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McGurk représente la figure cachée de la politique américaine à l'égard d'Israël et du Moyen-Orient

- D'anciens et de nouveaux collègues décrivent Brett McGurk comme "quelqu'un qui a une vision claire de la manière dont les intérêts américains doivent être défendus, et qui place ces intérêts avant les droits de l'homme"

Gökhan Çeliker  | 04.12.2023 - Mıse À Jour : 05.12.2023
McGurk représente la figure cachée de la politique américaine à l'égard d'Israël et du Moyen-Orient

Ankara

AA / Ankara / Gokhan Celikler

Brett McGurk, qui figure parmi les responsables de la politique américaine au Moyen-Orient, représente la face cachée de la politique américaine dans la région, allant des négociations avec Israël aux ventes d'armes à l'Arabie saoudite, en passant par les politiques de son pays en Irak et en Syrie.

Le site d'information américain HuffPost a interrogé 23 fonctionnaires américains, ainsi que des personnes en contact régulier avec l'administration Biden sur la politique au Moyen-Orient, dans le cadre d'un rapport spécial intitulé "4 personnes à Washington façonnent la politique américaine au Moyen-Orient".

Il s'agit notamment du président américain Joe Biden, du secrétaire d'État américain Antony Blinken et du conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ainsi que du moins connu Brett McGurk, coordinateur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au Conseil de sécurité nationale, qui est l'une des figures clés de la politique américaine au Moyen-Orient.

Il est considéré comme "l'une des personnes les plus puissantes liées à la sécurité nationale" des États-Unis, et "détermine les options que Biden envisagera sur de nombreux sujets, des négociations avec Israël aux ventes d'armes à l'Arabie saoudite".

Ses collègues décrivent Brett McGurk comme "quelqu'un qui a une vision claire de la manière dont les intérêts américains doivent être défendus et qui place ces intérêts avant les droits de l'homme".

Un ancien fonctionnaire américain a confié au HuffPost que Brett McGurk représentait "un pouvoir énorme sans aucune transparence, sans aucune responsabilité".


- L'impact sur la question du Moyen-Orient

Un autre fonctionnaire américain sous couvert d'anonymat a expliqué que Brett McGurk "a eu une carrière controversée", ajoutant que "le département d'État (américain) n'a pratiquement aucune influence sur la question israélo-palestinienne parce que Brett (McGurk) est au centre de cette question".

Le fonctionnaire en question a souligné la priorité accordée par McGurk à l'accord entre Israël et l'Arabie saoudite, en insistant constamment sur l'engagement avec les Saoudiens et en essayant de placer cette relation au premier plan de ce qu'ils essaient de faire au Moyen-Orient.

Selon des responsables de l'administration Biden, le travail de Brett McGurk en Arabie saoudite a des répercussions importantes au-delà de son impact possible sur la question Israël-Palestine, par exemple le maintien du "cessez-le-feu fragile" au Yémen depuis avril 2022.

Le fonctionnaire a été rappelé que Brett McGurk a déclaré dans un discours prononcé le mois dernier qu'avant les "évènements du 7 octobre, les États-Unis menaient des "discussions intenses" au sujet d'un accord israélo-saoudien qui inclurait des "progrès matériels" pour la Palestine.


- Contacts réguliers avec des fonctionnaires étrangers hostiles à Israël

"Brett McGurk s'est fortement impliqué dans les négociations entre Israël, le Hamas et les gouvernements régionaux qui ont conduit au retour de plus de 100 otages israéliens dans leurs foyers et à l'augmentation du volume de l'aide humanitaire acheminée vers Gaza", indique un communiqué, soulignant que McGurk "est resté important" après les attaques du 7 octobre.

L'équipe de M. McGurk "gère étroitement le discours des responsables américains sur cette question et est en contact régulier avec des responsables étrangers qui ont indiqué que le soutien largement illimité des États-Unis à Israël a suscité un vif ressentiment dans le monde entier".

Selon un ancien fonctionnaire américain, "la théorie de McGurk sur la région est qu'elle est à la fois un centre d'instabilité et de ressources". Le fonctionnaire a décrit cela comme une "mentalité coloniale de la vieille école".

Un autre responsable américain a déclaré que "McGurk) a un état d'esprit très similaire à celui de l'administration Bush. C'est une mentalité qui n'a pas changé au cours des 25 dernières années".

Jasmine el-Gamal, qui a travaillé au secrétariat américain à la Défense pendant environ 9 ans jusqu'à ce qu'elle quitte son poste en 2017, a déclaré : "Je ne sais pas ce qui est arrivé à Brett (McGurk) pour qu'il soit si grossier lorsqu'il s'agit de la politique étrangère américaine. Je ne sais pas ce qu'il pense de nous en tant que musulmans, en tant qu'Arabes."


- Son long bail est considéré comme une preuve de ses "compétences et de ses relations utiles"

Selon le rapport, la "puissante mission de McGurk sous la direction de Biden est l'aboutissement d'un long parcours", et "Barack Obama a tenté de nommer McGurk ambassadeur des États-Unis en Irak, mais il s'est abstenu à la suite d'un scandale".

Les soutiens de Brett McGurk considèrent que son long bail est la preuve de ses "compétences, de ses relations utiles et de sa crédibilité".

Le lieutenant-général des Marines à la retraite Jim Mattis, qui a été secrétaire à la Défense sous Donald Trump, a déclaré au HuffPost en 2022 avoir personnellement exhorté l'administration Trump à maintenir McGurk à son poste.


- L'Arabie saoudite au premier plan

L'Arabie saoudite aurait, "sous une certaine pression", libéré plusieurs militants des droits de l'homme emprisonnés et "commencé à mettre fin à sa campagne militaire brutale" au Yémen, alors que Brett McGurk a convaincu Joe Biden de se rendre en Arabie saoudite en 2022.


- McGurk était également impliqué en Irak

Lorsque Brett McGurk s'est tourné vers la diplomatie en 2004, son premier travail a consisté à conseiller l'ambassadeur des États-Unis à Bagdad, John Negroponte, sur la rédaction de la Constitution irakienne.

La période allant de 2004 à 2009, au cours de laquelle McGurk a servi en Irak, correspond à celle de la "restructuration" de l'Irak. Dans ce contexte, McGurk a été le principal acteur de l'équipe qui a jeté les bases du chaos en Irak.

La Constitution irakienne, dans laquelle Brett McGurk a joué un rôle majeur, a été adoptée en octobre 2004 malgré le mécontentement des Arabes sunnites du pays. La constitution a introduit une administration fédérale dans le pays, a accordé l'autonomie aux trois provinces du nord à majorité kurde, et a surtout suscité le mécontentement chez les Arabes sunnites du pays.

L'une des raisons expliquant le désaccord sur la constitution était l'ingérence des chefs religieux chiites dans la politique. Les chefs religieux chiites cherchaient à faire de l'Irak une république islamique, alors que les sunnites s'y opposaient.

Dans une déclaration faite dans le nord de l'Irak en mars 2015, Brett McGurk avait dit : "Nous n'insistons pas sur l'intégrité de l'Irak. Nous soutenons le cadre constitutionnel."

La politique de l'équipe de McGurk, qui donne la priorité aux Kurdes et aux chiites, a créé des dynamiques internes à l'Irak, telles que l'insurrection croissante, le manque de stabilité et la fragmentation ainsi que des dynamiques externes, telles que le gouvernement chiite et ses relations étroites avec Téhéran, ainsi que la sensibilité croissante des pays voisins à l'égard d'un État kurde.

Dans une interview publiée dans le Washington Post le 3 novembre 2011, la déclaration de McGurk selon laquelle "l'Iran a certainement une grande influence à Bagdad, mais nous aussi" a révélé son indifférence à l'égard de l'influence iranienne.


- Il a contribué à créer les conditions qui ont donné naissance à Daech

En Irak, le leader chiite Nouri Maliki, soutenu par l'équipe de McGurk, est devenu de plus en plus autoritaire entre 2008 et 2014 et a ramené le pays au régime d'avant Petreaus. L'Irak, marqué par la mise à l'écart des sunnites, est alors plongé dans un chaos politique, économique et social. Des attentats à la bombe et des attaques armées sont organisés, faisant 200 morts.

Daech a émergé en 2004 comme l'un des groupes devenus actifs après l'invasion américaine et a déclaré son allégeance à Al-Qaïda.

Rassemblant des partisans parmi les sunnites marginalisés, l'alliance de l'organisation avec des tribus et d'anciens baasistes qui se sont retournés contre le gouvernement Maliki a accéléré sa progression.

Grâce à son "expérience de l'Irak" entre 2004 et 2009, Brett McGurk est devenu l'adjoint de l'envoyé spécial du président américain Barack Obama pour la lutte contre le terrorisme, John Allen, en septembre 2014.


- Tentative d'imposition du modèle irakien à la Syrie

Brett McGurk, l'architecte de la structure fédérale irakienne, a soutenu le PKK/YPG dans le nord de la Syrie sous le prétexte de combattre Daech, et a entrepris de dessiner une carte fragmentée de la Syrie après la guerre civile.

Lorsque McGurk était l'adjoint du général Allen, il a décrit la Türkiye comme le partenaire le plus important contre la menace de Daech. Cependant, un mois avant de prendre ses fonctions d'envoyé spécial, il a rencontré Salih Muslim, l'un des chefs de file du PKK/YPG, à Erbil. Dans une déclaration faite après cette rencontre, il a mentionné pour la première fois le rôle des Kurdes dans la lutte contre Daech.

"La guerre n'est pas encore terminée. Les Kurdes subissent des pertes chaque jour et nous les encourageons à s'unir contre ce danger", avait-il dit.

Brett McGurk a succédé à Allen en octobre 2015 en tant qu'envoyé spécial du président américain Obama pour la lutte contre Daech, et a rapidement déplacé son cap d'Ankara vers le "Rojava" (ouest en kurde) du PKK/YPG.

Malgré l'insistance de la Türkiye à combattre Daech en Irak et en Syrie simultanément, McGurk s'est concentré sur l'Irak, ouvrant ainsi la voie à un soutien accru au PKK/YPG sous le prétexte de combattre Daech alors que ce groupe se rassemblait en Syrie.


- Le PKK a adopté la structure monopolisée

Brett McGurk a conseillé aux Kurdes de "s'unir" et a toujours pris ses distances avec le Conseil national kurde, formé par des Kurdes de l'opposition syrienne.

Après septembre 2015, McGurk a visité les régions occupées par le PKK/YPG dans le nord de la Syrie, alors que l'organisation terroriste réprimait violemment les activités du Conseil national kurde.

Siyamend Haco, responsable des relations extérieures du Conseil national kurde, a déclaré à Anadolu avoir indiqué aux responsables américains que le PKK/YPG envisageait une fédération dictatoriale en son sein. Il a affirmé leur avoir dit que l'organisation "connaissait toute l'anarchie du PKK/YPG mais l'ignorait".


- Il a posé avec les chefs de file

Depuis deux ans qu'il occupe son nouveau poste, McGurk s'est rendu à de nombreuses reprises dans la zone occupée par le PKK/YPG dans le nord-est de la Syrie. La plupart de ces visites ont été rapportées dans la presse.

La première a eu lieu le 1er février 2016, à l'occasion de l'anniversaire de la prise de la ville d'Aynularap (Kobani) à Daech et de son occupation par le PKK/YPG.

Suite à la photo de McGurk recevant une plaque des mains de Polat Can, un porte-parole du PKK/YPG, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait appelé l'administration Obama à "choisir entre une organisation terroriste et un allié au sein de l'OTAN".

À la suite de l'opération Karachok des forces armées turques le 25 avril 2017, McGurk, avait indiqué sur X (anciennement Twitter) : "Nous suivons avec inquiétude les frappes aériennes de la Türkiye dans le nord de l'Irak et de la Syrie sans coordination avec les États-Unis ou la coalition contre Daech."

À la suite, des fonctionnaires américains se sont rendus dans la région et ont été vus en train d'"inspecter" avec le terroriste du PKK Ferhat Abdi Şahin et Redur Halil, l'un des porte-parole du PKK/YGP.

Un jour après la rencontre entre Erdogan et Trump aux États-Unis, McGurk a visité des sites du PKK/YPG dans le nord de Raqqa le 17 mai et a posé avec des dirigeants de l'organisation terroriste, notamment Sahin Cilo, Aldar Halil et Anwar Muslim.


- Il a tenté de donner une légitimité à l'organisation terroriste

Dans le cadre du projet de légitimation élaboré par McGurk, le PKK/YPG a réuni quelques petits groupes, avec des armes et un soutien logistique, au sein des "Forces démocratiques syriennes" (FDS) le 12 octobre 2015.

Après cette date, des responsables américains, en particulier McGurk, ont déclaré leur soutient aux FDS dans e cadre de la lutte contre Daech.

Le 22 juillet, le commandant des forces spéciales américaines, le général Raymond Thomas, a admis que le PKK/YPG avait changé de nom sur les instructions de McGurk.

"J'ai eu la chance d'avoir un partenaire comme Brett McGurk parce qu'ils (les éléments des FDS) voulaient des choses que je ne pouvais pas leur donner. Ils voulaient être à la table dans des endroits comme Genève et Astana, où l'on discute de l'avenir de la Syrie. Ils ne pourront jamais être à la table sous le nom de PKK. Nous les avons donc militarisés et c'est ainsi que Brett McGurk les a maintenus dans les négociations et leur a donné la légitimité nécessaire pour être un bon partenaire pour nous", avait-il déclaré.


- L'étape de Manbij

L'organisation terroriste PKK/YPG a créé successivement des cantons dans le nord de la Syrie avec le soutien de McGurk. McGurk a ainsi accéléré les préparatifs d'une Syrie fédérale dotée de structures administratives autonomes cantonales.

Le mouvement le plus remarquable dans cette direction a été l'entrée du PKK/YPG dans la ville de Manbij à l'ouest de l'Euphrate en août 2016 avec l'aide militaire américaine.

Les responsables américains avaient assuré à la Türkiye que l'organisation quitterait la ville après la prise de Manbij à Daech.

Cependant, Brett McGurk a admis en novembre 2016 que des combattants du PKK/YPG étaient présents dans la ville et a affirmé qu'ils quitteraient la ville après la formation fournie aux éléments locaux. Néanmoins, l'organisation terroriste a renforcé son occupation à Manbij en distribuant même des cartes d'identité portant son propre cachet.


- La Fédération a cherché à obtenir un soutien pour son programme

Après l'occupation de Raqqa par le PKK/YPG le 17 octobre 2017, l'envoyé spécial de l'ancien président américain Trump pour la lutte contre Daech, Brett McGurk, est arrivé dans la région. Le lendemain, la presse a rapporté qu'il avait rencontré le chef du renseignement du gouvernement syrien, Ali Mamluk, à Hasakah, au sujet de la région autonome qui devait être déclarée par le PKK/YPG.

Le 26 septembre, Walid Muallem, alors ministre syrien des affaires étrangères, avait déjà annoncé la possibilité de négocier une autonomie avec le PKK/YPG. Les pourparlers sur l'autonomie entre l'organisation terroriste et le régime d'Assad ont pris de l'ampleur après cette période, mais se sont retrouvés dans une impasse après un certain temps.


* Traduit du turc par Alex Sinhan Bogmis

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