L'ordre mondial, de l'unipolarité dominée par les États-Unis vers une multipolarité
- A mesure que l'hégémonie des États-Unis décline, de nouvelles puissances émergentes deviennent de plus en plus influentes sur les questions mondiales majeures, selon un rapport de 151 pages de la Conférence de Munich sur la sécurité.

Berlin
AA / Berlin / Ayhan Simsek
Le monde entre dans une ère de tensions et d'incertitudes croissantes, alors qu'il passe de l'unipolarité dominée par les États-Unis à la multipolarité, selon un nouveau rapport de la Conférence de Munich sur la sécurité.
Le Rapport de sécurité de Munich 2025, qui sera officiellement publié avant la conférence de cette semaine, note que bien que l'avenir reste incertain – qu'il soit dominé par la rivalité États-Unis-Chine ou qu'il évolue vers un système multipolaire plus large – le processus de « multipolarisation » continue de gagner en ampleur.
« Le système international actuel présente des éléments d'unipolarité, de bipolarité, de multipolarité et de non-polarité. Cependant, un changement de pouvoir en cours, avec un nombre croissant d'États cherchant à exercer de l'influence, est clairement perceptible », indique le rapport, mettant en évidence l'influence croissante des pays du BRICS et des puissances régionales telles que la Türkiye et le Qatar.
Selon les auteurs, la multipolarisation se manifeste non seulement par l'influence croissante des puissances émergentes, mais aussi par l'élargissement des divisions idéologiques, à mesure que les valeurs libérales perdent leur domination, tant au sein des nations qu'à l'échelle du système mondial.
« Le libéralisme politique et économique, qui a façonné la période unipolaire de l'après-Guerre froide, n'est plus le seul modèle en place. Il est de plus en plus contesté de l'intérieur, comme en témoigne la montée du populisme nationaliste dans de nombreuses démocraties libérales », indique le rapport.
« Mais il est également remis en question de l'extérieur, comme en témoigne la bifurcation idéologique croissante entre démocraties et autocraties, ainsi que l'émergence d'un monde où plusieurs modèles d'ordre coexistent, se font concurrence ou s'affrontent », ajoute-t-il.
Le rapport suggère que le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait accélérer ce changement, marquant la fin de la « Pax Americana/ paix américaine ». Il note que Trump considère l'ordre international actuel comme défavorable et prioriserait probablement les intérêts des États-Unis et l'isolement de la Chine, ce qui risquerait de tendre les relations avec les alliés.
Différentes perceptions de la multipolarité
À mesure que le monde passe de l'unipolarité dominée par les États-Unis à la multipolarité, les perceptions divergent fortement entre les citoyens des nations industrialisées occidentales et ceux des puissances émergentes du Sud global, selon le rapport.
Une enquête de la Conférence de Munich sur la sécurité a révélé que la majorité des répondants dans les pays du G7 perçoivent ce changement avec inquiétude, craignant qu'il n'entraîne davantage de désordre et de conflits, rendant plus difficile la conclusion d'accords mondiaux.
Lorsqu'on leur a demandé si un ordre multipolaire apporterait un monde plus pacifique, l'enquête a révélé un sentiment négatif dans les pays du G7 : la France a montré un accord net de -7% (ce qui signifie que 7% de répondants de plus étaient en désaccord que ceux en accord), l'Allemagne -9%, l'Italie -11%, et le Japon a exprimé le scepticisme le plus fort avec -20%.
En revanche, les majorités dans les pays du BRICS considèrent la multipolarité comme un chemin vers un monde plus équitable, plus juste et plus pacifique. L'enquête a révélé que la plupart des répondants en Chine, en Inde, en Afrique du Sud et au Brésil pensaient qu'un système multipolaire répondrait mieux aux préoccupations des pays en développement.
Lorsqu'on leur a demandé si « un monde multipolaire répondrait mieux aux préoccupations des pays plus faibles/en développement », les répondants ont fortement approuvé : la Chine (+50% de répondants en accord par rapport à ceux en désaccord), l'Afrique du Sud (+45% d'accord net), l'Inde (+44% d'accord net) et le Brésil (+35% d'accord net).
Le rapport note également que la seconde présidence de Trump pourrait encore accélérer la multipolarisation. Il soutient que l'approche de Trump — priorisant les intérêts des États-Unis au détriment de la coopération mondiale — pourrait tendre les alliances, en particulier en Europe.
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche pourrait accélérer encore la multipolarisation, indique le rapport. Il soutient que l'approche de Trump — priorisant les intérêts des États-Unis plutôt que la coopération mondiale — risque de tendre davantage les relations avec les alliés traditionnels, ce qui pourrait avoir des conséquences importantes pour l'Europe.
Risques croissants d'un monde conflictuel
Le rapport de 151 pages souligne que bien qu'un monde plus multipolaire offre une promesse significative pour un ordre plus juste et pacifique, il pourrait également inverser les progrès réalisés en raison de la compétition et de la polarisation, ce qui pourrait rendre plus difficile la prévention des conflits et la gestion des défis mondiaux.
Il avertit que les tendances récentes — y compris l'augmentation des actions unilatérales des grandes puissances et des dépenses militaires record — renforcent les préoccupations selon lesquelles les effets négatifs de la multipolarité pourraient dominer, entraînant potentiellement une intensification des tensions géopolitiques et des conflits entre centres de pouvoir rivaux.
« Sous nos yeux, nous voyons le scénario négatif d'un monde plus multipolaire se matérialiser — un monde plus conflictuel sans règles partagées ni coopération multilatérale efficace », indique le rapport.
« Plutôt que de générer des bénéfices mondiaux plus inclusifs, cela s'accompagne d'une fragmentation qui réduit le proverbial gâteau mondial, pouvant déclencher des dynamiques 'perdant-perdant' où tout le monde sera pire loti à long terme », avertit-il.
Face à ces préoccupations croissantes, le président de la Conférence de Munich sur la sécurité, l'ambassadeur Christoph Heusgen, a averti que sans règles partagées, la multipolarisation pourrait conduire à un désordre mondial accru, et a souligné l'importance du respect des normes internationales pour éviter de nouvelles tensions dans un monde de plus en plus complexe.
« Si nous voulons préserver un terrain d'entente dans un monde façonné par davantage d'acteurs et une polarisation croissante, nous devons tous nous réengager envers les règles énoncées dans la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l'homme auxquelles tout le monde a adhéré », a-t-il déclaré. « Un monde multipolaire ne doit pas devenir un monde où chaque pôle agit à sa guise, ni où l'État de droit est miné tant au niveau international qu'à domicile », a-t-il ajouté.
La Conférence de Munich sur la sécurité, où les conclusions du rapport seront discutées, débutera le 14 février, réunissant des dirigeants mondiaux, des ministres de haut rang, des responsables et des experts en sécurité du monde entier. Lors de la conférence de trois jours, le vice-président des États-Unis, JD Vance, le chancelier allemand Olaf Scholz, le secrétaire général de l'OTAN Mark Rutte, et la haute responsable de la politique étrangère de l'UE Kaja Kallas prononceront des discours. D'autres intervenants incluent le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, David Lammy, le ministre des Affaires étrangères italien Antonio Tajani, et la ministre canadienne des Affaires étrangères Mélanie Joly. Les organisateurs s'attendent à la participation d'environ 60 chefs d'État et de gouvernement, 150 ministres, ainsi que de dirigeants de grandes organisations internationales.
* Traduit de l’Anglais par Adama Bamba
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