La CEDH condamne la France pour des pratiques judiciaires sexistes dans des affaires de viols sur mineures
– L’arrêt historique dénonce une « victimisation secondaire » et des « stéréotypes sexistes » ayant entaché les enquêtes et jugements

Ile-de-France
AA / Paris / Ümit Dönmez
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné jeudi la France pour manquements graves dans le traitement judiciaire de trois affaires de viols sur mineures, considérant que les victimes avaient été soumises à des pratiques discriminatoires et à une justice défaillante.
Par voie d’un communiqué, la Cour de Strasbourg a dénoncé l’usage de « stéréotypes sexistes », des propos « moralisateurs et culpabilisants », ainsi qu’un « défaut d’effectivité » des procédures, dans lesquelles les autorités françaises ont échoué à protéger les plaignantes, âgées de 13 à 16 ans au moment des faits.
Les trois requêtes, jugées ensemble en raison de leur similarité, pointent notamment un traitement judiciaire qui a aggravé la souffrance des victimes au lieu de les soulager. La Cour note que dans un cas, l’état psychologique de la victime s’est détérioré au fil de la procédure. Dans un autre, les magistrats ont été accusés d’avoir accordé plus de poids aux déclarations de l’agresseur présumé qu’à celles de la plaignante. La consommation d’alcool, pourtant reconnue par les deux parties, n’a pas été considérée comme un facteur de vulnérabilité.
L’affaire la plus emblématique est celle dite de « Julie », du prénom de la plaignante, qui avait dénoncé des viols commis par 22 pompiers alors qu’elle n’était qu’adolescente. En 2022, un non-lieu avait été prononcé pour les faits de viol ; seuls deux hommes avaient été condamnés pour atteinte sexuelle. La Cour européenne a sévèrement critiqué les décisions rendues, notamment celle de la cour d’appel de Versailles, qualifiée de « hors de propos » et « discriminatoire ».
La CEDH a fondé son arrêt sur les articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), 8 (droit à la vie privée) et, pour l’un des cas, 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme.
La France pourrait être de nouveau confrontée à d’autres condamnations similaires : huit plaintes similaires sont actuellement en cours d’examen devant la CEDH.
Ce jugement historique intervient dans un climat où la défiance envers la justice pénale en matière de violences sexuelles reste forte. Le taux de classement sans suite atteint 94 % pour les affaires de viols en France, selon l’Institut des politiques publiques, un chiffre en hausse. Et dans 80 % des cas, les victimes ne portent même pas plainte.