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L'UE débat de l'opportunité de retirer à la Hongrie la présidence tournante après la rencontre Orban-Poutine

- Les groupes politiques du Parlement européen demandent l'application de l'article 7, qui priverait Orban de son droit de vote, tandis que certains Etats membres souhaitent que la présidence tournante soit transférée à la Pologne.

Melike Pala  | 12.07.2024 - Mıse À Jour : 13.07.2024
L'UE débat de l'opportunité de retirer à la Hongrie la présidence tournante après la rencontre Orban-Poutine

Ankara

AA / Ankara / Melike Pala


La visite surprise du Premier ministre hongrois Viktor Orban à Moscou le 5 juillet a suscité des réactions au sein de l'Union européenne (UE) et entraîné des débats sur le retrait de la présidence de l'UE que le pays assume depuis le 1er juillet.

La visite du dirigeant hongrois en Russie, qu'il a qualifiée d'"initiative de paix" au début de sa présidence, a suscité la réaction des fonctionnaires de l'UE et de nombreux États membres. Les dirigeants européens, ainsi que le président du Conseil de l'UE, Charles Michel, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, ont sévèrement critiqué Orban.

Michel a averti Orban que "la présidence de l'UE n'a pas le pouvoir de contacter la Russie au nom de l'UE" et Borrell a souligné qu'Orban ne représentait en aucun cas l'UE. Les dirigeants de l'UE ont également affirmé l'un après l'autre que la visite en question portait atteinte aux intérêts de l'Union.

Après la visite d'Orban, des réunions ont été organisées à différents niveaux au sein de l'UE, et certains ont défendu l'idée de retirer la présidence de l'UE de six mois à la Hongrie pour la confier à la Pologne.


- Les ambassadeurs de l'UE adressent un "carton jaune" à Orban

Les ambassadeurs des États membres de l'UE à Bruxelles se sont réunis le 10 juillet pour discuter des visites d'Orban en Russie et en Chine et de l'avenir de sa présidence.

Les ambassadeurs ont condamné le dirigeant hongrois pour avoir "sapé l'unité des 27 pays en utilisant la présidence tournante et les symboles de l'UE lors de ses visites et pour avoir agi contrairement aux traités", et ont exprimé leur mécontentement quant aux visites diplomatiques organisées par la Hongrie depuis le début de sa présidence tournante.

Décrivant les actions d'Orban comme une "violation des règles", les ambassadeurs ont souligné l'obligation du pays assurant la présidence tournante du Conseil de l'UE, qui n'a pas d'autorité en matière de politique étrangère, d'agir en coopération avec les autres États membres.

La partie hongroise, quant à elle, a fait valoir qu'Orban n'effectuait pas ces visites au nom de l'UE, mais uniquement en sa qualité de Premier ministre hongrois, et que son objectif était d'évaluer les perspectives d'un cessez-le-feu dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine.

Aucune décision concrète n'a été prise à l'issue de la réunion et aucun signal n'a été donné quant au retrait de la présidence hongroise. Toutefois, un diplomate qui a assisté à la réunion a déclaré que celle-ci représentait un "carton jaune" pour Orban.

Certains États membres auraient envisagé individuellement de boycotter les réunions informelles au niveau ministériel pendant les six mois de la présidence hongroise.


- Le Parlement européen demande le "retrait de la présidence tournante"

Les dirigeants des groupes politiques du Parlement européen (PE) se sont réunis jeudi pour la même raison et ont discuté des sanctions possibles, y compris un boycott de la présidence hongroise et sa fin prématurée.

D'autre part, les libéraux (Renouveau de l'Europe-RE) et les Verts au PE ont exprimé leur inquiétude quant à la présidence d'Orban.

Dans une déclaration écrite, les libéraux ont affirmé qu'Orban sapait la ligne adoptée par l'UE et agissait contre ses intérêts et ont déclaré : "Cela doit cesser. Il est temps de mettre un terme à la présidence brutale de Viktor Orban".

Affirmant que les politiques d'Orban, qu'il qualifie d'"initiatives de paix", constituent une "menace pour la sécurité" de l'UE, les libéraux ont déclaré que Valérie Hayer, présidente du groupe, veillerait à ce qu'une discussion urgente se tienne dans les prochains jours en présence du président du Conseil de l'UE, Charles Michel.

Les libéraux ont exigé que le Conseil de l'UE et la Commission européenne assument leurs responsabilités et prennent les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'article 7, ce qui pourrait conduire à priver la Hongrie de ses droits de vote.

Dans une lettre adressée à Michel, Von der Leyen et Borrell, les Verts ont affirmé que la visite d'Orban en Russie violait clairement le principe de "coopération sincère" inscrit à l'article 4 du traité de l'UE, soulignant que cela nuisait à la réputation de l'Union et demandant au Conseil et à la Commission d'utiliser tous les outils à leur disposition.


- Est-il possible de retirer la présidence tournante ?

L'Allemagne, la Pologne et les États baltes font partie des pays qui ont demandé que soit envisagé le retrait de la présidence tournante de la Hongrie, tandis que les sceptiques doutent que cette procédure, possible sur le papier, soit mise en œuvre en pratique.

Le retrait de la présidence tournante de l'UE à un État membre avant la fin de son mandat n'est pas seulement inattendu, il est aussi complexe et difficile, car aucun mécanisme juridique dans les traités de l'UE ne traite directement de cette situation.

La présidence tournante, qui est considérée comme un élément fondamental du cadre institutionnel de l'Union, est considérée comme une procédure privilégiée car elle est censée garantir l'égalité et l'équilibre entre les États membres.

D'un autre côté, certains recours juridiques pourraient être invoqués en cas de préoccupations importantes concernant la façon dont un État membre remplit le rôle de la présidence tournante.

La première option, la pression politique par voie diplomatique, peut conduire au retrait volontaire du pays concerné. Dans le cas d'une demande de retrait de la présidence tournante, celle-ci peut être transmise au pays suivant si le Conseil l'approuve après accord des États membres et des institutions de l'UE.

Toutefois, il est peu probable que ce soit le cas pour la Hongrie, qui n'a pas fait de compromis sur ses politiques ces dernières années, malgré des désaccords persistants avec l'UE et ses États membres.

Les États membres de l'UE pourraient voter pour modifier la date de la présidence tournante et remplacer la Hongrie par la Pologne. Toutefois, pour que cela soit possible, le président du Conseil de l'UE, Michel, devrait soumettre une motion sur la base de l'article pertinent du traité sur le fonctionnement de l'UE.

La plupart des membres de l'UE ne sont toutefois pas favorables à cette idée, craignant qu'elle n'affaiblisse le principe de la présidence tournante, qui donne aux petits pays la possibilité d'orienter l'agenda de l'UE, et qu'elle ne crée un précédent.

Des amendements aux traités de l'UE, qui déterminent le fonctionnement des institutions de l'UE, y compris la présidence tournante, pourraient combler les lacunes juridiques. Toutefois, étant donné que la modification des traités serait un processus long et complexe nécessitant l'accord de tous les États membres et l'approbation selon leurs procédures nationales, cette possibilité ne devrait pas se concrétiser.

Une autre solution consisterait à imposer des sanctions, non pas directement à la présidence tournante, mais par le biais de la suspension de certains droits du pays exerçant la présidence. Des mécanismes tels que l'article 7 du traité de l'UE peuvent être utilisés dans des cas extrêmes, lorsque les actions d'un État membre sont considérées comme une violation des valeurs de l'UE.

Bien que ce mécanisme ne supprime pas la présidence tournante du pays, il pourrait avoir des conséquences politiques susceptibles d'affecter le rôle du pays dans les processus d'élaboration des politiques et de prise de décision.

Malgré toutes ces possibilités et tous ces appels, on s'attend à ce que Bruxelles poursuive une politique plus équilibrée plutôt que de recourir à des méthodes coercitives.


- Qu'est-ce que l'article 7 ?

L'article 7 du traité UE est un mécanisme visant à garantir que tous les États membres de l'UE respectent les valeurs communes de l'UE, telles que le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l'État de droit et le respect des droits de l'homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités.

L'article en question comprend deux mécanismes : le mécanisme de prévention et le mécanisme de sanction.

Le mécanisme préventif est utilisé pour déterminer s'il existe un "risque flagrant de violations graves" des valeurs de l'Union par un État membre. La mesure préventive qui peut être prise dans ce contexte peut l'être si une majorité des quatre cinquièmes est atteinte au Conseil après l'approbation du PE.

Le mécanisme de sanctions permet d'imposer des sanctions à un État membre qui aurait violé les valeurs de l'Union. Pour cela, il faut l'unanimité des États membres, à l'exception du pays concerné, et l'approbation du Parlement européen.

Si ces conditions sont remplies, certains droits du pays en question, y compris le droit de vote au Conseil, peuvent être suspendus.

En 2022, en raison de préoccupations de longue date concernant l'utilisation abusive des fonds de l'UE au titre de l'article 7, l'UE a conditionné l'attribution de dotations budgétaires à la Hongrie par le biais d'un "mécanisme de conditionnalité". Cette procédure est toujours en cours.


* Traduit du turc par Tuncay Çakmak

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