faire respecter leurs oints de vue ?
Les 55 pays membres de l’Union africaine (UA) ont du mal à garantir la paix et la stabilité sur le continent. « La quasi-totalité des conflits en Afrique trouvent leur épilogue avec un soutien ou une intervention extérieure », selon le géostratège Alfred Fuller, colonel camerounais à la retraite.
« L’analyse des récents conflits en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali, en RDC et en RCA dévoile une incapacité africaine à répondre aux défis sécuritaires du continent. Ceci peut s’expliquer par la faiblesse des moyens financiers et l’absence de consensus autour des positions de l’UA », a souligné à Agence Anadolu, le Pr Raymond Mayer, enseignant à l’Institut des relations internationales à Libreville au Gabon.
- L’Afrique réclame une meilleure représentation
Le géopolitologue camerounais, Kamguem Gervis Briand, relève à l'Agence Anadolu que « de fait, le critère de représentativité n’est jamais rentré dans la logique de construction de cette institution. Cependant, son caractère restreint et immuable organisé autour de cinq ‘grandes’ nations laisse entrevoir une dimension de responsabilité et de capacité à garantir la paix et la sécurité dans le monde ».
Kamguem Gervis Briand, par ailleurs auteur du livre "L'Afrique au Conseil de sécurité: les défis pour une représentation efficace", estime que les pays africains exigent une meilleure représentation au Conseil de sécurité des Nations unies (C.S.N.U).
« Ils justifient cette réclamation par la taille de leur effectif au sein de l’Assemblée générale (54 pays sur 193), et le nombre des défis et enjeux liés à la paix et à la sécurité sur le continent. Cependant, vu la logique qui a conduit à la création du Conseil de sécurité en 1946 (capacité à pouvoir garantir la paix et la sécurité dans le monde), et qui perdure encore, il est très difficile d’entrevoir un ou deux pays africains comme membres permanents de cet organe. Evidemment pour des raisons de capacité stratégique, économique et d’influence diplomatique relativement limité sur la scène internationale », a-t-il souligné.
De toute évidence et en l’état actuel des choses, il est difficile de concevoir qu’un pays du continent soit capable de garantir le respect d’une opinion contradictoire au Conseil de sécurité.
Lors du Conseil de sécurité tenu le 5 décembre 2020 par visioconférence, le Président du Niger, Mahamadou Issoufou, a relevé que l’Afrique n’est toujours pas représenté dans la catégorie des membres permanents de ce même Conseil, « alors que 50% des questions à l’ordre du jour du Conseil de sécurité et 70% de celles inscrites au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies concernent l’Afrique ».
Pire encore, s’est désolé le Président du Niger, « les voix des États africains et de l’UA ne sont pas toujours écoutées et prises en compte, comme en témoigne le cas de la Libye, où l’intervention militaire lancée en 2011 avait suscité une levée de boucliers ». Les conséquences pour les pays voisins, dont le sien, sont désormais connues, a observé Mahamadou Issoufou.
L'Union africaine, appuyée par la Chine ou l'Allemagne notamment, réclame donc depuis plusieurs années une meilleure représentation du continent au sein des instances dirigeantes de l'ONU : deux sièges permanents au Conseil de sécurité, au nom d'un rééquilibrage démographique.
- Faible contribution financière
« Les opposants à cette demande de l’UA font valoir l'instabilité politique persistante et la faible contribution financière de l'Afrique au budget des Nations unies (0,01% en 2021, contre 25% pour les Etats-Unis) », a souligné, Serigne Moustapha Kâ, président de l'ordre des experts comptables du Sénégal.
Fort de tous ces éléments, le Prof Nkou Prosper, enseignant à l’Université des relations internationales à Yaoundé au Cameroun, estime qu’« il est inconcevable aujourd’hui de présider aux destinées de l’Afrique sans les Africains parce que le continent est économiquement amorti. C’est sous cet angle d’approche que s’inscrit la logique de la requête africaine portant sur la réforme du Conseil de sécurité. Les États africains exigent une représentation plus importante au sein du Conseil de sécurité avec au moins deux sièges permanents et cinq non permanents. Ils l’ont fait savoir dans la déclaration des Chefs d’État et de Gouvernement de l’UA à Hararé en juin 1997. En juillet 2005, ils ont soumis à l’Assemblée générale une proposition commune africaine pour la réforme des Nations unies intitulée « le Consensus d’Ezulwini ».
Pour cet enseignant-chercheur camerounais, « autant la présence africaine limitée au Conseil de sécurité est considérée comme une marginalisation », la majorité des États membres de l’Assemblée générale de l’ONU estiment qu’une démocratisation de l’institution sur la base d’une représentativité régionale s’impose.
Toutefois, le géopolitologue camerounais, Kamguem Briand, ne perd pas espoir. Il estime que « dans l’esprit d’une volonté d’amélioration de la gouvernance mondiale, prônant une représentativité pour l’ensemble des régions du monde, le continent africain pourrait faire son entrée au sein des membres permanents de l’ONU ».