Monde

Le droit de véto et la problématique réforme de l’ONU (Opinion)*

Ekip  | 17.09.2022 - Mıse À Jour : 17.09.2022
Le droit de véto et la problématique réforme de l’ONU (Opinion)*

Tunis

AA/Hmida Ben Romdhane**

L’ONU a aujourd’hui 77 ans. Elle ressemble à une vieille dame atteinte d’un handicap et qui regarde passer le temps sans possibilité d’influer sur les événements qui ravagent la planète. Mais ce handicap n’est pas dû à la vieillesse, car l’ONU est née avec. Il a pour nom : le droit de véto. Mais pour comprendre l’origine du mal, il faut remonter 77 ans en arrière, car tout s’est joué au moment même de la naissance de cette institution internationale.

En effet, le jeu était faussé dès le départ et la mauvaise foi et la volonté de tricher ont marqué les deux mois de négociations intensives qu’avait accueillies San Francisco entre le 25 Avril et le 26 Juin 1945. Dans un article publié dans ‘’Le Monde diplomatique’’ en novembre 2001, le journaliste néo-zélandais, Nicky Hage a expliqué comment les Etats-Unis ont profité de la localisation de la Conférence sur leur territoire pour espionner massivement les diplomates présents dans leurs communications avec leurs capitales respectives : « Recueillis par les compagnies télégraphiques, écrit le journaliste néo-zélandais, les télégrammes, cryptés, furent décodés par des officiers opérant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, puis transmis aux négociateurs américains. Ce fut un succès total... »

On le voit, le jeu était donc faussé dès le départ puisque l’un des joueurs savait ce que ses compagnons de jeu avaient en main et ce qu’ils pensaient, mais que personne ne savait ce qu’il avait, lui, en main et dans la tête.

Finalement, les pays présents aux débats sur la naissance de l’ONU se mirent d’accord sur les dispositions de la Charte, appelée à régir les fonctions de la nouvelle instance mondiale et l’adoptèrent le 26 juin 1945 à San Francisco. Les objectifs annoncés consistaient à « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances » ; à « maintenir la paix et la sécurité internationales » et à « assurer l’égalité des droits des nations, grandes et petites. »

Mais pour que l’ONU puisse voir le jour, les Etats signataires n’avaient d’autre choix que de charger le contenu de la Charte d’une contradiction flagrante. Une Charte qui devait à la fois assurer « l’égalité des nations grandes et petites » et offrir « un droit de véto » à cinq grands pays.

Cela rappelle « La ferme des animaux » de George Orwell. Dans le fameux roman de l’auteur britannique, les animaux ont décidé de consigner le principe d’égalité dans la charte qu’ils ont adoptée et dans laquelle on lit : « Tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d’autres. » D’aucuns se demandent s’il n’y avait pas là un clin d’œil malin de l’Histoire : le livre de Gorge Orwell étant publié en été 1945, c'est-à-dire pratiquement en même temps que l’adoption de la Charte de l’ONU…Et de fait, que veut dire concrètement le droit de véto sinon qu’il y a cinq nations sur Terre qui sont « plus égales » que toutes les autres ?

La conséquence la plus désastreuse de ce droit de véto est que l’ONU se révéla au fil des ans absolument incapable d’assumer la principale mission pour laquelle elle fut créée : « préserver les génération futures du fléau de la guerre ».

En 77 ans d’existence, l’ONU a assisté en spectateur passif aux centaines de guerres et de conflits qui ont déchiré l’Afrique, l’Asie et le Moyen-Orient. Elle n’a rien pu faire pour empêcher la mort de dizaines de millions d’êtres humains décimés par les conflits armés. Et bien qu’elle fût dotée d’un Haut-Commissariat pour les Réfugiés, elle était et elle est toujours dépassée par le nombre massif de déplacés, de réfugiés et de déracinés qui, de 1945 à nos jours, se comptent en centaines de millions.

A titre d’exemples et pour ne citer que les conflits les plus sanglants, l’ONU a assisté passivement à la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962 à cause du véto français ; elle n’a rien pu faire pour arrêter les guerres atroces en Asie du sud-est entre 1963 et 1975 à cause du véto américain ; Elle a suivi, impuissante, la guerre d’Afghanistan entre 1979 et 1989 à cause du véto soviétique. Sans parler des centaines de résolutions relatives au conflit israélo-arabe, adoptées durant les six dernières décennies et restées lettre morte à cause des vétos systématiques des Etats-Unis.

Avec l’effondrement du mur de Berlin et la fin de la Guerre froide, un espoir se fit brièvement sentir que l’ONU, libéré du véto soviétique, allait enfin sortir de sa marginalisation et s’atteler, même tardivement, à concrétiser les principes consignés dans sa Charte. L’espoir se dissipa très vite, car, pendant la décennie 1990 et une bonne partie de la décennie 2000, la Chine étant exclusivement occupée de son développement économique et la Russie à genoux, le Conseil de sécurité a fonctionné avec pratiquement trois membres permanents effectifs et trois droits de véto, ceux des Etats-Unis et de leurs deux alliées, la Grande Bretagne et la France.

Pendant toute cette période, les Etats-Unis, se considérant comme l’unique superpuissance de la planète, réussit à transformer l’ONU en instrument de sa politique étrangère, comme on l’a vu dans les Balkans, à la suite de la désintégration de la Yougoslavie, ou au Moyen-Orient et dans le Golfe dans leur confrontation violente avec le régime de Saddam Hussein, sans oublier leur confrontation diplomatique avec la République islamique d’Iran.

Cela dit, les questions de la réforme de l’ONU et du droit de véto ont toujours fait l’objet de débats aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’instance internationale. Il est bien évident qu’un Conseil de sécurité dominé par cinq membres permanents auxquels s’ajoutent dix membres non permanents ne peut donner une image exacte de la société internationale, ni être représentatif de ses diverses composantes. D’où l’idée âprement défendue d’un élargissement substantiel de la principale instance de l’ONU, d’autant que le nombre des Etats dans le monde a été multiplié par quatre depuis 1945.

Depuis des années, en vue d’un hypothétique élargissement du Conseil de sécurité, des noms de potentiels candidats de membres permanents circulent, tels que l’Inde, le Japon, l’Allemagne, l’Afrique du sud ou encore le Brésil. Mais la réalisation d’un tel changement est entravée par deux obstacles. Le premier est que les cinq membres permanents, sans l’aval desquels rien ne change, ne sont guère pressés pour offrir à d’autres les mêmes privilèges dont ils jouissent depuis des décennies.

Le second obstacle vient de la contestation des noms qui circulent par leurs voisins. C’est ainsi que la Chine ne veut pas entendre parler d’une candidature du Japon et de l’Inde, que l’Italie voit avec suspicion la candidature de l’Allemagne, que le Mexique et l’Argentine s’opposent à celle du Brésil et que le Nigéria ne voit pas d’un bon œil la candidature de l’Afrique du sud…

Pour Chloé Maurel, agrégée et docteure en Histoire, « le droit de veto dont disposent les 5 membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie) est un facteur de blocage de l’ONU. Il paralyse cette institution et nuit à son efficacité. Le supprimer, ou au moins le suspendre, s’impose. Cela permettrait à l’ONU d’être plus démocratique et efficace (…).

De plus, le véto est un mécanisme non-démocratique. Il n’est pas justifié que 5 pays aient ce pouvoir exorbitant de dire non à une décision prise par la majorité des 193 Etats membres de l’ONU. Pour le démocratiser l’ONU, il faut donner plus de pouvoir à l’Assemblée générale et peut-être pondérer son système de vote en fonction de la population de chaque pays. En effet, la Chine, avec 1,3 milliard d’habitants, devrait légitimement disposer de plus de voix que de tout petits pays comme le Vanuatu qui n’ont que quelques milliers d’habitants. » (1)

Ce n’est pas l’avis de Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il estime pour sa part : « Quand on critique le droit de véto, on se trompe de cible. Parce que sans lui, l’ONU n’existerait tout simplement pas. 

Dès sa création, il aurait été impossible pour les puissances d’entrer dans un système où elles auraient pu être mises en minorité. On confond les faits et la cause. La cause de l’impuissance du Conseil de Sécurité n’est pas le droit de véto, mais la division des pays membres et surtout de ses membres permanents. Malheureusement, les espoirs d’un nouvel ordre mondial célébré lors de la guerre du Golfe de 1990-1991, dans lequel on espérait que l’ONU accomplirait l’esprit de ses créateurs, se sont effondrés. » (2)

On le voit, toute réforme du droit de véto et du nombre de ses bénéficiaires semble très difficile à entreprendre dans le court et le moyen termes, tant les divergences sont grandes entre les pays membres et même parmi les analystes. Une réforme substantielle de la machine bureaucratique planétaire qu’est devenue l’ONU ne sera pas possible sans un changement radical des rapports de force dans le monde. Auquel cas, nul ne saurait dire si l’ONU serait alors réformée ou connaitrait le sort de la Société des Nations et cèderait la place à une nouvelle institution mondiale.

-----------------------------------

1-https://ledrenche.ouest-france.fr/veto-conseil-de-securite-onu/?fbclid=IwAR0WzOHUBfqHQ0_dv5as7J0oD87gsDTfbxpLf_5RIbhAtdqNxKWQ75Nvj-w

2-Ibidem.

*Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas forcément la ligne éditoriale de l’Agence Anadolu.

**Hmida Ben Romdhane, journaliste, ancien rédacteur en chef et PDG du journal La Presse de Tunisie.

Seulement une partie des dépêches, que l'Agence Anadolu diffuse à ses abonnés via le Système de Diffusion interne (HAS), est diffusée sur le site de l'AA, de manière résumée. Contactez-nous s'il vous plaît pour vous abonner.
A Lire Aussi
Bu haberi paylaşın