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L'UJFP dénonce un amalgame volontaire du Gouvernement français entre l'antisémitisme et l'antisionisme

- AA a interrogé le président d'honneur de l'Union Juive de France pour la Paix, Richard Wagman, alors que les combats se poursuivent entre l'armée israélienne et des factions palestiniennes.

Ümit Dönmez  | 13.10.2023 - Mıse À Jour : 13.10.2023
L'UJFP dénonce un amalgame volontaire du Gouvernement français entre l'antisémitisme et l'antisionisme

France

AA / Paris / Ümit Dönmez

L'Union juive française pour la Paix (UJFP) a dénoncé, ce mercredi, un amalgame volontaire l'Exécutif français entre l'antisémitisme et l'antisionisme.

Anadolu (AA) a interrogé à Paris le président d'honneur de l'UJFP, Richard Wagman, dans un contexte de combats meurtriers qui se poursuivent au Proche-Orient entre l'armée israélienne et des factions palestiniennes.


- Définition de l'antisémitisme

Avant de rappeler la définition du terme "antisémitisme", Richard Wagman a tenu à souligner la position de l'UJFP sur la xénophobie.

"En tant qu'association juive, nous avons toujours combattu l'antisémitisme comme d'autres formes de racisme, bien entendu, et pour nous, la meilleure façon de s'opposer à l'antisémitisme, c'est de s'opposer à toute dérive de discrimination, de xénophobie, quelles que soient les victimes", a-t-il expliqué.

"L'antisémitisme, on le connaît en Europe. Toutes nos familles, y compris la mienne, ont souffert de la Shoah" a rappelé le président d'honneur de l'Union Juive de France pour la Paix.

"Je suis Juif polonais d'origine et mes grands-parents venaient de Pologne. J'ai perdu une partie de ma famille à Auschwitz [camp de concentration nazi, NDLR]. Tous les Juifs européens ont le même drame dans leur famille. Il y a, bien sûr, les Séfarades, qui sont originaires du monde arabe, dont les familles n'étaient pas en Europe pendant la seconde guerre mondiale. Mais je veux dire que nous avons une autre sensibilité par rapport à l'antisémitisme, comme vous pouvez imaginer : ça touche une corde sensible", a indiqué Richard Wagman avant d'en donner une définition.

"C'est tout simplement la haine des Juifs, c'est une constante dans l'histoire française que l'antisémitisme est un des marqueurs du nationalisme conservateur de droite dans ce pays, depuis l'affaire Dreyfus en passant par le régime de Vichy. Le statut des Juifs, c'est quelque chose qui hante la communauté juive depuis la Révolution française et même auparavant, sous l'ancien régime. L'antisémitisme, c'est à combattre dans la mesure où c'est un outil employé par le pouvoir pour opposer les Français les uns contre les autres, en temps de crise", a ajouté le président d'honneur de l'UJFP.

"L'antisémitisme a été utilisé par les tsars en Russie ; ça a été utilisé par les rois de France avant la révolution de 1789. Ça resurgit avec l'émancipation des Juifs en France, qui ont bénéficié de la révolution. Ça resurgit encore à la fin du dix-neuvième siècle, avec l'affaire Dreyfus. Toute l'histoire de la Troisième République, la France était un pays antisémite dans la mesure où les élites de ce pays étaient antisémites, y compris la classe politique, et ça aboutit au régime de Vichy. Donc, c'est dans notre sang, c'est dans nos gènes de combattre l'antisémitisme, la haine des Juifs", a déclaré Richard Wagman.


- Définition de l'antisionisme


"L'antisionisme, c'est autre chose. C'est un débat à l'intérieur de la communauté juive", a, d'abord, tenu à souligner le président d'honneur de l'UJFP.

"Quand le sionisme est apparu, à la toute fin du dix-neuvième siècle, à peu près à la même époque que l'éclatement de l'affaire Dreyfus, la vaste majorité des Juifs français, qui soient religieux ou laïcs, ont rejeté l'idée sioniste parce qu'on ne voulait pas s'exiler ni en Palestine, ni ailleurs, pour essayer de fonder un foyer national ou un état juif quelque part. Nous sommes français, nous avons nos droits. Nous étions émancipés par la Révolution française, c'est-à-dire que nous avons acquis les pleins droits de citoyenneté à égalité des autres. On y tenait comme à la prunelle des yeux et on ne voulait pas la perdre", a-t-il rappelé.

"L'idée de sionisme, c'est de partir ailleurs, en Palestine ou ailleurs, pour fonder un État juif. Ce serait la débandade, ce serait la renonciation de notre identité française, et on n'y est pas favorable. Ce débat traverse la communauté juive depuis plus d'un siècle maintenant" a ajouté Richard Wagman.

"L'antisionisme était une idée juive. Elle est survenue chez les rabbins, d'abord dans le rabbinat, dans la mesure où le sionisme était déjà l'antithèse de tout l'enseignement juif et traditionnel en la matière : on ne peut pas établir une souveraineté en Terre sainte avant l'arrivée du Messie. Donc, c'est une hérésie de la part de l'orthodoxie juive de penser que le Royaume de Dieu pourrait arriver avant le Messie. C'est de tourner le dos à la tradition juive et dire qu'on s'en fiche, qu'on crée notre État et on met derrière nous tous les enseignements talmudiques et traditionnels qui nous demandent de vivre en paix parmi les nations", a précisé le président d'honneur de l'UJFP.

"L'antisionisme tout comme le sionisme, l'anticommunisme tout comme le communisme, ce sont des idéologies politiques. On peut être d'accord ou pas, mais ce sont des idées politiques. Le sionisme, tout comme l'antisionisme, date d'il y a un peu plus de 100 ans. Le judaïsme date de 4000 ans. Donc, tous ces débats entre les Juifs sionistes et les Juifs antisionistes, c'est un débat séculaire, relativement récent dans l'histoire juive, lorsqu'on la prend dans son ensemble. Le sionisme, tout comme l'antisionisme, date d'il y a un peu plus de 100 ans. Le judaïsme date de 4000 ans".

Et le président d'honneur de l'UJFP de poursuivre :

"C'est un débat européen. Le sionisme est une idée européenne, fondée par son théoricien principal, Theodor Herzl, qui, lui, était un Juif autrichien. Une idée débattue passionnément par ses partisans et ses adversaires à l'intérieur de la communauté juive, en Autriche, en Allemagne et en France notamment. Un peu comme le communisme, on peut être pour, on peut être contre. Ce sont des idéologies et une échelle de valeurs qui s'affrontent dans les débats politiques", a-t-il précisé.

- Déclarations de l'Exécutif français

AA a ensuite interrogé Richard Wagman sur des déclarations récentes de la Première ministre française Élisabeth Borne et d'autres membres de l'Exécutif, donnant l'impression d'un amalgame entre l'antisémitisme et l'antisionisme.

"Ce n'est pas juste une impression : elle l'a dit en toutes lettres. Élisabeth Borne, tout comme Macron, tout comme Manuel Valls, que j'ai cité tout à l'heure, François Hollande, ou encore Nicolas Sarkozy. Depuis que Sarkozy est devenu Président de la République, on a le droit à ce genre de discours. Ils savent de quoi ils parlent. Mais c'est des mensonges, c'est-à-dire qu'ils profitent de la confusion et des amalgames pour des fins de promotion politique, ce qui est très sournois et pas du tout à la hauteur, pas du tout en leur honneur", a-t-il estimé avant de poursuivre.

"Tout d'abord, toute personne qui critique la politique d'Israël est, d'emblée, taxée d'antisionisme, par ces gens-là, ce qui est ridicule.

"La plupart des critiques, Juifs et non juifs d'Israël, soutiennent le droit d'Israël d'exister en tant qu'État, mais plaide en faveur d'un règlement politique qui respecte les droits nationaux des Palestiniens aussi. Ce sont des critiques de la politique israélienne. La plupart d'entre eux ne sont pas antisionistes. Mais celui ou celle qui a le malheur de critiquer Israël est taxé tout de suite d'antisionisme : ce n'est pas vrai. Nous, nous sommes antisionistes parce que nous pensons que c'était une impasse. Et le sionisme ne règle aucun problème des Juifs français, ni des Juifs ailleurs, dans ce qu'on appelle la diaspora. Au contraire, ça aggrave ces problèmes. On s'y oppose et en est antisioniste, parce que le sionisme ne répond pas à nos critères du respect des droits d'autrui et le droit des Juifs de vivre dans leurs pays respectifs", a expliqué le président d'honneur de l'UJFP.

"Dire qu'un tel est "sémite", c'est désigner un Juif, tout simplement. L'antisémitisme : c'est une forme de discrimination raciale, c'est la haine des Juifs ou la haine des Arabes. Le sionisme, c'est autre chose, et l'antisionisme également : ce sont des idées politiques".

Indiquant que les deux notions (antisémitisme et antisionisme) n'ont "rien à voir" l'une avec l'autre, Richard Wagman a estimé que "mélanger les deux sciemment, comme le fait Élisabeth Borne, Emmanuel Macron et les autres, y compris beaucoup d'anciens dirigeants du Parti socialiste, ce n'est franchement pas à la hauteur et ça n'arrange pas les choses pour clarifier les enjeux pour les Français et pour lutter contre les discriminations ici dans l'Hexagone : c'est de brouiller toutes les cartes".

"Et franchement, la classe politique est dessous de tout en se trempant dans ces eaux boueuses et en prétendant qu'une personne qui critique Israël, serait antisioniste d'emblée, (ce n'est pas le cas de la plupart des personnes qui critiquent la politique israélienne) et parmi les antisionistes affirmés dans la communauté juive, comme nous, nous taxer d'antisémite, qu'est-ce que ça veut dire ? On est juif, on n'est pas des antisémites. Mais ils mélangent tout", a-t-il constaté.

Et Richard Wagman de conclure : Les non-juifs, qui, eux, sont antisionistes (parce que ça existe), ils ont le droit. C'est comme dire : 'je suis socialiste, je suis communiste, je suis nationaliste, je suis républicain'. Peu importe l'étiquette qu'on se donne, c'est une identité politique d'être sioniste ou d'être antisioniste, qu'on soit juif ou pas. Et les antisionistes parmi les Juifs et les antisionistes parmi les non-juifs, ils ont le droit aussi, c'est une opinion politique, c'est tout".


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